préférence

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin praeferre (prae, « devant », et ferre « porter »).

Morale, Politique

Classement subjectif, par un agent personnel, de certains événements ou états, ou encore de diverses entités, selon qu'il souhaiterait ou non (ou plus ou moins les unes que les autres) les voir se réaliser ou se rapporter à eux d'une certaine manière.

La préférence est une notion essentiellement subjective : elle concerne un agent personnel. Toutefois, elle a pu connaître une extension permettant de parler de « préférences collectives » ; il ne s'agit alors que d'une acception dérivée, résultant d'un rapprochement étroit de la notion de préférence et de celle de choix : puisqu'une collectivité fait des choix (au sens où des choix se font en elle et impliquent plusieurs personnes, à l'occasion d'élections par exemple), on s'autorise à associer à ces choix des préférences, de la même manière que l'on conçoit les choix personnels comme l'expression de préférences sous-jacentes. Cela peut se justifier si l'on souhaite examiner les propriétés qui seraient celles d'une forme de « volonté collective » (fondant nécessairement des préférences), si tout d'abord elle existait.

Les notions de choix et de préférence sont étroitement corrélées, au point que l'on définit parfois la seconde exclusivement sur la base de la première, comme c'est le cas dans la théorie économique des préférences révélées, d'inspiration behavioriste et opérationaliste, développée en particulier par M. K. Richter et P. A. Samuelson.

La représentation la plus courante des préférences se fait aujourd'hui au moyen de relations binaires, au sujet desquelles des propriétés importantes ont été établies.

Malgré le rôle de « référence » que l'on reconnaît toujours au modèle de l'espérance mathématique d'utilité, face aux difficultés empiriques rencontrées, on ne s'est pas contenté de sauver la théorie en recherchant dans tous les cas des réinterprétations adéquates. Face aux démentis empiriques, de nouvelles théories ont émergé, qui se présentent comme des solutions aux problèmes rencontrés par la théorie classique de l'espérance mathématique(1). La formule de l'espérance se retrouve parfois à titre d'approximation locale(2). L'interprétation de ces théories complexes est souvent très éloignée des termes du raisonnement commun, alors que la théorie de l'espérance mathématique d'utilité ne fait que transcrire et résumer des intuitions courantes.

Enfin, dans le sillage des travaux de D. Kahneman et de A. Tversky en psychologie cognitive, la modélisation des jugements et des attitudes en environnement risqué se dispense désormais assez fréquemment de la référence normative à un modèle de choix rationnel, l'enjeu devenant de parvenir à une modélisation aussi fidèle que possible des régularités empiriques. Il reste que cet empirisme rend parfois malaisée la liaison avec les explications ultimes en termes de « bonnes raisons » d'agir ou de choisir, que favorise au contraire la théorie de l'espérance. De plus, les explications les plus convaincantes des déviations systématiques par rapport à la norme de l'espérance mathématique sont celles qui en donnent les raisons, elles-mêmes souvent formulées, inévitablement, en termes d'utilités personnelles(3).

Emmanuel Picavet

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Munier, B., « Calcul économique et révision de la théorie de la décision en avenir risqué », Revue d'économie politique, 99, 1989, pp. 276-306.
  • 2 ↑ Machina, M., « Expected utility analysis without the independence axiom », Econometrica, 50, 1982, pp. 277-323 ; « Generalized expected utility analysis and the nature of observed violations of the independence axiom », in Stigum, B. P., et Wenstop, F. (dir.), Foundations of Utility and Risk Theory with Application, Dordrecht, Reidel, 1983.
  • 3 ↑ Boudon, R. « Au-delà du modèle du choix rationnel ? », in Saint-Sernin, B., Picavet, E., Fillieule, R., et Demeulenaere, P. (dir.), les Modèles de l'action, PUF, Paris, 1998.

→ Allais (paradoxe d'), bayésianisme, espérance mathématique, Newcomb (paradoxe de), rationalité