Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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paysage (peinture de) (suite)

Pendant les siècles où l’Europe négligeait la description pour le symbolisme naissait en Chine un art du paysage nourri à des sources bien différentes, et dès le principe plus développé que tous les autres genres picturaux. Aux viie et viiie s. déjà, les paysages chinois constituent un art achevé, d’une grande perfection technique et d’une expression complexe, déconcertante pour des Occidentaux habitués à un paysage essentiellement limité. La contemplation du paysage chinois est une expérience dans la durée, son support (un rouleau) étant fait pour se découvrir lentement. Les montagnes l’envahissent du haut en bas : elles ne sont pas dominées par l’homme microscopique qui s’y aventure. La sensibilité aux phénomènes atmosphériques y apparaît beaucoup plus tôt que chez nous, bien servie par la technique du lavis accompagné ou non de couleur. Wang Wei (viiie s.) est un maître du paysage enneigé ; le rouleau horizontal Journée claire dans la vallée, attribué à Dong Yuan (Tong Yuan*) [xe s. ; Boston, Museum of Fine Arts], est d’une admirable subtilité dans la transparence des brumes qui cernent les îlots des sommets. Du xiie au xive s., les artistes des dynasties Song* et Yuan* édifient un style qui influencera tous les paysagistes de l’époque Ming, jusqu’à l’incursion occidentale et même au-delà. Ni plus réaliste ni moins conventionnel que ne le sera par la suite le paysage européen, le paysage chinois n’est pas aussi lié par des préceptes académiques que l’ont cru les Occidentaux. Son originalité essentielle est peut-être d’appréhender la nature sans chercher à la dominer.

À la fin de l’époque gothique, le paysage réapparaît en Europe. C’est au mouvement de la pensée, non à une tradition picturale, qu’est liée cette résurrection. La naissance de l’individualisme, la relative prospérité, la constitution d’unités politiques nouvelles n’y sont pas étrangères. L’un des premiers chefs-d’œuvre du paysage italien n’est-il pas celui qui sert de fond à l’allégorie du Bon Gouvernement, peinte par Ambrogio Lorenzetti* au Palais public de Sienne ? Les rivages soigneusement ordonnés du lac Léman, où Konrad Witz* place la Pêche miraculeuse, les grasses campagnes du centre de la France célébrées par Fouquet* et par le Maître de Moulins prolongent en les ouvrant à la foule les jardins clos des maîtres rhénans. Au paradis de Van Eyck*, la représentation symbolique s’accommode de la précision du botaniste, émerveillé devant la variété des essences. La même passion descriptive est transformée en fantastique par Jheronimus Bosch*. Cette veine nordique trouve son terme et son couronnement, après les larges vallées parsemées de verrues rocheuses de Patinir*, dans l’œuvre de Bruegel* l’Ancien. La multiplicité des centres d’intérêt y élargit la vision à des dimensions cosmiques : Icare sombrant dans les flots, la crucifixion même y sont des accidents du paysage.

Patrie de la perspective scientifique, l’Italie du xve s. semble regarder le paysage au stéréoscope. La prairie du Printemps de Botticelli* monte comme une scène de théâtre vers un rideau d’arbres schématiques. La passion du trompe-l’œil se manifeste dans le paysage architectural (d’une virtuosité spéciale en marqueterie) ; la sage symétrie des cités idéales de Francesco di Giorgio Martini* fait pendant à celle des vallées du Pérugin*, d’une sérénité un peu mièvre, anoblie par Raphaël*. Mais c’est à Rome, à la fin du xvie s., que s’élabore le paysage classique : Flamands et Hollandais y apportent un goût du plein air qui conflue avec l’académisme*. Transformée par le Dominiquin (1581-1641) et par l’Albane (Francesco Albani, 1578-1660), la campagne romaine devenait le lieu idéal où convergeaient les imaginations de ce temps, fait de renoncement à l’accidentel et d’ouverture à un univers que l’on devinait infini. Dès lors, Le Lorrain* et Poussin* menaient à des hauteurs inégalées un genre que les académies considéraient encore comme mineur.

L’école des paysagistes hollandais du xviie s. est beaucoup moins intellectuelle et plus directement sensible. Les cieux tourmentés de Ruysdael*, les marines de Van Goyen* ouvrent enfin à la peinture un nouveau champ d’investigation : l’atmosphère. Leur influence donna le goût du paysage « naturel » à la France du xviiie s. À côté de Desportes*, Oudry*, grand admirateur de Nicolaes Berchem (1620-1683), y représente le genre, notamment par ses illustrations des fables de La Fontaine ; plus tard s’épanouissent les mélancoliques frondaisons de Fragonard*, annonciatrices, après celles de Watteau*, du trouble romantique, comme le furent les ruines d’Hubert Robert*, plus ombragées, moins minérales que celles de Giovanni Paolo Pannini (v. 1691-1765) ou de Piranèse*. Triomphant dans un genre apparemment rigoureux, les vedutistes vénitiens n’échappent pas à cette langueur, exprimée par le silence glauque des eaux chez Canaletto* et Francesco Guardi*, par les fantaisies un peu inquiétantes de Michele Marieschi (1710-1744). La tourmente se déchaîne chez le Génois Alessandro Magnasco (1667-1749), dont l’écriture orageuse tranche sur la manière très dessinée des Romains et des Vénitiens.

Le style champêtre, disait Roger de Piles (1635-1709), représente la nature « avec tous les ornements dont elle sait bien mieux se parer lorsqu’on lui laisse sa liberté que quand l’art lui fait violence ». Que n’aurait-on pu espérer de l’exploration de l’Amérique ! Or, les premières vues de New York, tardives, sont fortement influencées par les gravures hollandaises, et certains notables du xviiie s. sont portraiturés sur des fonds de paysages typiquement anglais. Thomas Birch (1779-1851), anglais d’origine, peint des marines à la Vernet*. Son contemporain Washington Allston (1779-1843) prend pour modèle Salvator Rosa (1615-1673) lorsqu’il représente les chutes du Niagara. Après une période dominée par le romantisme allemand apparaît enfin, vers 1825, une école vraiment nationale, qui décrit les beautés de la vallée de l’Hudson. Ainsi, il a fallu aux Américains dompter leur terre par deux siècles d’occupation avant de la peindre authentiquement. Tout se passe comme si, en Occident, le paysage n’avait pu s’épanouir hors d’un état d’équilibre, d’un consensus social.