Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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patrons et patronat (suite)

Le patron et l’entreprise

Le patron apparaît dès lors comme celui qui, ayant rassemblé, créé ou acquis des moyens de production, va les mettre lui-même en valeur : il est impossible de comprendre la genèse du patron et du patronat sans saisir ce trait fondamental, le cumul de l’« avoir » et de l’« être », l’« avoir » représentant la propriété de l’usine ou de l’atelier, l’« être », la qualité de chef d’entreprise inhérente à la volonté de faire fructifier et de mettre en valeur soi-même ces biens. Les Wendel, Schneider, Dollfus sont des fondateurs (ou, déjà, des héritiers), mais ils sont eux-mêmes des gestionnaires, des « managers » avant la lettre.

Ce sera seulement à la fin du xixe s. qu’une dichotomie s’opérera entre ces deux fonctions : la fonction patrimoniale, qui, dans la grande industrie, trouve son expression dans les conseils d’administration des sociétés* anonymes de la loi du 24 juillet 1867, et la fonction gestionnaire, exercée par des grands cadres (nouveaux patrons), mandatés par les premiers. Des fragments entiers de patronat (textile, industries alimentaires) ne se transformeront même, sur ce plan, que beaucoup plus tard (après les années 1950), au terme d’une « défamilialisation » extrêmement lente et d’ailleurs partielle en France (v. entreprise).

C’est dans cette optique qu’il faut comprendre plus d’une réaction patronale : le pouvoir patronal est un pouvoir « domestique » à sa source, s’exerçant dans l’enceinte d’une propriété privée, un peu comme il s’exerçait jadis sur le domaine foncier, à ceci près que les masses laborieuses seront beaucoup moins intégrées, au début de la grande industrie, à l’atelier ou à l’usine que leurs devancières n’avaient pu l’être à la terre, au domaine foncier de l’Ancien Régime.

Le chef d’entreprise trouve son pouvoir de commandement sur les hommes qu’il embauche au terme d’une double législation, extrêmement simple, sinon simpliste, incluse dans le Code civil : la législation sur la propriété privée, d’une part, législation qui protège, au cours du xixe s., celle-ci d’une manière absolue (les grèves avec occupation de 1936 seront accueillies par les patrons avec stupeur) ; la législation sur le contrat de travail (contrat civil de l’article 1780 du Code civil), d’autre part, contrat qui n’est soumis à aucune condition autre que celle de la libre confrontation de l’offre et de la demande entre patrons et travailleurs salariés, travailleurs dont seule la syndicalisation croissante atténuera la faiblesse.

Chef des hommes, le patron est par ailleurs un gestionnaire de son entreprise. Il est — aidé de quelques cadres*, qui, d’ailleurs, n’apparaissent que dans la grande industrie (le « contremaître » est, au xixe s., le cadre moyen type de nombreuses entreprises) — celui qui assume les fonctions commerciale (la vente) et technique (la production). Il assume surtout une fonction toute nouvelle (inconnue de l’état économique et social statique de l’Ancien Régime), informelle, mais omniprésente, la fonction qui consiste à assurer la croissance : à l’interdiction, en effet, d’employer plus d’un certain nombre de métiers dans le textile, interdiction encore en vigueur au xviiie s., a succédé la liberté la plus totale d’augmenter la capacité de production de l’entreprise ; le patron devient l’homme clé de la décision économique, et il n’est pas étonnant que les économistes, notamment depuis Saint-Simon, l’aient placé au centre de la théorie économique (J. Schumpeter, notamment). L’équipement, la croissance économique de la nation vont reposer ainsi sur les décisions d’investissement* des entrepreneurs.

Une évolution, assez lente jusque vers 1850, s’accélérera dès 1870. Partis un demi-siècle en retard sur leurs confrères anglais, les industriels français modernisent l’industrie textile, la sidérurgie et la construction mécanique (révolution de l’acier Bessemer après 1855, introduction d’énormes marteaux-pilons chez Schneider dès 1838), avant que, vers la fin du siècle, une deuxième révolution industrielle n’amène avec elle la chimie, l’électricité, la construction automobile, puis les constructions aéronautiques, renouvelant totalement dès lors les rangs du patronat.


Le patronat, groupe social dans la nation


Des vagues successives

• Les patronats du xixe s. Une première « vague », que l’on peut dater sommairement des années 1820 et 1830, représente notamment les maîtres de forges, beaucoup plus disséminés géographiquement que de nos jours : la Champagne et la Haute-Marne, le Berry et le Nivernais, la Bourgogne et le Bourbonnais, le Sud (Decazeville, Alès), enfin — régions qui s’effaceront après 1860 pour laisser la place aux grandes concentrations qui préfigurent l’époque moderne (le Nord et l’Est particulièrement) — forment la carte de la première France industrielle.

Le maître de forges, qu’il soit exploitant de hauts fourneaux ou exploitant d’usines de constructions mécaniques (Schneider, Cail), occupera le devant de la scène : beaucoup plus tard, lorsque le groupe s’organisera (définitivement en 1946 avec le C. N. P. F.), des récriminations seront formulées par certaines ailes du patronat (les petites et moyennes entreprises) contre l’emprise trop grande du patronat des industries « lourdes » par rapport aux représentants des entreprises familiales. L’industrie sidérurgique et ses syndicats (Union des industries métallurgiques et minières [U. I. M. M.] notamment) prendront à leur compte une bonne part de ces critiques. La charge « managerielle » de ces grands chefs d’entreprise est cependant déjà tellement complexe, les problèmes de vente, les problèmes techniques, ceux de l’innovation* sont tellement délicats à résoudre — par rapport aux problèmes qu’affrontent les autres industries — que le patronat de la métallurgie peut être, à bon droit, considéré comme une véritable aristocratie industrielle, occupant la place de leader dans le groupe en formation.