Paris (suite)
Mais les servitudes résidentielles, avec en particulier l’interdiction d’ouvrir des boutiques, et le caractère excentrique de cette nouvelle zone urbaine freinent considérablement le peuplement. Un autre obstacle aux déplacements de population et à l’activité économique résidait dans l’absence de liaison rationnelle entre les deux rives. Il n’y avait aucun pont entre les faubourgs de l’est, non plus qu’entre les Invalides et les Champs-Élysées. À partir de 1801 sont jetés sur la Seine quatre ponts à péage : entre la Cité et l’île Saint-Louis, entre le Louvre et l’Institut (pont des Arts), entre le Jardin des plantes et l’Arsenal (pont d’Austerlitz) et enfin entre le Champ-de-Mars et Chaillot (pont d’Iéna). Des quais vont border la partie occidentale du fleuve au-delà du Pont-Neuf.
À l’apogée du grand Empire, le triomphalisme monumental, déjà perceptible avec l’érection de l’arc du Carrousel et de la colonne Vendôme, rejette à l’arrière-plan les préoccupations édilitaires. Le projet des Halles est abandonné, mais l’Empereur décrète la construction de l’arc de l’Étoile et, sur la colline de Chaillot, est prévu le colossal palais du roi de Rome, qui ne verra pas le jour. En définitive, le bilan est modeste. Paris attendra encore longtemps l’aménagement global que Napoléon avait rêvé.
Louis Nicolas Dubois
Préfet de police de 1802 à 1810 (Lille 1758 - Vitry 1845).
Avocat, il achète en 1783 la charge de procureur au Châtelet. Ambitieux et actif, il est d’une intégrité douteuse. L’incendie de l’ambassade d’Autriche en 1810, qui faillit coûter la vie à l’impératrice, lui vaut d’être destitué.
Nicolas Frochot
Préfet de la Seine de 1800 à 1812 (Dijon 1761 - Etuf, Haute-Marne, 1828).
Notaire. Député à la Constituante. Collaborateur de Mirabeau, emprisonné sous la Terreur. Député au Corps législatif. Administrateur intègre et appliqué, mais sans initiative, il sera disgracié en octobre 1812 à la suite du complot du général Malet. Préfet des Bouches-du-Rhône pendant les Cent-Jours, il se retire sur ses terres après Waterloo.
Du Paris de Balzac au Paris d’Haussmann (1815-1853)
Paris va conserver dans ses grandes lignes, jusqu’au second Empire, son cadre archaïque et hétérogène. En dépit d’une pression démographique et économique sans précédent, l’équipement de base demeure inchangé. Habitations et moyens de communication, adducteurs d’eau et égouts, halles et marchés se révèlent inadaptés et vétustes. À côté du Paris aimable et coloré que ressuscitent les tableaux de G. Canella et de E. Lami surgissent le Paris sinistre de C. Méryon, l’obscurité mortelle des vieilles rues de la Cité. Bientôt les photographies de Marville vont permettre de compléter l’implacable constat qu’avaient dressé depuis les premiers temps de la Restauration les statistiques et les rapports officiels, celui d’une ville malade et dangereuse, étouffée sous le poids de sa population et rongée par la misère.
Croissance démographique et paupérisme
De 547 000 habitants en 1801, la capitale est passée à plus de un million en 1851, soit un doublement en cinquante ans, et ce dans un espace qui n’a subi aucune modification notable. L’augmentation de population a porté surtout sur la rive droite, sur les faubourgs de l’ouest, aisés, comme sur ceux de l’est et du nord, plus populaires. Entre 1801 et 1846, le quartier du Roule est passé de 9 000 à 40 000 habitants, les Champs-Élysées de 7 000 à 33 000, la Chaussée-d’Antin de 10 000 à 30 000. Dans le même temps, le faubourg Saint-Martin passait de 10 000 à 39 000, le faubourg Saint-Antoine de 10 000 à 20 000, Popincourt de 7 000 à 32 000.
Une exception toutefois, la rive gauche demeure très en retard, surtout le Xe (le noble faubourg Saint-Germain) et le XIe (le Quartier latin). La banlieue se peuple rapidement de son côté. La petite banlieue (les communes annexées en 1860) passe de 75 000 habitants à 220 000 entre 1831 et 1851 ; la grande banlieue, de 85 000 à 145 000. Sous la monarchie de Juillet, Vaugirard passe de 7 000 habitants à 14 000, Belleville de 27 000 à 34 000, La Chapelle de 14 000 à 18 000, Montmartre de 11 000 à 23 000.
Cette croissance est due essentiellement à un mouvement d’immigration qui déverse sur la capitale, à un rythme à peine ralenti par les crises économiques ou politiques, des centaines de milliers de provinciaux. Paris reçoit ainsi sous la monarchie de Juillet plus de 20 000 individus par an, ruraux ou citadins, Rastignacs ou miséreux, attirés par les perspectives de travail et d’enrichissement. À partir de 1837, la construction des gares — les premiers « embarcadères » de Saint-Germain, de Strasbourg et du Nord — grossit le flot. Les nouveaux arrivants s’installent en majorité à proximité des lieux de travail et d’embauche, près de la croisée historique. Ainsi prolifèrent bientôt les garnis et leurs chambrées où l’on s’entasse à cinq, à six, parfois à dix dans la promiscuité la plus totale, comme ces maçons du Limousin qui colonisent l’insalubre quartier de l’Hôtel de Ville. Bientôt le centre de Paris, de la Cité aux Halles et du Châtelet à l’Arsenal, étouffe sous le poids des vagues d’immigrants. Partout on surélève les immeubles, on divise les étages, on partage et on cloisonne au détriment des conditions les plus élémentaires d’hygiène et de sécurité. « Les densités deviennent monstrueuses » (L. Chevalier), et l’équilibre social est dangereusement menacé. C’est que l’immigration, contrairement au passé, devient définitive, tandis que les possibilités d’embauché, hormis le bâtiment, demeurent limitées. Les nouveaux Parisiens, s’ils s’enracinent et font souche, tranchent nettement sur la population traditionnelle par leurs comportements sociaux et familiaux. Frustes, différents dans leur habillement et leur langage, ils sont en outre rejetés dans les métiers de force, les plus instables et les plus mal rémunérés. Quand le travail manque, quand le pain franchit la limite des 12 ou 13 sous les 4 livres, seuil de l’émeute ou de l’hospice, Paris voit s’accroître démesurément le nombre de ses indigents : 350 000 sous la Restauration, 240 000 sous la monarchie de Juillet. En 1835, on comptait 1 indigent sur 7 habitants dans le faubourg Saint-Antoine, 1 sur 8 dans la Cité, 1 sur 6 dans le faubourg Saint-Marcel. Ces masses qui « campent à l’intérieur de la cité » sont la proie de fléaux sociaux : l’alcoolisme, la prostitution (qui colonise déjà la porte Saint-Denis et s’étend vers le faubourg et La Chapelle), les naissances illégitimes, l’infanticide. Les quartiers pauvres sont le champ d’action privilégié des épidémies, comme le choléra, qui frappe en 1832 et en 1849. On atteint ici des taux fantastiques : 34 décès pour 1 000 habitants dans le quartier Saint-Merri, 47 p. 1 000 rue du Renard, 75 p. 1 000 cour du Maure. Les bouges du quartier de l’Hôtel de Ville sont décimés.
Cette condition sociale sauvage qui ne respecte pas l’enfance et qui aboutit à la plus terrible des inégalités, l’inégalité devant la mort, favorise le banditisme. La Cité devient un repaire et attire dans ses « tapis-francs » la faune dangereuse des Mystères de Paris, que la police surveille mais s’avère impuissante à neutraliser.