Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Argentine (suite)

Au total, à la fin du xviiie s., existe une zone en développement rapide, s’enrichissant de son rôle d’intermédiaire entre la métropole d’une part, le Pérou et le Chili d’autre part. À Buenos Aires, Salta, Córdoba, Tucumán, d’habiles commerçants, liés à la politique, sauront faire face à la grave crise provoquée par les guerres révolutionnaires et napoléoniennes : il n’y a plus alors de communications suivies avec l’Espagne, mais les hasards de la politique ouvrent des possibilités extraordinaires ; pour la première fois arrivent à Buenos Aires des bateaux américains, suédois, russes, turcs. Madrid ne peut qu’autoriser le commerce avec les neutres et avec les alliés ; c’est la fin du « pacte colonial », l’indépendance économique de fait. Pourtant, personne ne pense à l’indépendance politique, personne ne semble la désirer.


L’indépendance

En 1806 et 1807, les tentatives anglaises sur Buenos Aires échouent devant la résistance des milices organisées par Santiago Antonio María de Liniers (1753-1810), Français au service de l’Espagne. C’est la disparition du pouvoir royal devant l’invasion napoléonienne qui va provoquer l’indépendance. La première réaction est de loyalisme : lorsque l’ambassadeur de Napoléon arrive à Buenos Aires pour rallier La Plata au roi Joseph, malgré les sympathies évidentes du vice-roi Liniers, la décision est favorable à l’Espagne. Mais, rapidement, le séparatisme succède au loyalisme, et Buenos Aires, qui a accepté d’abord le nouveau vice-roi désigné par la junte de Séville, le rejette pour se donner une « junta » qui regroupe l’élite créole. À partir de Buenos Aires, la révolte va rayonner vers l’intérieur. C’est alors que se définit le territoire de l’Argentine moderne avec la séparation du Paraguay, de l’Uruguay et du haut Pérou (Bolivie). L’Argentine joue un grand rôle américain, comme ultime réduit rebelle entre 1813 et 1817, puis comme vainqueur de l’Espagne en la personne de José de San Martín*. San Martin a combattu comme officier dans les troupes espagnoles contre Napoléon ; en 1812, il revient en Argentine aux côtés des patriotes. Il est l’organisateur d’une armée qui s’inspire du modèle napoléonien, avec laquelle il franchit les Andes, renouvelant sur une dimension américaine l’exploit d’Hannibal, pour sauver le Chili, puis libérer le Pérou en réalisant la jonction avec Bolivar. Nouveau Cincinnatus, il s’efface en 1822 au profit de Bolivar. De ce héros militaire, les Argentins se rappellent souvent qu’il a dit : « L’armée est un lion qu’il faut tenir en cage sans le laisser sortir avant le jour de la bataille. »


La construction de l’État et de la nation


Anarchie et caudillos : 1820-1852

En 1820, l’unité nationale a perdu toute consistance, et les caudillos provinciaux règnent sans partage, guerroyant entre eux. La province de Buenos Aires a trois gouverneurs rivaux, et la paix ne se rétablit que par la disparition du pouvoir central, remplacé par un système de pactes interprovinciaux. Les centralistes unitaires croient triompher quelques années plus tard avec Bernardino Rivadavia (1780-1845), le caudillo libéral : il dote le pays d’une Constitution en 1826, mais il est renversé en 1827 par le soulèvement de Juan Facundo Quiroga, au cri de « la religion ou la mort ! ». De la confusion qui suit émerge Juan Manuel de Rosas (1793-1877), « le Restaurateur », représentant d’une réaction créole, nationaliste, contre Rivadavia, européisant et modernisateur. Rosas est passé à l’histoire comme le caudillo type. Au pouvoir de 1829 à 1852, il incarne le paradoxe de poser les bases de l’unité nationale avec l’appui des caudillos locaux qui voient en lui le gardien des autonomies locales contre la bourgeoisie centralisatrice de Buenos Aires. Rosas a soumis les caciques provinciaux, et, lorsqu’il est renversé en 1852, il existe une république Argentine unifiée sous sa forme actuelle : un fédéralisme qui ne menace plus l’unité (Constitution fédérale de 1853).

À cette date, l’Argentine n’est guère différente de l’intendance de Buenos Aires, cinquante ans auparavant ; elle compte quelques villes dirigées par la cosmopolite Buenos Aires et la coloniale Córdoba ; les trois quarts de la population sont ruraux, et l’Argentine reste un pays d’élevage où les gauchos n’abattent le bétail que pour sa peau. Il y a encore des zones insoumises entre la pampa de Buenos Aires et les colonies du pied des Andes ; la Patagonie demeure sauvage.


Les révolutions économiques

Avec le départ de Rosas se termine une époque ; l’ère du mouton commence, qui envahit la pampa pour quarante ans, avant de se réfugier dans la Patagonie, qui cesse d’être indienne. Dans la période antérieure, la personnalité des héros attire l’attention ; maintenant, les héros sont le mouton, le fil de fer barbelé, le chemin de fer ; la révolution n’est pas militaire, elle est économique. Les bases de la révolution se posent entre 1853 et 1880 ; après 1880, le changement est vertigineux, la mutation s’accomplit massivement. Entre 1853 et 1880, les conditions du développement économique se mettent en place : maintien de l’ordre à l’intérieur par la suppression des derniers caudillos, élimination des Indiens, création d’un climat favorable pour attirer le capital étranger et les immigrants.

En 1850, l’Argentine n’a qu’un million d’habitants, dont les trois quarts sont des Indiens et des métis ; en 1914, elle a près de 8 millions d’habitants, dont 30 p. 100 sont nés à l’étranger. C’est après 1880 que l’Argentine entre dans une phase de croissance démographique (de 1850 à 1940, il y a 7,4 millions d’immigrants, dont 44 p. 100 d’Italiens et 31 p. 100 d’Espagnols) et économique. Après 1880 commence l’ère du frigorifique et du fil de fer barbelé, du chemin de fer et du blé : 52 millions de moutons pour la seule province de Buenos Aires en 1895, 32 000 km de rail en 1913 (2 300 en 1880). Ainsi le niveau de vie et l’instruction des Argentins peuvent augmenter.