Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pays-Bas (royaume des) (suite)

Les Pays-Bas ne prennent pas part à la Première Guerre mondiale, qui met fin à l’individualisme mélancolique régnant dans les lettres, et la violente réaction expressionniste flamande y sera plus atténuée. La poésie révèle le grand talent de Hendrik Marsman (1899-1940) à côté de deux figures d’importance : Martinus Nijhoff (1894-1953) et Jan Slauerhoff (1898-1936). Ce dernier, mécontent de naissance, cherche dans les pays exotiques un bonheur qu’il ne trouvera nulle part. C’est un poète maudit de captivante originalité et un prosateur non moins doué qui crée des personnages vagabonds, aventuriers incarnant ses propres rêves (la Vie sur terre, 1934). Nijhoff est un poète en proie à des contradictions profondes, exprimées de façon raffinée (l’Heure H, 1936). Le véritable représentant de l’expressionnisme néerlandais est Marsman. Celui-ci rejette le passé, délibérément, sans passion, et lance des vers inégaux qui suggèrent sans décrire, où l’assonance remplace la rime (Vers, 1923). Plus tard, une période de réflexion affirme ses dons (le Temple et la Croix, 1940). Il trouva prématurément la mort lorsqu’il tenta de gagner l’Angleterre en 1940.

La prose se renouvelle au moment où, en 1932, la revue Forum, fondée avec la collaboration de Marsman, groupe autour d’elle des auteurs éminents : Menno ter Braak, Edgar du Perron et Simon Vestdijk. Ter Braak (1902-1940), direct et lucide, prend conscience du danger hitlérien, qu’il dénonce dans des essais combatifs. Ses œuvres respirent l’individualisme rebelle, repoussant toute conception bourgeoise, intellectuelle ou artistique même (le Deuxième Visage, 1935). Du Perron (1899-1940), d’origine française, rappelle fortement Multatuli, qui est son modèle. Un style ironique, sensible et direct caractérise les ouvrages de cet auteur dont l’idéal est de vivre selon sa propre loi (le Pays d’origine, 1935). Il exerce avec Ter Braak entre 1930 et 1940 une profonde influence sur le développement des lettres. Simon Vestdijk (1898-1971) n’a cessé de se consacrer à son art après avoir débuté comme médecin, d’où lui est resté le goût pour la psychologie. Environ quatre-vingt-dix ouvrages, de nombreux prix littéraires et une renommée internationale confirment le talent de cet écrivain capital. Ses connaissances sont inépuisables en lettres européennes, histoire, philosophie, religion et musique. Prosateur et essayiste avant tout, il use d’une langue simple, nerveuse et sceptique, jamais passionnée. Signalons parmi les meilleures œuvres le Cinquième Sceau (1937) et le Serveur et les vivants (1949).

Après l’invasion et l’écrasement des Pays-Bas par l’Allemagne en 1940, une littérature clandestine se développe à laquelle participent de nombreux écrivains connus : le Chant des dix-huit morts de Jan Campert (1902-1943) ainsi que le Journal d’Anne Frank (1929-1947) et les essais (Amor Fati) d’Abel Jacob Herzberg (né en 1893) représentent les lettres de ces années dramatiques. Après 1945, il n’y a pas de renouvellement total. À côté des œuvres pessimistes et désespérées inspirées par l’existentialisme et le roman américain et qui témoignent d’un profond bouleversement des jeunes auteurs, le courant traditionnel n’est pas interrompu.

Sur le plan de la poésie, Gerrit Achterberg (1905-1962) occupe une place à part, en dehors de son époque. Il est hanté par une seule idée, par un seul désir : faire revenir à la vie la femme qu’il a perdue. Jusqu’à l’épuisement de ses forces, il cherche les mots et les formules magiques qui pourraient la lui rendre (Cryptogames, 1961). La simplicité d’expression au service d’une riche intuition mettent M. Vasalis (née en 1909) au premier rang des poètes de sa génération (l’Oiseau Phœnix, 1947), parmi lesquels se trouve aussi Leo Vroman (né en 1915), auteur de poèmes irrationnels et fluides (Cent Vingt-Six Poèmes, 1964). Le « Groupe expérimental », fondé en 1948 par des peintres et des poètes à Amsterdam, s’exprime dans Podium. Lucebert (né en 1924), peintre, photographe et poète, impose les vers expérimentaux, surréalistes et énigmatiques. Il n’est pas le premier : Hans Lodeizen, mort prématurément en 1950, lui avait ouvert la voie. Ce nouveau courant poétique cherche un contact étroit avec la musique et les arts plastiques. Accueillis par un large public, Lucebert (Amulet [1957], Poèmes [1948-1963]), Gerrit Kouwenaar, Guillaume Van der Craft, Bert Schierbeek, H. C. Ten Berge représentent les tendances pleines de promesses de la poésie actuelle.

Quant à la prose, tous les genres coexistent. Parmi les auteurs, des femmes se distinguent : le monde d’Anna Blaman (1905-1960) est celui de la solitude et de l’angoisse, l’amour occupe une place centrale dans ses romans réalistes et psychologiques (les Perdants, 1960) ; Hella Haasse (née en 1918) s’inspire le plus souvent de sujets historiques dans ses écrits colorés et captivants (la Ville écarlate, 1953) et de souvenirs indonésiens (Oeroeg, 1948), que Maria Dermoût (1888-1962) évoque également (Pas plus tard qu’hier, 1951). D’autres auteurs ont abordé ce sujet qui touche encore de près les Hollandais depuis que les Indes néerlandaises sont indépendantes. Les prosateurs masculins sont tourmentés par la solitude, le dégoût, l’ennui. Les romans, peu réconfortants, révèlent de grands talents : Willem Frederik Hermans (Un enfant prodige ou Un total loss, 1967) et Gerard Kornelis Van het Reve (Soirées [1947], Plus près de toi [1966]). Harry Mulisch exprime dans un style visionnaire l’impénétrabilité de l’homme. À ces noms se joignent encore ceux de Jan Wolkers (Serpentina’s petticoat, 1961), Jacques Hamelink (Horror Vacui), Cees Nooteboom (Le chevalier est mort, 1963) et Alfred Kossmann. Les ouvrages humoristiques de Henriëtte Van Eyk, de Simon Carmiggelt et de Godfried Bomans connaissent une grande popularité.

W.-H. B.-S.

 P. Brachin, la Littérature néerlandaise (A. Colin, 1962). / G. Knuvelder, Handboek tot de geschiedenis der Nederlandse Letterkunde (Bois-le-Duc, 1964 ; 4 vol.). / R. Bodart, M. Galle et G. Stuiveling, Guide littéraire de la Belgique, de la Hollande et du Luxembourg (Hachette, 1972).