fou de Bassan

Fou
Fou

Ses fulgurantes descentes en piqué au-dessus de l'océan font l'étonnement des pêcheurs et des navigateurs. Le fou de Bassan, dont le nom reste en partie une énigme, constitue une espèce très ancienne. Sa structure aérodynamique et ses immenses ailes effilées, adaptées à la traversée des mers, lui ont permis aussi de traverser les âges, puisque ce type d'oiseau existe depuis près de 40 millions d'années.

Introduction

Le fou de Bassan, Morus bassanus, appartient, avec 9 autres espèces de la famille des sulidés, à l'ordre des pélécaniformes. On le retrouve à côté d'autres oiseaux aquatiques comme les pélicans, les cormorans et les frégates. En dépit d'une morphologie qui varie d'une espèce à l'autre, tous les pélécaniformes possèdent un point commun anatomique : un pouce plus ou moins ramené vers l'avant et toujours relié au doigt interne par une palmure. Ce caractère ne se rencontre que chez les membres de cet ordre, dont l'origine remonte sans doute à la fin de l'ère secondaire.

On suppose qu'en ces temps reculés, il existait des pélécaniformes primitifs qui, par la suite, vers le début de l'ère tertiaire, se diversifièrent beaucoup. C'est ainsi qu'apparurent des oiseaux aquatiques incapables de voler, comparables, du point de vue écologique, aux manchots de l'Antarctique.

Ces pélécaniformes spécialisés, appelés « plotoptéridés », sillonnèrent les eaux du Pacifique nord, de l'oligocène au miocène, puis ils s'éteignirent.

Les pélécaniformes fossiles connus à ce jour vivaient en Europe et en Afrique à l'éocène inférieur. On leur a donné les noms de Prophaeton, d'Odontopteryx ou encore de Sigantornis. Les fragments de squelettes ne permettent pas de connaître leur aspect extérieur.

L'existence des fous sous leur forme actuelle remonte à près de 40 millions d'années, leur morphologie ayant su résister au temps. Les plus anciens fossiles connus,  contemporains des plotoptéridés, datent d'il y a une trentaine de millions d'années (oligocène). Certains restes ont été retrouvés dans le centre de la France, près de Gannat, dans le sud du département de l'Allier, et près de Ronzon. D'autres fossiles vieux de 19 et 15 millions d'années ont été découverts non loin de Bordeaux, à Léognan, dans des terrains du burdigalien, et en Amérique du Nord, dans des terrains de la même époque. Des restes plus récents et remontant au pléistocène ont été repérés dans l'océan Indien, sur l'île Rodrigues, à l'est de Madagascar.

La vie du fou de Bassan

Une pêche variée en pleine mer

Peu d'oiseaux laissent autant deviner leur mode de vie à travers leur aspect extérieur que le fou de Bassan. Sa silhouette à la fois aérodynamique et hydrodynamique trahit l'aisance qui est la sienne tant dans l'air que dans l'eau. En fait, le fou ne se déplace malaisément que sur la terre ferme, où il s'aventure seulement à l'occasion de la nidification.

Le reste du temps, il le passe le plus souvent à survoler l'océan, se posant de temps en temps sur l'eau pour prendre un peu de repos s'il en éprouve le besoin. Le vol est pour lui indissociable de l'alimentation. C'est du ciel qu'il scrute la surface des eaux pour y repérer les bancs de poissons, avant de fondre sur sa proie. Il peut certes s'alimenter aussi pendant qu'il nage, en immergeant une partie de sa tête pour repérer sa cible, mais la chute en piqué, suivie du plongeon dans une gerbe d'écume, reste sa technique de pêche la plus courante.

Contrairement à ce que l'on a longtemps cru, le fou n'attrape pas le poisson en arrivant dans l'eau mais durant la seconde phase de l'immersion, lorsqu'il remonte vers la surface en se propulsant à l'aide de ses ailes et de ses pattes palmées. Le temps de plongée est d'ordinaire compris entre 5 et 20 secondes. L'oiseau plonge à une profondeur de l'ordre de 3 à 5 m, avec des pointes à moins de 10 m. Toutefois, les records en la matière n'ont pas été enregistrés avec une fiabilité suffisante. Le fou saisit sa proie par-dessous ; à l'occasion, une brève poursuite sous-marine peut intervenir, si l'oiseau n'a pas fait mouche du premier coup.

Une grande variété de proies

Le fou de bassan est un opportuniste et pêche les proies qui se présentent selon la saison. De nombreuses espèces de poissons figurent à son menu, mais il se nourrit surtout dans les bancs de maquereaux, de harengs et de capelans.  

Les déchets des chalutiers

En dehors de ces proies vivantes, le fou peut, à l'occasion, se contenter d'une pêche rejetée à la mer par des chalutiers, voire de déchets divers, comme des entrailles de poissons, l'oiseau prélevant alors avec le bec ce qui flotte à la surface.

En revanche, les mollusques découverts dans l'estomac des fous grâce aux autopsies effectuées par les chercheurs ne sont pas, semble-t-il, capturés directement par les fous, mais proviennent d'une pêche indirecte : sans doute s'agit-il du contenu stomacal des poissons ingurgités.

Vol et plongeon

Le fou est un excellent voilier. Tantôt il cingle assez haut, tantôt il se tient plus bas, souvent au ras des vagues dont il épouse avec aisance les ondulations par un mouvement de bascule d'une aile sur l'autre. Durant ces évolutions, les fous peuvent former des « trains » de plusieurs dizaines d'oiseaux. Lorsqu'il pique vers l'eau, le fou de Bassan part d'une hauteur de 10 à 40 m, et, dès qu'il aperçoit sa proie, il bascule vers l'avant, puis ferme peu à peu les ailes pour accélérer sa chute. Une fraction de seconde avant l'impact, les ailes restent tendues vers l'arrière, dans le prolongement du corps, de façon à mieux s'enfoncer dans l'eau.

Le retour àla terre ferme et le temps des parades

Au cœur ou à la fin de l'hiver, selon la latitude, les fous reprennent le chemin de la côte et s'installent en colonies d'une dizaine à plusieurs milliers de couples sur une falaise, face au grand large. Les mâles, précédant les femelles de quelques semaines, reprennent possession du nid occupé l'année passée. Les jeunes oiseaux prêts à en créer un nouveau arrivent presque toujours plus tard. Les partenaires, plutôt fidèles dans l'ensemble, resserrent au printemps leurs liens conjugaux. Mais les femelles se montrent plus versatiles que les mâles.

La parade nuptiale des fous est toujours très ritualisée. Le mâle commence par prendre position sur l'emplacement de l'ancien ou du futur nid. Pour signaler à la colonie qu'il détient un espace convenant à la reproduction, il secoue la tête d'un côté et de l'autre, entrecoupant ces mouvements latéraux de hochements, le bec pointé tantôt vers le nid, tantôt vers la femelle, si celle-ci, qui surveille ce manège du ciel ou de la terre ferme, se manifeste. À l'approche de sa compagne, le mâle, plutôt agressif, lui pince du bec la nuque, et la femelle se détourne avec dédain. La cérémonie nuptiale peut alors commencer.

Dans un concert de cris gutturaux, les partenaires se font face, poitrine contre poitrine, ailes tantôt ouvertes tantôt à demi fermées, puis déployées. Les cous se dressent, les becs s'entrechoquent, comme deux épées. À la fin d'un tournoi ponctué de courbettes et d'entrecroisements de cous, la tête de chaque protagoniste se dresse alors derrière le dos de l'autre, et la femelle donne enfin son assentiment : elle secoue la tête et se couche sur le sol. Le mâle grimpe sur son dos et s'y maintient quelque temps en pinçant les plumes de la nuque de sa compagne et en déployant les ailes.

Une nouvelle ébauche de parade suit l'accouplement : les deux partenaires se frottent mutuellement du bec les plumes du cou pour une sorte de toilette.

Des nids par centaines et un œuf par nid

Hautement grégaires en période de reproduction, les fous de Bassan installent leurs nids à proximité immédiate les uns des autres. La densité maximale atteinte est de 2,3 nids par mètre carré. En général, les nids sont distants de 60 à 80 cm, de centre à centre.

C'est le mâle qui assure seul les travaux de création ou de réfection du nid, au moins jusqu'à ce que la femelle ait pondu. Cette dernière ne participe qu'ensuite à la tâche qui se poursuit tout au long de la couvaison.

Les nids sont constitués d'un entassement d'algues mêlées à des brins d'herbes, à des débris végétaux divers et à des plumes. Recueillis pour la plupart à la surface de l'eau, ces matériaux sont cimentés avec de la terre et surtout avec la fiente des oiseaux.

Le pillage des autres nids n'est pas rare et donne lieu à d'âpres et bruyantes querelles de voisinage. Une fois terminé, l'édifice d'algues a une hauteur de 30 à 60 cm.

La coupe interne destinée à recevoir l'œuf est tapissée de matériaux de même nature que ceux ayant servi au gros œuvre, mais plus fins. Les fous se contentent alors de supprimer les plus gros parmi les matériaux qu'ils ont réunis, pour ne laisser subsister que les plus ténus. Puis ils façonnent la coupe par des mouvements tournants et des pressions de la poitrine et du ventre.

Ces préparatifs achevés, la femelle peut enfin déposer son œuf unique, dont la coquille bleu pâle est couverte d'une couche de calcaire qui se teinte au contact du nid et prend une couleur brune, parfois même noire. Dans des conditions normales, une seule ponte a lieu. Si le premier œuf est perdu, une ponte dite « de remplacement » est effectuée.

La courbette

La courbette



Pour éviter les combats, un code de conduite très précis existe chez les oiseaux nichant en colonies denses. La « courbette » du fou de Bassan, plus accusée chez le mâle, est une attitude hiératique, fortement agressive, destinée à défendre le nid et à repousser un intrus trop proche.

Une surveillance de tous les instants

À l'éclosion, le jeune fou de Bassan a les yeux fermés et n'est couvert que d'un duvet blanchâtre, ras et clairsemé, qui laisse apparaître une peau noirâtre. Sa dépendance à l'égard de ses parents est totale. La garde du mâle dure en moyenne vingt-deux heures, celle de la femelle dix-neuf heures. En fait, même au-delà des premières semaines, alors que le jeune fou n'a plus besoin d'être réchauffé, l'un des adultes demeure toujours auprès de lui jusqu'à l'envol définitif.

Au début de sa croissance, le jeune reçoit de petites quantités de nourriture à des intervalles assez rapprochés. Vers un mois, des portions plus consistantes lui sont distribuées, trois fois par jour environ. L'oisillon ne puise pas sa nourriture dans le tube digestif de l'adulte, il récupère en général dans la cavité buccale de son père ou de sa mère les poissons partiellement digérés qu'ils régurgitent. Ce réflexe de régurgitation de l'adulte est provoqué par le contact avec le bec du jeune. Après quelques semaines, les parents régurgitent la nourriture à proximité du nid, ce qui leur permet  de s'en éloigner. Les expéditions de pêche peuvent en effet durer treize heures et entraîner le fou jusqu'à 160 km, voire 600 km, de la colonie.

Couvaison de l'œuf

La couvaison est prise en charge par les deux partenaires, le mâle couvrant l'œuf de ses pattes en moyenne 35 heures d'affilée, la femelle 30 heures environ. La relève au nid donne lieu à une cérémonie qui n'est pas sans rappeler la parade nuptiale. Peu avant l'éclosion, alors que le poussin se manifeste à travers la coquille par d'insistants pépiements, l'adulte fait passer l'œuf au-dessus de ses pattes, de façon à ne pas gêner les efforts entrepris par le poussin pour briser sa coquille et s'en extraire. Durant les deux premières semaines de son existence, le jeune fou est encore couvert et réchauffé par les deux adultes, qui s'en occupent à tour de rôle.

Plumages successifs

Le premier duvet du nouveau-né est bientôt remplacé par un second, d'un blanc plus pur, à la fois plus long et plus fourni, et assurant donc une meilleure protection thermique. Enfin, au bout de 6 semaines, le plumage juvénile, d'un brun noirâtre moucheté de blanc, commence à se substituer au second duvet. Après avoir passé environ 3 mois au nid (de 85 à 97 jours), le jeune n'est plus ravitaillé et doit s'élancer vers l'océan. Comme tous les jeunes oiseaux, il le fait avec une certaine maladresse, puisqu'il ne maîtrise pas encore suffisamment la technique de ses parents. Pendant quelque temps, il se contente de flotter à la surface de l'eau, puis il multiplie les essais de vol. Son initiation à la pêche repose ensuite sur son instinct et sur l'imitation des oiseaux qui ont plus d'expérience.

Quand l'automne survient, les jeunes fous nés sur les côtes européennes prennent la route vers le sud afin de passer l'hiver au large du littoral africain, des côtes, du Maroc à celles de la Guinée. Les jeunes nés au Canada dépassent, quant à eux, la Floride et atteignent le golfe du Mexique.

Pour tout savoir sur le fou de Bassan

Fou de Bassan (Morus bassanus)

Le fou de Bassan est le plus grand oiseau marin vivant en Europe. Sa silhouette est tout à fait originale : le corps forme un fuseau effilé aux deux extrémités avec le bec, acéré en poignard, et la queue pointue, d'une vingtaine de centimètres, aux 6 paires de plumes (les rectrices) en dégradé, leur longueur diminuant du centre vers les côtés.

Mâle et femelle adultes sont presque entièrement blancs, à l'exception du triangle noir du bout des ailes et d'une nuance chamois clair à l'arrière de la tête. Le bec blanc bleuâtre est parcouru de fins traits noirs nettement dessinés. Sous le bec existe une mince bande de peau sombre dépourvue de plumes appelée « trait gulaire ». Les yeux gris clair, entourés d'un cercle orbitaire bleu clair, tranchent sur une zone de peau nue gris foncé. Pattes et palmures sont noirâtres, chaque doigt portant une ligne claire longitudinale verdâtre, tirant sur le jaune chez le mâle, sur le bleu chez la femelle.

Plusieurs caractères permettent au fou de s'adapter à l'eau et à l'air. L'œil assure une bonne vision hors de l'eau – condition indispensable à la perception d'un poisson à 40, voire 50 m au-dessous de lui – mais aussi sous la surface de la mer. Comme d'autres oiseaux aquatiques, les cormorans par exemple, le fou peut accommoder sa vision afin de compenser les effets trompeurs d'une diffraction de façon considérable (entre 40 et 50 dioptries). La modification de la courbure de l'œil est obtenue grâce à l'action de muscles comprimant un cristallin assez souple.

De même, le bec du fou, pointu, robuste et s'ouvrant sur une cavité buccale plutôt large, se prête de façon idéale à la capture du poisson. La mandibule supérieure est formée de trois plaques jointes entre elles ; la plaque centrale, supérieure, est encadrée par les deux autres, latérales. À l'examen attentif de chacune des sutures liant la plaque centrale aux plaques latérales, les narines paraissent curieusement absentes. En réalité, des narines internes se trouvent sous la voûte du palais ; particulièrement ouvertes, elles assurent seules l'arrivée de l'air dans les fosses nasales. Bec fermé, l'air pénètre jusqu'à celles-ci par les commissures, légèrement disjointes. On appelle ces fentes « narines externes secondaires ». Cette particularité anatomique, que l'on ne retrouve que chez les cormorans, empêche que l'eau n'entre de façon trop brutale dans les fosses nasales lorsque l'oiseau tombe en piqué et plonge à grande vitesse dans la mer.

Quant aux pieds des fous, ils sont, comme chez tous les pélécaniformes, entièrement palmés, les 4 doigts étant réunis par une membrane. Cette membrane supplémentaire contribue naturellement à l'aisance avec laquelle l'animal se propulse. Elle offre aussi une plus grande résistance à l'air, d'où la capacité qu'a l'oiseau d'opérer une décélération au moment de l'atterrissage, et cela grâce à ses 4 doigts déployés.

Les palmures du fou, richement irriguées de sang, servent lors de la couvaison des œufs, car elles remplacent les plaques incubatrices également très irriguées et démunies de plumes qui remplissent ce même rôle chez les autres oiseaux et qui sont habituellement situées sous le ventre. L'adulte recouvre ainsi l'œuf de ses larges palmures en lui dispensant la chaleur nécessaire au développement de l'embryon.

La dernière fonction des pattes est d'aider au décollage lorsque le fou prend son élan à partir de la surface en fouettant l'eau de ses palmes et en courant sur quelques mètres.

Longue, étroite et pointue, l'aile du fou comporte un nombre élevé de plumes, elles aussi étroites et rigides. Si on la compare à celle du héron cendré, par exemple, dont l'envergure est aussi importante, on note que celle de ce dernier compte 10 plumes de moins. Cette structure explique la puissance et la souplesse en vol de cet oiseau des océans, qui peut ainsi alterner à volonté le plané haut dans le ciel et les battements d'amplitude variable au ras des vagues.

          

FOU DE BASSAN

Nom(genre, espèce) :

Morus bassanus

Famille :

Sulidés

Ordre :

Pélécaniformes

Classe :

Oiseaux

Identification :

Grand oiseau marin blanc ; ailes pointues à bout noir ; bec blanc ; pattes palmées foncées

Envergure :

De 165 à 180 cm

Poids :

De 2,3 à 3,6 kg

Répartition :

Atlantique nord

Habitat :

Océan, îles (durant la nidification)

Régime alimentaire :

Piscivore

Structure sociale :

Grégaire ; monogame durable

Maturité sexuelle :

Entre 4 et 6 ans

Saison de reproduction :

De janvier/février à octobre

Durée d'incubation :

44 jours en moyenne

Poids de l'œuf :

105 g en moyenne

Nombre de jeunes :

1

Longévité :

16 ans en moyenne ; record : 21 ans

Effectifs, tendances :

Plus de 300 000 couples environ en Europe ; en progression régulière entre 1990 et 2000

Statut, protection :

Espèce protégée par certaines législations nationales; jeunes prélevés localement pour la consommation

 

Signes particuliers

Œil

Les yeux du fou sont légèrement tournés vers l'avant et vers le bas, pour permettre à l'oiseau de scruter la surface de l'eau sans avoir à diriger exagérément la tête en direction de l'océan et à réduire ainsi son aérodynamisme. En contrepartie, le fou doit quelque peu lever le bec lorsqu'il cherche à regarder en face de lui. Lors des parades, la posture du bec pointé vers le ciel est courante, mais elle n'empêche pas les fous de continuer, grâce à la disposition particulière de leurs yeux, à suivre les mouvements de leur partenaire ou de leur adversaire.

Plumage du jeune

Le jeune fou se distingue nettement de l'adulte par un premier plumage radicalement différent. De très loin, on peut apercevoir une sorte de pointillé qui correspond, en fait, aux taches formant un petit triangle blanc à l'extrémité de chaque plume de couverture. Ce plumage si caractéristique permet au jeune de ne pas être confondu par l'adulte avec un rival potentiel et évite ces réactions d'agressivité dont l'espèce est prodigue. Les mues graduelles étalées sur plusieurs années ne sont le fait que de grands oiseaux, comme les rapaces ou les oiseaux marins, dont la maturité sexuelle est différée. Il faut ainsi plus de trois ans au fou de Bassan pour passer du plumage brun moucheté de blanc du juvénile à la parure neigeuse de l'adulte. Les phases successives peuvent permettre à des spécialistes de déterminer l'âge des oiseaux. En revanche, l'aspect bigarré des fous immatures, dont le plumage mêle le brun fuligineux et le blanc, conduit parfois des observateurs peu familiarisés avec l'espèce à les confondre avec d'autres oiseaux marins.

Bec

Il n'est pas percé de narines. Pour parvenir à la trachée, l'air passe par des orifices situés sous la mandibule supérieure. Afin d'améliorer la ventilation, en cas de forte chaleur conjuguée à une immobilité forcée – lors de la couvaison –, 1e fou ouvre grand son bec pour laisser l'air entrer plus facilement que par les commissures.

Cou

Le cou est long et d'une souplesse exceptionnelle, grâce à la constitution des 8e et 9e vertèbres cervicales, qui sont capables de pivoter légèrement sur elles-mêmes.

Les autres fous

La famille des sulidés comprend dix espèces de fous, qui se ressemblent beaucoup. Les différences morphologiques ne concernent en fait que la couleur du plumage, du bec et des pattes, ainsi que la taille – qui varie, pour la longueur, de 64 à 100 cm. Toutefois, la répartition géographique diffère d'une espèce à l'autre, et il existe aussi des divergences biologiques concernant les parades, la pratique de la nidification ou de la pêche. D'où la classification en deux groupes principaux, établie par certains ornithologues. Selon eux, le premier groupe (genre Morus) comprend le fou de Bassan, le fou du Cap et le fou austral. Le deuxième groupe (genre Sula) rassemble les fous tropicaux ou subtropicaux, qui sont plus petits, plus colorés, plongent de moins haut, pêchent en eau moins profonde et sont plus sédentaires.

Fou du Cap (Morus capensis)

Identification : de 85 a 97 cm ; très proche du fou de Bassan ; queue entièrement noire ; bord postérieur de l'aile noir ; trait marqué à la gorge, ou trait gulaire, noir et environ deux fois plus long que chez S. bassana, mais ce caractère n'est pas toujours facile à percevoir dans la nature.

Répartition : nidification sur six îles au large de l'Afrique du Sud (Baies de Lambert et d'Algoa, Malgas) et de la Namibie (Mercury, Ichaboe et Possession) ; le reste du temps, côtes africaines, du canal du Mozambique au golfe de Guinée.

Reproduction : période de ponte en septembre et octobre.

Effectifs et statut : tendance de la population à la baisse ; environ 173 000 couples, dont 153 000 en Afrique du Sud. La colonie de Possession compte 750 couples et pourrait disparaître. Classé par l'U.I.C.N. (Union internationale pour la conservation de la nature) dans la catégorie « vulnérable » en 2008. Espèce protégée en Afrique du Sud.

Fou austral (Morus serrator)

Identification : de 85 à 97 cm ; très proche du fou de Bassan, et presque identique au fou du Cap ; queue noire au centre ; bord postérieur de l'aile, noir.

Répartition : niche dans les îles au large de la province australienne de Victoria et de la Tasmanie ; une douzaine de colonies vivent en Nouvelle-Zélande, au large de l'île du Nord. La plus importante rassemble environ 5 000 couples. Hors saison de reproduction, le fou austral se répand en haute mer, de l'ouest de l'Australie à l'est de la Nouvelle-Zélande, au sud du tropique du Capricorne.

Reproduction : période de ponte en octobre et novembre.

Effectifs : environ 110 000 individus.

Remarque :1 cas d'hybridation avec le fou du Cap mentionné par l'ornithologue Peter Harrison.

Fou à pieds bleus (Sula nebouxii)

Identification : de 76 à 84 cm ; tête blanchâtre tachetée de brun ; dos brun maculé de marques blanches ; ailes brunes ; ventre blanc ; queue brune aux longues plumes centrales blanchâtres ; bec gris à gris-bleu ; œil jaune ; pattes bleu pâle. La sous-espèce des Galápagos, Sula n. excisa, est un peu plus grande, plumage aux teintes plus vives.

Répartition : Amérique ; niche sur les îles au large de la péninsule de Basse-Californie, au Mexique, au large des côtes de l'Équateur et du nord du Pérou, aux Galápagos. Hors nidification, fréquente le secteur océanique compris entre les points extrêmes de la zone de nidification.

Comportement : pêche en eau peu profonde, parfois même au bord des plages en pente douce, là où l'eau n'excède pas 1 m de profondeur. Survole l'eau en petits groupes, à 25 m. Le premier oiseau qui repère un banc pique presque à la verticale, aussitôt suivi par ses coéquipiers ; la bande percute la surface dans de grandes éclaboussures.

Reproduction : ponte toute l'année, selon les lieux.

Effectifs : entre 100 000 et 500 000 individus.

Fou varié (Sula variegeta)

Identification : 74 cm ; très proche du fou à pieds bleus ; tête blanche à masque noir ; dessus de l'aile tacheté de blanc ; pattes d'un bleu plus foncé.

Répartition : Amérique du Sud ; îles au large du Pérou et au nord du Chili, dans la région baignée par le courant de Humboldt.

Comportement : sédentaire, mais peut se déplacer en masse (tous les 10 à 12 ans en moyenne) vers les côtes de l'Équateur ou du sud du Chili, lorsque la modification des courants éloigne temporairement les anchois, son principal aliment. Un fort taux de mortalité s'observe alors.

Reproduction : ponte toute l'année.

Effectifs : environ 1 200 000 individus.

Fou d'Abbott (Sula ou papasula abbotti)

Identification : 71 cm ; blanc ; dessus des ailes et queue brun noirâtre ; étroite bande blanche sur le dos, séparant les ailes sombres ; quelques taches noires éparses vers l'arrière du corps ; bec gris rosé (mâle) ou rosé (femelle) à pointe noire ; œil brun ; pattes grisâtres.

Répartition : c'est le plus rare des fous, confiné à l'île Christmas, dans l'océan Indien, au sud-ouest de Java.

Reproduction : ponte d'avril à juillet ; chaque couple niche un an sur deux ; cycle reproductif long. Nidifie dans la canopée.

Effectifs et statut  : de 2 000 à 3 000 couples. Classé dans la catégorie « en danger » en 2004 après avoir été au bord de l'extinction. Inscrit à l'Annexe I de la Cites (Convention sur le commerce international des espèces menacées d'extinction).

Fou masqué (Sula dactylatra)

Identification : de 81 à 92 cm. Au premier abord, rappelle le fou de Bassan, mais présente en réalité une série de différences : queue noire ; large bande noire à l'arrière de l'aile ; « masque » gris-bleu foncé (paraissant noir à distance) couvrant les yeux et la base du bec ; tête entièrement blanche, sans trace de jaune ; bec jaune vif chez le mâle, jaune verdâtre plus terne chez la femelle ; œil jaune ; pattes jaunes à grises.

Répartition : en période de nidification, îles de la zone intertropicale ; autour du globe depuis l'île Ascension, au milieu de l'océan Atlantique, jusqu'à l'est de l'Afrique ; bien représenté surtout dans l'océan Pacifique et dans l'océan Indien ; sa distribution hors nidification encore imparfaitement connue, essentiellement limitée aux mers intertropicales.

Comportement : lorsqu'elles ne nichent pas, la plupart des populations ont tendance à se montrer sédentaires, mais d'autres sont dispersées et erratiques, et la proportion de ces dernières peut varier.

Reproduction : ponte toute l'année.

Effectifs : environ 200 000 individus ; population en déclin.

Remarque : L'ornithologue américain R.S. Palmer a signalé des cas d'hybridation avec le fou brun, S. leucogaster.

Fou de Nazca (Sula granti)

A été séparé de Sula dactylatra en 2000. Niche au Chili, en Colombie, en Équateur et au Mexique. On le rencontre aussi en Polynésie française.

Fou à pieds rouges (Sula sula)

Identification : de 66 à 77 cm ; grande variété de plumages. Il existe 2 formes de base : la forme dite « brune », entièrement d'un brun grisâtre, et la blanche « typique », entièrement blanche, sauf le bord postérieur de l'aile, noir, bec gris et rose ; œil brun, pattes rouge-orangé. La forme blanche dite « des Galápagos » rappelle la précédente, queue brun noirâtre. La forme blanche dite « de l'île Chritsmas » a le blanc du plumage qui se nuance de jaune doré, surtout à la tête et au cou. Il existe deux sous-espèces, S.s.sula et S.s.rubripes.

Répartition : très proche de celle du fou masqué, niche dans les îles de la zone intertropicale atlantique. Peu connue pour la période qui précède et suit la reproduction, mais comprise entre les tropiques.

Reproduction : ponte toute l'année.

Effectifs : environ 600 000 individus.

Fou brun (Sula leucogaster)

Identification : de 64 à 74 cm ; les plus petits représentants de la famille sont de cette espèce ; entièrement brun foncé, sauf ventre blanc ; œil argenté ; bec et pattes jaune clair. Quelques variations géographiques ; deux  sous-espèces : S.l. leucostaster et S.l brewsteri.

Répartition : îles intertropicales tout autour du globe. C'est l'espèce la mieux répartie.

Reproduction : ponte toute l'année.

Effectifs : environ 200 000 individus.

Milieu naturel et écologie

Le fou de Bassan n'a qu'un véritable domaine, mais il est vaste : c'est l'océan. La seule occasion pour lui d'aborder la terre ferme est la nidification, que l'espèce effectue en Islande, autour de la Grande-Bretagne et de l'Irlande, en Bretagne et sur les côtes de la Norvège, pour l'Europe, à l'embouchure du Saint-Laurent et autour de Terre-Neuve, au Canada. Même pendant cette période, le fou consacre une grande partie de son temps à la pêche et à la nage. Sa maturité sexuelle tardive (puisqu'elle intervient vers 4, 5 ou 6 ans seulement) l'amène à passer ses premières années presque exclusivement en mer.

Quel que soit son âge, le fou choisit l'élément liquide comme lieu de repos ou de sommeil. Il ne dort à terre, dans la colonie, que pendant la saison de la reproduction. Et, lorsque, à cette période, il rentre la nuit d'une longue expédition de pêche, c'est encore sur l'eau qu'il préfère dormir, à proximité du nid, plutôt que de prendre le risque de ne pas retrouver son propre gîte parmi tous ceux de la colonie, serrés les uns contre les autres, et d'avoir à subir les attaques de propriétaires dérangés par erreur.

Toutefois, au cours de l'année, les fous s'aventurent rarement à plus de 200 km des côtes ; puisque les lieux de nidification et d'hivernage sont situés de part et d'autre de l'Atlantique nord, dans un secteur traversé par des courants qui leur garantissent la présence de poissons en abondance, à des profondeurs ne dépassant pas 10 ou 15 m. Pour la population nord-américaine, il s'agit du courant froid du Labrador, et, pour les fous d'Europe, de la dérive nord-atlantique (le courant chaud lié au prolongement du Gulf Stream). Voilà pourquoi les mouvements migratoires peuvent généralement être aperçus depuis le littoral. Quelques rares fous de Bassan se rencontrent parfois en plein océan Atlantique ; il s'agit souvent de jeunes qui se lancent plus volontiers dans des voyages aventureux.

Jamais loin de la mer

Du côté du continent, les fous restent toujours en contact avec l'eau. Cela ne les empêche pas de remonter à l'intérieur des terres sur plusieurs kilomètres à travers les rias, ces vallées envahies par la mer, ou encore les fjords.

En principe, le fou est parfaitement armé pour affronter les tempêtes. Toutefois, quand les perturbations sont particulièrement violentes, certains oiseaux se trouvent déportés à l'intérieur des terres. S'ils ne sont pas épuisés, ils peuvent alors tenter de reprendre le chemin de l'océan, mais, le plus souvent, les malheureux égarés connaissent une fin tragique.

Pour nicher, le fou de Bassan choisit surtout des îles ou des îlots, en général à quelques kilomètres du continent. La colonie s'installe dans la partie de l'île tournée vers le large. Exceptionnellement, elle peut s'établir à terre sur le continent, même si elle est très importante. Dans ce cas, les régions choisies sont toujours peu fréquentées et à l'écart, la difficulté d'accès assurant sa sécurité.

Le site de nidification peut être la large corniche d'une falaise ou une pente assez abrupte couverte de terre et parsemée de petits blocs rocheux ou de pierraille.

De 10 à 200 m de haut

La hauteur de ces gîtes est très variable. Les plus bas sont situés juste au-dessus de la zone des embruns, soit à une dizaine de mètres de l'eau. Les plus hauts nids, construits sur des falaises, peuvent dépasser 200 m d'altitude. Toutefois, ces lieux inaccessibles (côtes rocheuses, falaises sur la mer), qui conviennent à la nidification de toutes les colonies d'oiseaux marins, sont, tout compte fait, plutôt rares. Cette rareté n'entraîne pourtant pas une compétition préjudiciable entre les espèces, qui se répartissent assez bien les habitats. Ainsi, les alcidés et les mouettes tridactyles nichent sur d'étroites corniches, à flanc de falaise, que ces oiseaux sont les seuls à pouvoir exploiter, tandis que les macareux creusent un boyau dans la terre meuble, n'aimant guère les éboulis rocheux où s'installent les cormorans huppés.

Les autres fous ont des exigences assez différentes en matière d'habitat, surtout au moment de la reproduction. Le fou du Cap, le fou austral et le fou masqué aiment les côtes rocheuses avec de vastes espaces plats. Le fou brun recherche les pentes, comme le fou varié, qui s'installe aussi sur les falaises ou au sommet d'entablements rocheux. Enfin, le fou à pieds rouges élit domicile dans les arbustes ou sur des arbres, tandis que le fou d'Abbot ne tolère que les grands arbres de forêts denses.

De rares prédateurs

La taille, la puissance et le mode de vie des fous de Bassan préservent les adultes de pratiquement tous les prédateurs éventuels. Seule la femelle du faucon gerfaut ose s'attaquer à lui.

Quant aux œufs et aux petits, ils sont à l'abri, sous la garde d'au moins un des deux adultes. Les chapardeurs occasionnels, comme les goélands, sont rares.

Le fou de bassan et l'homme

Un oiseau du grand large

Il a beau nicher au sommet des falaises, sur les îles désertes et narguer les navigateurs de très haut dans le ciel, l'oiseau qu'on appelle « fou », sans doute à cause de ses acrobaties, ne parvient pas à échapper au seul prédateur qui soit pour lui vraiment redoutable : l'homme qui le capture. Et la pollution le menace, comme les cormorans et d'autres espèces marines.

Un nom aux origines mal connues

« Fou de Bassan », voilà un curieux nom dont l'origine reste encore une énigme. « Bassan » ne pose pas de problème : le mot provient de Bass Rock, un îlot écossais où une colonie de fous est installée depuis des siècles. On retrouve cette même provenance dans le mot allemand Basstölpel, qui signifie « le balourd de Bass », un qualificatif plutôt moins flatteur encore que « fou ».

Comment expliquer le choix d'un tel qualificatif ? Le nom apparaît pour la première fois dans un texte qui remonte à 1687. Depuis, on n'a pas cessé de s'interroger. Certains voient dans cette appellation une déformation du mot nordique sula, adopté par ailleurs comme terme scientifique. D'autres considèrent qu'il fait plutôt référence au comportement de l'oiseau. Mais, là encore, il y a plusieurs interprétations ; pour certains, « fou » s'expliquerait par la confiance excessive dont ces oiseaux marins font preuve à l'égard de l'homme, comme le montre leur manque de réaction lorsqu'ils sont capturés (les grands jeunes notamment) pour des prélèvements. Mais une autre explication est plus souvent retenue : elle tend à relier le mot aux performances acrobatiques de l'oiseau. Celles-ci pouvaient certes apparaître, surtout à l'époque où l'on ne connaissait pas l'aviation, comme relevant de la folie...

Le sauvetage des oiseaux victimes des pétroliers

L'homme est le principal ennemi d'un oiseau qu'épargnent les prédateurs du monde animalier. Même si les fous bénéficient presque partout d'une protection efficace, ils n'en sont pas moins capturés à certains endroits, comme dans l'île de Sule Skerry, au nord de l'Écosse, où des jeunes sont chaque année arrachés à leur colonie. Mais c'est surtout d'une forme de massacre indirect que sont victimes les fous de Bassan. Un massacre dont l'homme est responsable à travers de multiples et diverses pollutions industrielles.

Les hydrocarbures déversés en mer entraînent chaque année pour les fous des conséquences dramatiques. Des milliers d'oiseaux marins périssent. Et cela en dehors même des marées noires, dont on parle volontiers parce qu'elles sont spectaculaires.

Le véritable problème concerne la pollution chronique des déballastages auxquels se livrent en permanence des équipages peu scrupuleux de pétroliers. Quand les cuves ont été rincées, les résidus sont tout simplement jetés à la mer... Leur mode de vie aérien permet, il est vrai, aux fous de Bassan d'être plutôt moins exposés au mazoutage que d'autres oiseaux. Mais le mazout se dépose tout de même sur leur plumage. Près de 25 % du plumage des fous est touché, parfois 100 %, mais c'est plus rare.

Or le sauvetage d'un fou mazouté exige à la fois une intervention rapide et beaucoup de patience. Il faut agir vite, pour éviter que l'oiseau n'absorbe du pétrole en tentant de lisser ses plumes, car le produit s'attaque au foie et aux reins, ou provoque des pneumonies infectieuses. Il faut être patient, lorsqu'il s'agit de traiter l'oiseau.

La première phase du processus consiste en un lavage réalisé à l'aide d'un détergent doux ou d'une lotion organique, le « Nutri Clean ». (Bien que conçu en réalité pour d'autres usages, ce produit s'est avéré le plus efficace et le mieux adapté à la situation.) Puis le fou est abondamment rincé pour que toutes les traces de détergent disparaissent. Au bout de quelques dizaines de minutes, le plumage retrouve son étanchéité, et l'eau n'y pénètre plus. Si cette imperméabilité n'est pas retrouvée, l'oiseau est condamné.

L'eau du lavage et du rinçage a été préalablement portée à une température de 40 °C. Une fois sec, le fou est gardé en cage pendant une quinzaine de jours, pour qu'il reprenne des forces avant d'être relâché. Un oiseau mazouté est en général très amaigri, puisqu'il n'est plus capable de se nourrir normalement, et il doit retrouver son poids. On lui donne donc, pendant les premiers temps, une alimentation abondante qui lui garantit un important apport de protéines : jusqu'à un kilo de lançons par jour, alors que, dans la nature, il se contente d'environ la moitié. Même ainsi nettoyés et nourris durant plusieurs jours, certains fous finissent quand même par mourir.

On ne parvient à soigner qu'une faible proportion de fous atteints par ce fléau. Nombreux sont ceux qui meurent avant d'avoir pu être récupérés. La principale cause de la mortalité, dans ce cas, n'est pas, contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'empoisonnement ou le manque de nourriture, mais le refroidissement. Le plumage assure, dans des conditions normales, imperméabilité et isolation, s'il est entaché de pétrole, l'oiseau perd cette protection, et l'eau pénètre et atteint la peau.

Le fou d'Abbott au bord de l'extinction

Une autre pollution, liée à l'exploitation minière, a failli décimer les colonies du fou d'Abbott. Cette espèce ne niche que sur l'île Christmas, dans l'océan Indien, au sommet de grands arbres. L'extraction de phosphate entre 1965 et 1987 qui se pratiquait à ciel ouvert et exigeait l'abattage des arbres où se trouvaient les nids de la colonie ont conduit à la destruction d'environ un tiers de l'habitat du fou. Un parc national d'une superficie de 1 600 ha a été créé en 1980 et un accord a été passé avec la compagnie des phosphates pour limiter l'éclaircissement de la forêt primaire. Depuis 1984, environ 20 % de la zone adjacente des lieux de nidification ont été replantés. Ces mesures de protection permettront peut-être d'éviter la disparition de cette population qui a été classée « en danger » après avoir été au bord de l'extinction. Une autre colonie a déjà été éliminée de l'île de l'Assomption vers 1935.

Menace sur le fou varié

La menace qui pèse sur le fou varié est d'une tout autre nature. L'espèce se reproduit sur des îles situées à proximité des côtes du Pérou et du Chili. Comme d'autres oiseaux marins coloniaux – les pélicans ou les cormorans, par exemple –, elle se nourrit essentiellement d'anchois, qui abondent dans les eaux froides du courant de Humboldt. Une prolifération qui intéresse malheureusement aussi les pêcheries industrielles, qui surexploitent ces fonds poissonneux.

Les prélèvements sont tels que les oiseaux marins sont privés de nourriture pour eux-mêmes, mais surtout pour leurs petits. On a donc assisté au dépérissement massif des colonies. Les fous variés ne sont d'ailleurs pas les seuls à pâtir de la surexploitation des anchois par l'homme : l'industrie péruvienne du guano en souffre également : moins d'oiseaux, cela veut dire moins de ces déjections qui, une fois récoltées, constituent un engrais apprécié. Il y a là un curieux enchaînement au terme duquel certains hommes nuisent à d'autres par oiseaux interposés.

Un point d'observation en Bretagne

On a beaucoup étudié les colonies d'oiseaux de mer situées sur des îles ou des îlots perdus en mer. Mais leur approche pose des problèmes pratiques. Aux difficultés liées à l'installation d'une équipe de chercheurs dans un lieu totalement à l'écart des endroits habités – transport, débarquement, ravitaillement – vient s'ajouter le souci de ne pas perturber les colonies par des intrusions malencontreuses. Heureusement, on peut désormais suivre à distance la vie et l'évolution d'une population.

La colonie de fous de Bassan de l'archipel breton des Sept-Îles, au large des Côtes-d'Armor, est la plus méridionale d'Europe.. Malgré sa petite taille, cette réserve naturelle est la plus importante de France pour les oiseaux de mer. Bénéficiant d'une protection intégrale, elle représente un véritable paradis pour ses occupants.

Quelques couples pionniers y avaient installé leurs nids en 1939. Seize ans plus tard, on y comptait 550 couples. Aujourd'hui, l'effectif dépasse les 19 000 nids. Le débarquement est interdit sur les îles, à l'exception d'une seule. C'est la L.P.O. (Ligue pour la protection des oiseaux), gestionnaire de la réserve, qui dénombre les colonies d'oiseaux de mer, ainsi que les phoques et assure le suivi scientifique des espèces. La station L.P.O. de l'île Grande, à Pleumeur-Bodou, accueille le public qui peut notamment, grâce à une liaison vidéo en direct avec l'île Rouzic, observer les fous de Bassan sans les déranger.