Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

pédologie (suite)

Les travaux de Dokoutchaïev et de ses élèves eurent un grand retentissement aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. Après 1917, de nombreux émigrés russes contribuèrent au développement de cette science nouvelle dans le monde. En France, par exemple, c’est grâce à l’influence de V. Agafonoff, qui établit la première carte des sols en 1934, qu’elle fut introduite, sous l’impulsion d’Albert Demolon (1881-1954), à l’Institut national de la recherche agronomique. Ses progrès ont été plus rapides outre-mer, où l’O. R. S. T. O. M. (Office de la recherche scientifique et technique outre-mer) et divers instituts spécialisés emploient de nombreux pédologues.

Depuis une vingtaine d’années, la pédologie a connu un essor remarquable dans le monde entier, en même temps qu’elle s’est approfondie en s’appuyant sur les progrès de la chimie, de la biologie ainsi que de la géologie et de la géomorphologie, qui ont permis de reconnaître l’importance de l’âge des sols et des variations climatiques dans la pédogenèse.


Les méthodes

La recherche pédologique commence sur le terrain par le relevé de « profils » dans des fosses creusées à cet effet. L’observation de ces sections verticales depuis la surface du sol jusqu’à la roche saine permet de distinguer des « horizons » en s’appuyant sur la couleur, une appréciation grossière de la texture, la structure (compacte, prismatique...), la porosité, la présence ou l’absence de carbonates testés à l’acide, la mesure du pH, le type d’enracinement, les traces d’action de la faune... Parfois, cette distinction s’avère délicate, particulièrement dans le cas de profils complexes développés sur une roche mère hétérogène ou de profils superposant deux pédogenèses. Elle exige donc une grande minutie.

Cette étude morphologique doit prendre place dans le « milieu écologique » (ou « station »), défini par la nature et les propriétés de la roche mère, le site géomorphologique et sa dynamique, la topographie locale, la végétation, le drainage. Il est évident qu’à cet égard le pédologue doit largement faire appel aux travaux de divers spécialistes. De plus, l’évolution d’un sol étant liée à celle des sols voisins, il importe de situer le profil dans une toposéquence et, de façon plus générale, dans la chaîne dont il n’est qu’un maillon.

Ce travail de terrain est complété par une étude analytique en laboratoire portant sur les échantillons prélevés dans les divers horizons repérés. Celle-ci vise à en préciser les caractéristiques et les propriétés : nature et granulométrie des constituants minéralogiques, arrangement de ces constituants entre eux (micro-morphologie), porosité et humidité, dosage et analyse de la matière organique, analyse chimique globale et fractionnée, étude du complexe absorbant...

À l’aide de toutes ces données, une reconstitution de la genèse du sol peut être tentée en menant des comparaisons d’horizon à horizon et de profil à profil d’une même séquence. Toutefois, bon nombre de processus ainsi déduits ne sont que des hypothèses que des expériences doivent étayer. La pédologie expérimentale se développe dans deux champs d’investigation : au laboratoire, où elle permet d’isoler un processus et d’analyser l’influence de chacun des facteurs en les faisant varier indépendamment et en en accélérant l’action ; dans la nature, au moyen de cases lysimétriques ou de parcelles témoins équipées de manière à pouvoir observer et mesurer les phénomènes.


La pédogenèse

La genèse des sols résulte de l’action combinée de processus physiques, chimiques et biologiques. Par la « météorisation » (v. érosion), les roches sont ameublies et altérées superficiellement. Ce manteau d’altérites (s. 1.) constitue la matière minérale du sol, ou « complexe d’altération », à laquelle s’incorporent les produits de la décomposition de la matière organique.

La matière organique fraîche, débris végétaux de toutes sortes, est plus ou moins rapidement décomposée par l’activité biologique. Cette transformation consiste en une minéralisation et en une humification. La première donne naissance à des éléments minéraux solubles ou gazeux, et la seconde à des complexes humiques colloïdaux (humus s. 1.) relativement stables et qui se minéralisent à leur tour, mais beaucoup plus lentement.

En percolant dans le sol, les eaux entraînent les éléments solubles ou colloïdaux du complexe d’altération et de l’humus. Ces migrations, qui se font généralement de haut en bas, ont pour résultat d’appauvrir les horizons superficiels (horizons A) : c’est le phénomène de lessivage, ou éluviation. Mais, parvenus à une certaine profondeur, les éléments entraînés tendent à s’accumuler pour des raisons diverses (nappe phréatique bloquant les courants descendants, niveau où les racines prélèvent de grandes quantités d’eau, action microbienne détruisant les complexes...) ; il se forme, de ce fait, des horizons enrichis (horizons B) : c’est le phénomène d’illuviation. Inversement, il arrive que l’évapotranspiration provoque des remontées capillaires des eaux ; les éléments solubles précipitent dans ce cas au voisinage de la surface. Ces migrations ascendantes sont cependant rares. Enfin, en circulant le long des pentes, les eaux tendent à appauvrir les hauts de versants en éléments solubles et colloïdaux, qu’elles vont accumuler au pied des pentes : ce sont les migrations obliques.

Tous ces remaniements aboutissent à une différenciation du profil en horizons d’autant plus nette que le sol est plus évolué. Mais les profils ainsi engendrés sont d’une grande diversité, de nombreux facteurs intervenant dans la pédogenèse.

• Les facteurs climatiques exercent une influence décisive. Chaleur et humidité favorisent l’altération des roches, alors que les climats secs et froids, en entravant les actions chimiques, en limitent les effets. D’autre part, la température règle la vitesse de décomposition de la matière organique : sous climat chaud et suffisamment humide, elle est rapide, alors que, sous climat froid, elle est très lente. Il en résulte des types d’humus différents, qui se minéralisent plus ou moins vite et influent sur l’acidité du sol. L’évolution des profils s’en trouve fortement conditionnée. Enfin, la pluviosité détermine l’importance du lessivage : en climat constamment humide, le drainage est permanent et les éléments les plus solubles quittent le profil ; si, durant une saison, l’évapotranspiration excède les précipitations, le lessivage cesse et l’évolution est ralentie ; sous les climats secs, le lessivage reste limité et même des éléments aisément solubles tendent à s’accumuler dans les horizons illuviaux.