Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
O

ouvrière (question) (suite)

Mais la Commune marque le début d’une véritable guerre sociale, même si le prolétariat français est décapité. « Elle eut, écrit Engels, un immense et universel retentissement. Elle est apparue comme une grande date de l’histoire ouvrière... » C’est l’an I d’une histoire vécue affectivement et mythiquement par la conscience ouvrière : le Temps des cerises, la Commune n’est pas morte, chantonne inconsciemment le prolétaire.

La question ouvrière se ramène à ceci pour les responsables politiques : peut-on, et comment, détacher les prolétaires du socialisme ?


L’ère du taylorisme et des syndicats


Augmentation de la valeur-travail, augmentation des profits

La prodigieuse croissance du capitalisme à la fin du xixe s. est la contrepartie des nouvelles conditions dans lesquelles s’exerce le travail ouvrier. Certes, le nombre des employés croît plus vite que le nombre des ouvriers d’usine, mais ce dernier continue à augmenter : il passe de 5 à 7 millions aux États-Unis et de 3 à 4,5 millions en Russie entre 1895 et 1914.

Le paupérisme reste l’élément important de la vie ouvrière, car l’augmentation du salaire nominal est contrecarrée par l’augmentation des prix. Une enquête menée en 1893 par le département américain du travail montre que la moitié du salaire des métallurgistes est consacrée à la nourriture. Les ménages ouvriers étudiés en 1898 à Paris par O. Du Mesnil et Mangenot consacrent le sixième des salaires au logement, la nourriture y représente moins de un franc par jour et par tête, alors que le kilogramme de viande vaut 1,50 franc.

La hausse du salaire réel est lente : pour un indice 100 en 1880 en Angleterre, on trouve un indice 132 en 1900 et 134 en 1913 ; en Belgique, il y a même baisse entre 1904 et 1913 (indices 104 et 100).

La part des salaires dans les revenus nationaux baisse : elle était d’environ 50 p. 100 au milieu du siècle, elle passe à 40 p. 100 au début du xxe s. Aux États-Unis, la part des salaires dans le produit manufacturé passe de 48 p. 100 en 1880 à 40 p. 100 en 1919.

La fortune continue à se concentrer : en Prusse, les revenus, d’après l’impôt, croissent de 75 p. 100 pour les tranches supérieures à 100 000 mark, et de 36 p. 100 pour la tranche de 3 000 à 6 000 mark, entre 1896 et 1902. La part du capital augmente sans arrêt : aux États-Unis, entre 1900 et 1914, les salaires représentent une masse doublée, alors que le nombre de salariés a augmenté de 40 p. 100. Mais, dans le même temps, le capital voit ses revenus augmenter de 2,5 fois. En Angleterre, en 1914, 85 p. 100 de la richesse nationale va à 5 p. 100 de la population.

L’augmentation de la productivité du travailleur explique ces chiffres : après W. Wundt et H. Münsterberg, Taylor organise, pour la Bethlehem Steel Co., le temps standard nécessaire à chaque geste de l’ouvrier. En dépit des critiques des syndicalistes (Émile Pouget écrit en France l’Organisation du surmenage), le système se répand. Le temps nécessaire pour fabriquer un objet se calcule désormais au cinquième de seconde, l’étude des mouvements va jusqu’au centième de seconde. Le temps ouvrier, indéfiniment émiettable, devient un élément indépendant de la volonté du travailleur. Le salaire à primes apparaît dans la métallurgie américaine vers 1870. Les systèmes Rowan, Bedeaux, etc., reviennent à ce que le rendement ouvrier croît toujours plus vite que son salaire. Ainsi, dans le système Rowan, si le rendement augmente de 50 p. 100, le salaire augmente de 33 p. 100 ; si c’est de 100 p. 100, de 50 p. 100 ; si c’est de 200 p. 100, de 66 p. 100. Le système Bedeaux a abouti à un accroissement de la production de 50 p. 100 contre une augmentation des salaires de 20 p. 100.


L’épopée syndicale

Les syndicats prennent en main la question ouvrière (v. syndicalisme). Dès 1873, les grèves recommencent en Grande-Bretagne. Elles aboutissent au vote de la loi « patrons et employés » (1875). L’unionisme sort du ghetto des travailleurs qualifiés. La grève des dockers de Londres en 1889, celle des mineurs de la Ruhr, marquent le début des grands conflits sociaux modernes.

En France, après l’interdiction votée par l’Assemblée de l’affiliation à l’Internationale (1872), le mouvement se reconstitue : en 1876 s’ouvre à Paris le premier congrès des chambres syndicales strictement ouvrières. Il réclame la journée de huit heures, la suppression du travail de nuit, etc. Vers 1877, guesdisme et marxisme (ce dernier sous l’influence de Paul Lafargue) pénètrent le mouvement. Le congrès de 1879 à Marseille réclame les libertés de réunion et d’association, le repos hebdomadaire, le minimum légal des salaires. Les grèves des mineurs à La Grand-Combe, en 1881, à Montceau-les-Mines, en 1882, montrent la vitalité des organisations.

La première tentative nationale d’organisation syndicale en France date de 1886, à Lyon.

En 1875, le conseil municipal de Paris est saisi d’une demande de création d’une Bourse du travail. Il refusera jusqu’en 1886. En 1892, il y avait quatorze Bourses. Elles se groupent à cette date en une fédération nationale, dont Fernand Pelloutier (1867-1901) devient secrétaire général en 1895. Conférences, cours techniques, coordinations deviennent possibles.

En 1909, on compte 1 025 grèves en France, 1 500 en Allemagne, 430 en Angleterre. Aux États-Unis, l’épopée de Joe Hill chante dans toutes les mémoires. La solidarité internationale se développe : la Ruhr fait grève avec les charbonnages britanniques en 1912. Il y a aussi solidarité entre les différentes catégories : en 1911, les cheminots anglais appuient l’action des mineurs, des dockers, des ouvriers du bâtiment. L’idée sorelienne de la grève générale se répand : elle subit un échec en Italie en 1904. Nous verrons le rôle joué par le 1er-Mai à cette époque.

Les effectifs du syndicalisme augmentent : en 1914, il y a 4 millions d’adhérents en Angleterre, 2,5 millions en Allemagne, 2 millions aux États-Unis.

La question ouvrière joue désormais un rôle politique majeur : le syndicalisme allemand se divise entre chrétiens et socialistes, le trade-unionisme appuie le travaillisme, les Industrial Workers of the World (IWW) contestent le réformisme de Samuel Gompers et de l’American Federation of Labor (AFL). Antonio Labriola fait triompher une ligne antiréformiste dans la CGIL italienne...