secret d'État

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Politique

Une des logiques de la domination politique.

Avec la maxime de Louis XI, souvent répétée : « Qui ne sait pas dissimuler ne sait pas régner », s'énonce un lieu commun de toute politique. C'est d'abord une manière de désigner ce qui, dans l'État, est hors de portée du discours et du peuple. L'instauration de cette distance, qui inscrit le pouvoir dans une altérité, se développe sur divers plans.

L'expression « secret d'État » est tirée des arcana imperii de Tacite(1), qui passe pour être un des seuls, avec Machiavel, à avoir osé abordé le côté obscur du pouvoir, et souvent on renvoie à Tacite pour ne pas se réclamer explicitement de Machiavel. La littérature des arcana – on parle de tacitisme – se développe aux xvie-xviie s., époque où l'imprimerie ouvre des possibilités d'impressions éphémères, de pamphlets qui s'attaquent aux « affaires ». L'État va d'ailleurs utiliser ce jeu de voilement-dévoilement(2). Une première dimension du secret, appelé alors « mystère d'État », concerne l'aspect magico-religieux du souverain. Elle est autant liée aux mystères païens qu'au contexte théologico-politique des transferts médiévaux entre instances séculières et spirituelles. C'est dans la perspective des qualités (la dignité, la majesté) et des prérogatives (souveraineté juridique, par exemple) attachées à la personne du roi que le secret opère. Aucune contestation ne peut s'élever face à une décision de la parole souveraine. Elle est irrécusable, puisque son élaboration renvoie à une genèse inconnaissable, transcendante. Le « mystère » agit alors par la représentation et la production des fictions légitimantes qui en découlent.

Dans une deuxième acception plus technique, l'altérité s'incarne dans une instance impersonnelle au nom de laquelle peuvent s'exercer de multiples actions secrètes dont les ressorts vont être imputés à l'intérêt public. Si, dans un sens banalement topographique, le secret d'État peut évoquer le côté privé du « public », le lieu soustrait aux regards, le cabinet secret, c'est surtout l'action stratégique dissimulée qui est désignée, avec tous les procédés d'occultation qui tentent de maîtriser l'information et sa circulation. Outils de la raison d'État, la position prudentielle et la feinte sont ramenées à un intérêt supérieur : la légitime défense du bien public.

Contre une acception qui pourrait dissoudre le secret dans une science générale du gouvernement (Clapmarius et, plus tard, Pelzhoffer), Naudé radicalise l'expression du secret d'État et concentre ses différentes dimensions dans le coup d'État, un pouvoir caché dont on n'utilise la force que dans des circonstances exceptionnelles. La superposition de la mystique monarchique et des techniques de l'action secrète permet ainsi de créer les conditions d'une plus grande liberté d'action.

Le secret est donc un moyen de gouverner qui s'appuie sur la domination permise par la dissimulation d'actions décisives, et la manifestation d'une connaissance informulable ou inavouable, qui tire sa force non pas de sa nature, mais de la seule fonction d'occultation qui détermine les croyances et les fictions liées à l'institution politique. Il convient qu'il y ait du secret, même là où il n'y a rien à cacher. Mêlant des domaines d'inspirations variées, le secret d'État se déploie dans les ramifications possibles entre une conception mystique (qualité) et une conception technique (action). Résidu irréductible jouant contre la transparence de l'éthique communicationnelle, il institue, en un même temps et en une même stratégie énonciative, une transcendance, impose une limite au discours et définit une raison politique.

Frédéric Gabriel

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Tacite, Historiae, I, 4, 2.
  • 2 ↑ Gauchet, M., « L'État au miroir de la raison d'État : la France et la chrétienté », in Y.-C. Zarka (dir.), Raison et Déraison d'État, Paris, 1994.
  • Voir aussi : Benario, H. W., « Arcanus in Tacitus », in Rheinisches Museum für Philologie, CVI, Frankfurt, 1963.
  • Bianchi, M. L., « Arcanum », « Arcanus », in Marta Fattori (cur.), Lessico filosofico dei secoli XVII e XVIII, vol. I. 3, Firenze, 1997.
  • Cavaillé, J.-P., Dis / simulations. Religion, morale et politique au xviie siècle, Paris, 2002.
  • Clapmarius, A., De Arcanis rerum publicarum libri sex, Bremae, 1605.
  • Donaldson, P., Machiavelli and Mystery of State, New York, 1992.
  • Dewerpe, A., Espion. Une anthropologie historique du secret d'État contemporain, Paris, 1994.
  • Jouhaud, C. (éd.), Miroirs de la raison d'État, Cahiers du Centre de recherches historiques, no 20, Paris, 1998.
  • Kantorowicz, E., « Mystères de l'État. Un concept absolutiste et ses origines médiévales (bas Moyen Âge) », in Mourir pour la patrie, Paris, 1984.
  • Naudé, G., Considérations politiques sur les coups d'État (1639), Paris, 1989.
  • Pelzhoffer, F. A., Arcanum status..., Francofurti, 1710-1734, 4 vols.
  • Senellart, M., les Arts de gouverner, III, 2, Paris, 1995.
  • Senellart, M., « Arcana imperii et coups d'État : la critique de Clapmar par Naudé », in Aristotelismo politico e ragion di stato, Enzo Baldini, Firenze, 1995.
  • Stolleis, M., « Arcana imperii » und « ratio status », Göttingen, 1980.

→ coup d'état, État, raison d'état