Allais (paradoxe d')

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Philosophie Cognitive, Sciences Humaines

Énigme empirique découverte par l'économiste français Maurice Allais (né en 1911, prix Nobel en 1988), consistant en une remise en cause du modèle classique de l'utilité espérée(1). D'abord mis en évidence grâce à un questionnaire, dans une démarche de test empirique de la théorie classique, le paradoxe d'Allais constituait, plus spécifiquement, un échec de prédiction pour la théorie de l'utilité espérée axiomatisée par von Neumann et Morgenstern dans la deuxième édition de leur Théorie des jeux (1947).

Dans l'une des versions du problème, on pose à l'assistance les questions suivantes :

« Préférez-vous A ou B ? » (où A signifie « recevoir 100 millions de francs » et B, « recevoir 500 millions avec une probabilité de 10 %, 100 millions avec une probabilité de 89 % et 0 avec une probabilité de 1 % »).

« Préférez-vous C ou D ? » (où C signifie « recevoir 100 millions avec une probabilité de 11 % et 0 avec une probabilité de 89 % » et D, « recevoir 500 millions avec une probabilité de 10 % et 0 avec une probabilité de 90 % »).

D'après la théorie de l'utilité espérée, on devrait constater que si A est préféré à B, C est préféré à D. Mais on observe chez de nombreux sujets que A est préféré à B, alors que D est préféré à C.

Conjointement avec la découverte d'autres paradoxes et les travaux ultérieurs des psychologues, le paradoxe d'Allais a jeté le doute sur la valeur prédictive du modèle de l'espérance d'utilité et sur la portée de l'« axiome d'indépendance » de von Neumann et Morgenstern (selon lequel, à partir d'issues certaines u et v et d'une troisième issue w, l'ordre des préférences sur la paire (u, v) est préservé si l'on élabore d'un côté une loterie donnant u avec une certaine probabilité et w avec une autre probabilité, et d'un autre côté, avec les mêmes probabilités, une loterie donnant v ou w).

Ayant conduit à une interrogation critique sur l'intérêt prédictif des théories normatives usuelles de la décision rationnelle, la découverte d'Allais, constituant le premier exemple connu d'une classe plus large de phénomènes (les « effets de rapport commun » étudiés plus tard en psychologie), a joué un rôle important dans le renouvellement de l'analyse de la décision(2). M. Allais a nié le caractère paradoxal du phénomène, refusant d'admettre la valeur normative de la théorie classique. Au demeurant, le paradoxe a relancé l'examen de la difficile articulation entre théorie normative et modèles descriptifs ou explicatifs dans ce domaine. Allais a recommandé de prendre en compte non seulement la moyenne des valeurs (comme dans la théorie de l'utilité espérée) mais aussi les moments d'ordre supérieur, ainsi que la déformation psychologique des probabilités objectives, la théorie classique apparaissant dès lors comme un simple cas particulier, dont la plausibilité ne concerne pas toutes les situations de décision.

Emmanuel Picavet

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Allais, M., « Le comportement de l'homme rationnel devant le risque : critique des postulats et axiomes de l'École américaine » in Econometrica, 21 (1953), pp. 503-546.
  • 2 ↑ Allais, M., et Hagen, O. (dir.), Expected Utility Hypotheses and the Allais Paradox : Contemporary Discussions of Decisions under Uncertainty, with Allais' Rejoinder, Dordrecht, Reidel, 1979.

→ bayésianisme, décision (théorie de la), espérance mathématique, jeux (théorie des), probabilité, rationalité

→  « croire et juger » , « Est-il rationnel d'être rationnel ? »