coup d'État

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Politique

Action exceptionnelle du souverain déliée de toute norme, pour fonder ou conserver un État.

Le terme est utilisé dès la fin du xvie s. Avec ses Considérations politiques sur les coups d'État, Naudé élabore, dans le sillage de Machiavel, une action qui permette de fonder une institution politique ou de prévenir et d'endiguer tout danger qui pourrait l'atteindre, car, par sa nature même, le corps politique se dérègle(1). Naudé distingue radicalement cette action de la raison d'État, laquelle concerne les maximes communes du gouvernement. Pour lui, les circonstances exceptionnelles entraînent le pouvoir à manifester son essence : le coup d'État. Il répond à la pure nécessité, dépend d'une décision secrète du prince et doit se préparer selon une « prudence extraordinaire ». Son efficacité dépend de l'évaluation du moment opportun et de l'économie du geste qui doit néanmoins coïncider avec les plus grandes conséquences. C'est pourquoi le coup d'État est éminemment singulier et radical : imprévisible, fulgurant et audacieux, il doit joindre la souplesse à la violence. En cet instant précis, il est délié de toute norme et renverse l'ordre naturel. Il induit ainsi une suspension du sens, tant en ce qui concerne les conditions habituelles de l'action que son interprétation. Réussi, il peut être perçu comme un miracle religieux et produire la croyance populaire d'où procédera l'assentiment politique. Les impératifs de brièveté dans le déroulement et de rareté dans la manifestation caractérisent le coup d'État en même temps qu'ils l'empêchent de se changer en violence indomptable.

La transgression de la loi par celui qui en est le garant et, éventuellement, le créateur est au cœur de la stabilité politique, où conservation de l'État, bien du peuple et salut du prince forment un tout. Le coup d'État, manifestation du pouvoir nu, unit deux fonctions : fonder (pouvoir constituant), conserver ou rétablir (pouvoir de continuité). Le centre de gravité de l'État est un principe d'exception, légitime et légitimant.

Mais, dès le xviiie s., le coup d'État n'est plus perçu que comme un danger. Aujourd'hui, la définition s'est inversée : il désigne l'usurpation, la prise violente et illégale du pouvoir par un groupuscule, comme l'ont exposé C. Malaparte (1931) et E. Luttwak (1967).

Frédéric Gabriel

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Naudé, G., Considérations politiques sur les coups d'État (1639), Paris, 1989.
  • Voir aussi : Beaud, O., Les Derniers Jours de Weimar, chap. IV, Descartes et Cie, Paris, 1997.
  • Bercé, Y.-M., « Les coups de majesté des rois de France, 1588, 1617, 1661 », in Complots et Conjurations dans l'Europe moderne, École française de Rome, Rome, 1996.
  • Bianchi, L., « Tra Rinascimento e barocco : forza e dissimulazione nelle Considérations politiques di G. Naudé », in Studi filosofici, XXI, Napoli, 1998.
  • Carlton, E., The State against the State, Aldershot, 1997.
  • Cavaillé, J.-P., « Gabriel Naudé, les Considérations politiques sur les coups d'État : une simulation libertine du secret politique », in Libertinage et Philosophie au xviie siècle, 2, A. Mc Kenna et P.-F. Moreau (éd.), Saint-Étienne, 1997.
  • Courtine, J.-F., Nature et Empire de la loi, chap. I et VI, Vrin, Paris, 1999.
  • Gomez, C., « Sabery poder politico en Gabriel Naudé », in Res publica, 5, 2000, pp. 111-132.
  • Malaparte, C., Technique du coup d'État, Grasset, Paris, 1992.
  • Marin, L., « Pour une théorie baroque de l'action politique », in Naudé, op. cit., 1989.
  • Naudé, G., La bibliographie politique, trad. Ch. Challine (éd. originale latine de 1633, Venise), Paris, 1642, pp. 57-62.
  • Saint-Bonnet, F., « Technique juridique du coup d'État », in Bluche, F., le Prince, le Peuple et le Droit, PUF, Paris, 2000.
  • Saint-Bonnet, F., L'État d'exception, PUF, Paris, 2001.
  • Schmitt, C., Théologie politique (1922), I, Gallimard, Paris, 1988.
  • Senellart, M., Les arts de gouverner, Seuil, Paris, 1995.

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