Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Paris (suite)

La crise est alors achevée, mais sa longueur a dispersé définitivement le premier noyau d’humanistes constitué à la fin du xive s. par les secrétaires du roi : Gontier Col, Nicolas de Clavanges, Jean de Montreuil, etc. Surtout, elle a provoqué le départ sans retour en 1410 des marchands et des financiers italiens d’origine lucquoise : les Rapondi et les Isbarre. Privé en outre de la présence du souverain dont la méfiance a été accrue par l’attitude probourguignonne de la population et des docteurs de l’Université, notamment lors de la signature du traité de Troyes et lors du procès de Jeanne d’Arc, Paris n’est plus qu’une capitale économique régionale orientée vers le négoce des produits alimentaires (vin, grains, etc.) ; il ne dispose pour entreprendre sa reconstruction et celle de sa région que des capitaux des notables, groupe constitué par des clercs ou des laïques, d’origine nobiliaire ou roturière, membres de cours souveraines toujours présents à Paris et donc possesseurs d’offices royaux qu’ils tendent à rendre héréditaires dans leur famille.


Du réveil économique à l’effacement politique

Le rétablissement par Charles VII de la foire du Lendit le 15 avril 1444, la reprise de Rouen assurant la réouverture de la route normande en 1449, le maintien à Paris d’une importante population qui, après l’étiage de 1421-1423 (moins de 100 000 hab.), en compte de nouveau 220 000 vers 1550, grâce à une forte immigration rurale, tous ces faits accélèrent la reprise économique. Celle-ci ne s’affirme pourtant réellement qu’à partir des années 1490-1500, lorsque le tardif relèvement du prix des grains incite enfin la bourgeoisie du négoce à investir ses capitaux en terres et en rentes constituées, ce qui incite la monarchie à faire garantir l’émission d’un emprunt royal par la Ville de Paris : ainsi naissent en 1522 les rentes sur l’Hôtel de Ville.

Paris est alors animé d’une intense vie intellectuelle à laquelle participent les écoliers de l’Université, tel l’étonnant poète François Villon. Il accueille dès 1470 une industrie nouvelle introduite par Guillaume Fichet : l’imprimerie, à laquelle Henri Estienne assure au xvie s. un essor incomparable qui facilite la diffusion de la pensée des humanistes, puis celle des idées des réformés. Sous le règne de François Ier, la ville devient la capitale des lettres et des arts de l’Europe. Le souverain confie en effet la direction de la Bibliothèque royale à Guillaume Budé, fonde en 1530 le Collège de France, où des lecteurs royaux enseignent les langues (latin, grec, hébreu, arabe) et les mathématiques, rénove le patrimoine monumental de Paris en ouvrant les chantiers de construction de l’Hôtel de Ville en 1533, celui du Louvre, dont il oriente en 1546 le développement vers l’ouest, celui de l’église Saint-Eustache enfin, pur joyau de l’art gothique édifié au temps de la Renaissance, pour le triomphe de laquelle témoigne la fontaine des Innocents de Jean Goujon, qui travaille également avec Pierre Lescot et Philibert Delorme à la décoration du Louvre sous Henri II.

Orné, Paris n’en est pas moins assujetti étroitement à la monarchie, qui y établit en 1519 le siège du gouverneur de l’Île-de-France et en 1528 la résidence officielle du souverain avant d’ériger en 1552 le tribunal du Châtelet en présidial. La présence permanente de grands corps de l’État (Parlement, Chambre des comptes, chancellerie, Cour des aides, Cour des monnaies) dans l’enceinte de l’ancien Palais royal de la Cité, la proximité de la frontière sise en fait sur la Somme depuis la fin du xve s. expliquent ce souci de la monarchie de contrôler étroitement une ville dont elle redoute toujours les révoltes possibles. Elle ne les empêche pas, la Réforme aidant. Divisée à la suite de l’affaire des Placards en 1534, mais restée en majorité catholique, la population parisienne se réunit autour des bûchers d’Étienne Dolet, d’Anne Du Bourg allumés respectivement en place Maubert et en place de Grève les 3 août 1546 et 23 décembre 1559 ; surtout, elle participe le 24 août 1572 au massacre de la Saint-Barthélemy, anime la Ligue catholique et proespagnole, à la tête de laquelle Henri de Guise chasse Henri III le 12 mai 1588 lors de la journée des Barricades. Le « conseil des Seize », qui prend en main les destinées de Paris, proclame la déchéance du souverain. Mais Henri III meurt le 1er août 1589 assassiné à Saint-Cloud par Jacques Clément alors que, allié à Henri de Navarre, il a mis le siège devant Paris. La capitale n’accueille finalement Henri IV que le 22 mars 1594, après son abjuration le 25 juillet 1593 et son sacre à Chartres le 27 février 1594 : « Paris vaut bien une messe ! »

Henri IV assure la rénovation du patrimoine monumental de Paris (place Dauphine, place Royale [auj. place des Vosges], Pont-Neuf, Galerie du Bord-de-l’Eau entre le Louvre de François Ier et d’Henri II et les Tuileries de Catherine de Médicis). Celle-ci se poursuit grâce à Marie de Médicis, à Richelieu, à Anne d’Autriche et à Louis XIV, qui font édifier le palais du Luxembourg, la chapelle de la Sorbonne, le Palais-Cardinal (auj. Palais-Koyal), le Val-de-Grâce de François Mansart, la cour Carrée du Louvre, enrichie extérieurement de la colonnade de Perrault, l’hôtel des Invalides, les portes Saint-Denis et Saint-Martin. Complété par le lotissement de quartiers nouveaux (île Saint-Louis, faubourg Saint-Germain, etc.), qui se couvrent d’hôtels construits à grands frais par les courtisans et peut-être plus encore par les membres des cours souveraines ou même par les bourgeois, dont les profits du négoce sont investis en offices ou en terres, cet effort monumental ne s’explique que par la présence du roi au Louvre jusqu’en 1677-1682. C’est cette présence également qui facilite l’érection de l’évêché de Paris en archevêché en 1622 et qui favorise la survie d’un artisanat de luxe animant en particulier les galeries marchandes du Palais.

Louis XIII, tenant compte de cette extension territoriale et de la proximité de la frontière, fait construire entre 1633 et 1636 une nouvelle enceinte qui englobe dans la capitale, portée à 800 hectares, le faubourg Saint-Honoré développé en paroisse autour de l’église Saint-Roch. Sauvé par Richelieu de la menace espagnole en 1636, année de Corbie, mais victime de la peste en 1625-26, en 1630, en 1636 et en 1642, Paris souffre surtout des conséquences de la Fronde*, à laquelle sa population participe en raison de son hostilité au relèvement des droits sur les biens de consommation, à l’établissement de taxes nouvelles levées à Paris (édit du toisé en 1644, édit du tarif et édits bursaux en 1646-1648) et aux conditions mises par le gouvernement au renouvellement du « droit annuel » sur les offices (paulette). La ville s’insurge du 26 au 28 août 1648 pour obtenir la libération du conseiller Broussel et soutient par l’émeute les princes (Condé, Beaufort — surnommé le « roi des Halles » —, etc.) contre Mazarin. Elle est occupée le 1er juillet 1652 par Condé, secouru par la Grande Mademoiselle dans la bataille du faubourg Saint-Antoine. Le 4, Paris se dote d’un gouvernement insurrectionnel avec Broussel comme prévôt des marchands ; mais, épuisée et appauvrie, sa population fait sa soumission le 21 octobre au jeune Louis XIV, qui, profondément marqué par le souvenir des années troubles, n’adhère pas en fait au projet de Colbert de faire de Paris une nouvelle Rome. Aussi le souverain transfère-t-il finalement sa résidence à Versailles le 6 mai 1682, date à laquelle la crise ouverte par Étienne Marcel entre le roi et la capitale en 1356-1358 s’achève par une rupture définitive.