Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A
A

Aalto (Alvar)

Architecte finlandais (Kuortane 1898 - Helsinki 1976).


Parmi les maîtres de l’architecture moderne, avant tout bâtisseur, hostile aux théories et aux systématisations d’allure prophétique, Aalto est sans doute celui qui accorde aux facteurs humains la plus nette primauté.

S’il se veut « au service de l’homme même quand il est petit, malheureux et malade », l’attention qu’il porte à la vie résulte non d’un plat sentimentalisme, mais d’une adhésion à caractère presque religieux. Il s’est ainsi refusé, dans un projet de cimetière pour le Danemark, à équiper le crématoire d’un monte-charge : à ses yeux, c’est aux vivants de transporter les morts. Surtout, comme le remarque son disciple italien Leonardo Mosso (dans Architecture d’aujourd’hui, no 134, oct.-nov. 1967), il est un de ces architectes dont la discipline tend à recouvrir l’intégralité des problèmes humains. Philosophie, histoire et faits sociaux, nature, science et art sont pris en charge dans un même processus de création, perpétuellement évolutif.

Après le « romantisme national » du commencement du siècle, qu’illustre un Eliel Saarinen*, l’architecture finlandaise traversait vers le début des années 20 une phase de réaction néo-classique, sans que fussent tout à fait oubliées les traditions locales : individualisme protestant, sens du confort quotidien en même temps que virilité et aspirations spirituelles liées à la nature et au climat. Aalto ouvre un cabinet à Jyväskylä en 1923. Entre 1927 et 1933, ce cabinet ayant été transféré à Turku, il réalise ses premières œuvres marquantes : l’immeuble du journal Turun Sanomat, à Turku, le sanatorium de Paimio et la bibliothèque de Viipuri (Vyborg). Par leur netteté fonctionnelle et leurs innovations techniques (éclairage zénithal par lanterneaux ; projection à grande échelle, dans une vitrine, de la première page du Turun Sanomat), ces édifices se rattachent encore au rationalisme prôné, pour la nouvelle civilisation machiniste, par Gropius* ou par Le Corbusier*. Mais ils innovent aussi par des qualités spécifiques — qui se retrouvent partiellement dans l’œuvre du Suédois Gunnar Asplund (1885-1940) : vigueur et liberté inventive (poteaux asymétriques de la salle des machines du journal ; plafond en lattes de bois, ondulé à des fins acoustiques, de la salle de conférences à Viipuri), considération accordée au site, aux rapports de l’architecture et de la nature ambiante (Paimio).

En même temps, Aalto, prolongeant à l’intérieur des édifices son effort d’harmonisation de l’environnement, s’occupe de sélectionner les matériaux, de créer le mobilier, le luminaire et les accessoires (poignées de portes, tissus, verrerie) qui s’accorderont avec l’architecture et rendront superflu tout décor peint ou sculpté. Il met au point la fabrication de sièges en bois laminé et courbé, dont la réputation mondiale dure encore, comme se poursuit l’activité de la maison Artek, fondée en 1931 pour l’étude et la diffusion de cet ensemble de produits.

En 1933, Aalto ouvre son agence à Helsinki. Sa notoriété à l’étranger remonte aux pavillons finlandais qu’il édifie pour les Expositions de Paris (1937) et de New York (1939), remarquables par leur utilisation du bois, matériau national, et par leurs grandes parois inclinées et ondulantes, rythmant un espace interne ininterrompu. En 1940, Aalto devient professeur à l’Institut de technologie du Massachusetts. Quelques années après la guerre, il reprend son activité en Finlande et, bientôt, répond à de multiples commandes hors de son pays. On peut classer ses œuvres principales selon leur fonction :
— Établissements industriels (usine de cellulose de Sunila, avec logements, 1935-1939) ;
— Bâtiments publics (hôtel de ville de Säynätsalo, 1949-1952 ; Institut des retraites populaires d’Helsinki, 1952-1956 ; auditorium municipal et siège des Congrès, ibid., 1968-1972) ;
— Locaux universitaires et culturels (dortoir à l’Institut de technologie du Massachusetts, 1948 ; École normale de professeurs de Jyväskylä, 1952-1957 ; maison de la culture d’Helsinki, 1955-1958 ; École polytechnique d’Otaniemi, 1955-1965 ; centre culturel de Wolfsburg, 1958-1963, et opéra d’Essen, 1962-1965, en Allemagne) ;
— Églises (de Vuoksenniska, près d’Imatra, 1956-1959 ; de Seinäjoki, 1960 ; centre paroissial de Wolfsburg, 1959-1962) ;
— Immeubles d’habitation (à Berlin, dans le quartier expérimental Hansa, 1955-1957) ;
— Maisons (villa Mairea à Noormarkku, 1937-1939 ; villa du marchand de tableaux français Louis Carré à Bazoches-sur-Guyonne, 1956-1959) ;
— Travaux d’urbanisme (plans généraux, dans l’après-guerre, pour Imatra et Rovaniemi ; plan pour le centre d’Helsinki).

D’étape en étape, la thématique d’Aalto s’enrichit, se développe selon une logique propre que caractérise, en face de chaque programme, la vigilance apportée à ses données spécifiques et concrètes. Deux facteurs commandent l’œuvre : sa destination, qui détermine l’agencement d’un espace interne à la fois continu et souplement différencié ; sa mise en harmonie avec le site, la topographie (y compris l’utilisation des accidents du terrain). L’aspect externe des bâtiments et des ensembles, l’articulation asymétrique de leurs plans dépendent de ces deux facteurs, à l’exclusion de tout préalable esthétique, de toute règle. Et cette soumission à des impératifs essentiels devient l’occasion d’un enrichissement formel qui, même dans ses moments de baroquisme, échappe à la gratuité. Proche sous ce rapport de l’architecture « organique » d’un F. L. Wright*, Aalto lui est également apparenté par son usage subtil et sensuel des matériaux : bois dans toutes ses variétés d’emploi, granite, brique, céramique, cuivre, marbre plus récemment. Enfin, sa maîtrise technologique se manifeste par une utilisation à bon escient de la machine. À Vuoksenniska, des parois mobiles actionnées électriquement peuvent subdiviser l’église en trois salles distinctes, qui s’expriment au-dehors par la triple courbure gauchie du mur, courbure obéissant à des conditions acoustiques tout en faisant vibrer une lumière naturelle ou artificielle très étudiée, arrivant des parties hautes de l’édifice : ensemble qui répond, dans sa pureté, à l’impératif du programme — en l’occurrence, une atmosphère de recueillement —, en même temps qu’il postule la liberté de création de l’architecte.

G. G.

 A. Aalto, Architecture and Furniture (New York, 1938). / A. Aalto (sous la dir. de), Alvar Aalto (Zurich, 1963). / K. Fleig, Alvar Aalto (Zurich, 1963-1971, 2 vol.).