référence

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin referre, « reporter », « rapporter ».

Linguistique

Relation qui existe entre les mots et les choses, en vertu de laquelle les mots possèdent leur signification. Par extension, l'entité qui est le terme de cette relation.

Pour quelle raison des phrases comportant des mots différents, ou de langues différentes, peuvent-elles exprimer des contenus identiques ? La réponse la plus simple à cette question repose sur l'analyse de la relation entre les signes et le monde. Les phrases affirmatives peuvent être conçues comme des agencements de mots structurés grammaticalement, correspondant à des agencements de choses dans le monde. Comprendre une phase, selon cette conception, revient à connaître l'agencement de choses qui doit être réalisé pour qu'elle soit vraie, c'est-à-dire à connaître ses conditions de vérité. L'identité des contenus, ou synonymie, s'identifie à l'identité des conditions de vérité. Quant aux mots pris individuellement, on peut considérer qu'ils ont la même signification si leur référence est aussi la même, c'est-à-dire s'ils représentent les mêmes aspects de la réalité. Peut-on vraiment expliquer la signification des phrases et des mots à partir de la relation de référence ? Cette question est au cœur de la philosophie du langage du xxe s.

La distinction frégéenne entre sens et référence

Frege y a répondu par la négative(1). Il souligne le contraste qui existe entre « Cicéron n'est autre que Cicéron » et « Cicéron n'est autre que Marcus Tullius ». « Cicéron » et « Marcus Tullius » réfèrent au même individu. Pourtant, leur signification n'est pas la même, puisque le premier énoncé est vide, tandis qu'on peut apprendre quelque chose en comprenant le second. Frege met également en évidence l'existence de contextes linguistiques dans lesquels deux termes coréférentiels ne peuvent être substitués l'un à l'autre sans que la valeur de vérité de la phrase dans laquelle ils apparaissent soit changée. Ainsi, la phrase « Jean croit que Cicéron est un grand orateur » peut être vraie, même si la phrase « Jean croit que Marcus Tullius est un grand orateur » est fausse. Jean peut en effet ignorer que Cicéron n'est autre que Marcus Tullius. Si ces phrases ne disent pas la même chose, on doit conclure que la contribution des noms propres à leur signification ne s'épuise pas dans leur référence.

En conséquence, Frege introduit une distinction entre sens et référence. Le sens d'une expression est ce que le locuteur saisit lorsqu'il la comprend, c'est-à-dire lorsqu'il est capable de déterminer sa contribution aux conditions de vérité d'une phrase. Le concept de référence n'est pas abandonné, mais un rôle secondaire lui est attribué dans la théorie de la signification. Frege soutient en effet qu'un terme ne réfère que par l'intermédiaire de son sens.

L'introduction par Frege d'un tel intermédiaire entre les mots et les entités auxquelles ils réfèrent a conduit les philosophes du langage à s'interroger sur la façon dont il convenait de concevoir cette médiation. Influencés par les travaux de Russell(2), de nombreux philosophes ont analysé les sens comme des conditions descriptives connotées par les mots. Un nom propre comme « Aristote » réfère, selon cette approche, à l'unique individu qui satisfait un ensemble de conditions descriptives associées au nom, qui en constituent le sens – par exemple, « meilleur élève de Platon », « auteur de l'Organon », « précepteur d'Alexandre ». On trouve dans l'œuvre de R. Carnap la présentation la plus aboutie de cette interprétation descriptive du sens(3).

Dans les années 1960 et 1970, l'interprétation descriptive a fait l'objet de critiques approfondies de la part d'une nouvelle génération de philosophes du langage. La plus influente est due à S. Kripke, et repose sur le concept de désignateur rigide(4). Un terme est un désignateur rigide s'il désigne la même entité dans toutes les circonstances possibles dans lesquelles l'entité existe. Kripke remarque que les descriptions définies ne sont pas des désignateurs rigides : l'actuel président de la République est Jacques Chirac, mais il pourrait s'agir de Lionel Jospin. En revanche, les noms propres sont des désignateurs rigides. Ainsi, le nom « Jacques Chirac » désigne le même individu dans tous les mondes possibles, indépendamment des descriptions que cet individu se trouve satisfaire dans ces différents mondes : on peut dire que Chirac aurait pu ne pas être président ni maire de Paris. Cette remarque de Kripke a conduit à l'abandon général de la théorie descriptive de la référence : si les noms, contrairement aux descriptions, sont des désignateurs rigides, il semble qu'on ne puisse pas identifier leur signification à l'aide d'une description.

Pascal Ludwig

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Frege, G., « Sens et dénotation », in Écrits logiques et philosophiques, trad. C. Imbert, Seuil, Paris, 1971.
  • 2 ↑ Russell, B., « On Denoting », Mind 1905, repr. in Écrits de logique philosophique, trad. J.-M. Roy, PUF, Paris, 1989.
  • 3 ↑ Carnap, R., Signification et nécessité, trad. F. Rivenc et P. de Rouillhan, Gallimard, Paris, 1997.
  • 4 ↑ Kripke, S., la Logique des noms propres, trad. F. Récanati et P. Jacob, Minuit, Paris, 1982.

→ attributif / référentiel, connotation, description, indexicaux, nom propre, signification