croyance

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin credere, creditum, « croire », « avoir confiance » et « confier ».

Philosophie Générale

Assentiment qui comporte tous les degrés de probabilité.

La croyance peut être prise en plusieurs sens, mais elle implique d'une manière générale de faire crédit, ou de se fier, à quelqu'un ou à quelque chose sans faire intervenir de doute. En ce sens, la croyance implique une forme de confiance.

En un premier sens, la croyance apparaît comme une connaissance imparfaite, qui ne cherche pas à voir les choses telles qu'elles sont mais telles qu'on nous les a racontées ; ainsi les prisonniers de la Caverne de Platon(1) croient-ils voir la réalité des objets, alors qu'ils n'en perçoivent que les ombres projetées sur le fond du mur qu'ils contemplent. Platon voit dans cette croyance première et source d'erreurs une métaphore de la connaissance sensible et trompeuse. La croyance est ici le sol de l'illusion, parce qu'elle entretient encore un rapport avec le corps (c'est le sens de la vue qui est en cause chez les prisonniers), et que la perception sensible ne peut constituer le fondement de la connaissance authentique, appelée science (epistêmê). Une fois traîné hors de la caverne, celui qui aperçoit la lumière du jour accède à cette vraie connaissance, et renonce à la croyance : c'est lui, désormais, qui est acteur de son savoir, il ne se fie plus à un tiers pour regarder le soleil ou l'Idée du Bien.

On peut comprendre ainsi que la notion de croyance suppose une dimension de passivité, comme le souligne Platon dans son allégorie. La première croyance est plus confortable que la découverte, douloureuse (le prisonnier est d'abord ébloui), de la véritable lumière. La croyance appartient donc pour Platon au registre du monde sensible, elle constitue le mode de connaissance propre aux réalités matérielles dont les copies font l'objet.

La croyance semble du même coup s'opposer à la vérité, ainsi que le montre Descartes dans le parcours des Méditations métaphysiques(2) : le geste inaugural de la philosophie revient à écarter les croyances jusque-là admises, à suspendre son jugement. Pour se mettre en état de découvrir une vérité ferme et assurée, il faut rejeter toutes les idées reçues (sous-entendu : des autres et passivement), se défaire de toutes les approximations.

Mais l'on peut aussi considérer que cette « méfiance » philosophique à l'égard de la croyance est la marque d'une volonté de vérité qui traduit elle-même une sorte de foi : comme le montre Nietzsche(3), il y aurait alors quelque chose d'irrationnel au principe même de la quête de la rationalité scientifique et philosophique.

Clara da Silva-Charrak

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Platon, République, VII, 514a-517b, trad. L. Robin, Gallimard, Paris, 1950, p. 1091-1101.
  • 2 ↑ Descartes, R., Méditations métaphysiques, I, Œuvres philosophiques, tome II, Garnier-Flammarion, Paris, 1996, p. 404.
  • 3 ↑ Nietzsche, F., Le Gai savoir, § 344.
  • Voir aussi : Kant, E., Critique de la raison pure, Méthodologie transcendantale, ch. II, sect. 3.
  • Hegel, G. W. F., Phénoménologie de l'Esprit, ch. I, « La certitude sensible, ou le ceci et ma visée du ceci ».
  • Merleau-Ponty, M., Le Visible et l'invisible, ch. I, « Réflexion et interrogation ».

→ corps, illusion, raison, religion, sensible, vérité




Croire et juger

On appelle ordinairement « croyance » l'attitude psychologique qui conduit à donner son assentiment à un contenu de représentation dont le sujet n'est pas objectivement certain. En ce sens, la croyance a des degrés qui peuvent aller de la simple opinion, ou de l'accord avec une représentation seulement probable, à la certitude subjective ou à la conviction, et elle s'oppose au savoir. L'un des problèmes fondamentaux de la théorie de la connaissance est celui de savoir ce qu'il faut de plus à la simple croyance vraie pour être justifiée et pour devenir une authentique connaissance. L'empirisme, surtout quand il prend des formes sceptiques, tend à considérer que la différence entre croyance et connaissance n'est que de degré, et que, même si les croyances peuvent devenir rationnelles, elles ne sont jamais complètement fondées. Le rationalisme tend, au contraire, à voir entre croyance et connaissance une différence de nature, et à rejeter les croyances du côté des représentations nécessairement fausses, douteuses ou illusoires, produits de la superstition et du préjugé. C'est pourquoi il oppose souvent la croyance, assentiment irréfléchi et mal informé, qui est encore sous l'empire de la sensation et de l'imagination, au jugement, réfléchi et informé, qui porte la marque de raison. Mais cette distinction est-elle bien assurée ?

Il est difficile de parler de croyance s'il n'y a pas un contenu propositionnel auquel le sujet donne son assentiment : en ce sens, de simples sensations ne forment pas une croyance. Si l'on définit, de manière minimale, la croyance comme assentiment de l'esprit à une proposition tenue pour vraie, rien ne semble distinguer celle-ci d'un jugement, puisque ce dernier est traditionnellement défini, par exemple dans la Logique de Port-Royal, comme la réunion d'idées dans l'esprit conduisant à l'affirmation de leur liaison. Mais, à ce titre, même des jugements obtenus passivement par la répétition d'impressions semblables et renforcés par l'habitude peuvent compter comme tels, et, en ce sens, Hume ne distingue pas le belief de l'assentiment ou du jugement, et il n'y a pas d'obstacle à soutenir que les enfants au stade prélinguistique ou les animaux aient des croyances. De simples croyances tacites, comme la croyance que j'ai qu'il pleut en entendant la pluie sur les carreaux, mais sans penser consciemment qu'il pleut, peuvent ainsi compter comme des jugements. On peut alors chercher à distinguer croyance et jugement en disant que le second est nécessairement réfléchi et conscient, et qu'il fait l'objet d'un assentiment actif, et non pas passif, de la part de l'esprit. Telle était l'image stoïcienne, qui conduisait l'idée de degrés d'assentiment : « Montrant sa main ouverte, les doigts étendus », « telle est la “représentation” (phantasia) », disait Chrysippe. Puis, ayant replié légèrement les doigts, « tel est l'“assentiment” (sunkatathèsis) ». Puis, lorsqu'il avait tout à fait fermé la main et serré le poing, il disait que c'était la “compréhension” (katalèpsis)... Enfin, de sa main gauche qu'il approchait, il serrait étroitement et fortement son poing droit : telle était, selon lui, « la “science” (dianoia), que personne ne possède, sauf le sage »(1). Ce qui distingue la simple représentation de l'assentiment et de la compréhension, c'est la volonté qui donne son accord à des représentations claires. Descartes adapte cette conception stoïcienne en soutenant que tout jugement authentique est sous l'influence de la volonté qui affirme le contenu des idées que lui présente l'entendement : quand la volonté, infinie, va au-delà de ce que lui offre l'entendement, l'erreur se produit, qui est donc toujours propre au jugement. Cela ne veut pas dire que tout usage de la volonté dans le jugement est bon, puisqu'il y a aussi un mauvais usage de la volonté quand celle-ci affirme ce qu'il lui plaît de juger, ce que Pascal appellera, dans l'Art de persuader, la « voie basse » par laquelle les opinions entrent dans l'esprit, par opposition aux opinions qui sont le produit de jugements fondés sur des « preuves ».

Mais la psychologie cartésienne (ou stoïcienne) du jugement fait problème sur trois points au moins. D'abord, elle suppose qu'il est toujours possible d'isoler un acte mental de la volonté, qui donne librement son accord à des idées pour les unir en un jugement. Mais nombre de philosophes, de saint Thomas d'Aquin à Ryle et à Wittgenstein, ont douté qu'il existe de tels actes de la volonté à titre d'événements mentaux indépendants et privés. Ils nient que la volonté soit indépendante de dispositions du sujet à donner son assentiment, qui se manifestent autant dans le comportement (y compris le comportement linguistique d'assertion d'une proposition) que dans un hypothétique for intérieur. En ce sens, comme le soutiendront des pragmatistes tels que Peirce, les croyances sont plus des dispositions à agir de diverses manières qui se définissent par leur rôle global dans le système des actions et des inférences d'un agent, plutôt que par des actes de volitions spécifiques. Ensuite, Descartes, pas plus que les empiristes classiques, ne distingue clairement le jugement comme affirmation de la liaison d'idées de l'affirmation de la vérité d'une proposition objective. En ce sens, ce n'est que chez des auteurs comme Bolzano et Frege que l'on fera clairement la distinction entre l'appréhension d'un contenu propositionnel articulé et le jugement de cette proposition comme vrai. Quand Frege introduit ce qu'il appelle la « barre de jugement » (ou d'assertion) dans son symbolisme, il entend faire porter la force assertive sur la proposition complète, et non pas sur le prédicat. Enfin, Descartes soutient que l'assentiment n'est pas susceptible de degrés, car il rejette toute idée de jugements qui seraient plus ou moins probables : le jugement est catégorique et ne vise que la certitude. Mais les médiévaux, puis Locke admettent, au contraire, qu'il y a des degrés d'assentiment, proportionnés au degré d'évidence. Selon cette conception, qui trouve dans la philosophie contemporaine son expression dans la conception « bayésienne » des croyances comme « degrés de probabilités subjective », l'affirmation et la négation pleine ne sont que les extrêmes opposés (1 et 0) d'une échelle de degrés de croyance comprise entre ces extrêmes. Selon ce probabilisme, qui avait été anticipé par Cournot, et dont l'expression contemporaine est représentée par la théorie des degrés de confirmation des hypothèses scientifiques chez Carnap, le savoir ne peut jamais atteindre une certitude objective entière, sinon comme une limite supérieure.

Existe-t-il une voie moyenne entre ce probabilisme et une conception rationaliste qui oppose radicalement les croyances passives et de degré de certitude variable à des jugements pleins et entiers, fondés en raison ? Oui, si l'on réfléchit à la difficulté fondamentale de ce probabilisme, qui est que, pour pouvoir assigner une probabilité à une proposition donnée, il faut bien tenir certaines croyances, au moins provisoirement, comme certaines, c'est-à-dire tenir pour acquis certains jugements, pour pouvoir en évaluer la probabilité d'autres. La distinction appropriée n'est plus alors celle qu'on fait entre croire et juger, mais celle qu'on peut faire entre croire et accepter. Pour que la connaissance objective soit possible, il faut accepter certaines hypothèses, quitte à les rejeter ensuite ; le progrès de la connaissance provient ensuite des révisions plus ou moins grandes que l'on est prêt à faire par rapport à ces croyances d'arrière-plan. Selon certains philosophes des sciences, comme Van Fraassen, le progrès scientifique consiste à accepter certaines théories comme conformes aux données empiriques, et non pas à les affirmer comme vraies. Dans la veine de James, qui soutenait, dans son essai la Volonté de croire, qu'un savant peut accepter certaines théories même quand il n'a pas assez de données pour la confirmer, Van Fraassen soutient qu'il existe en ce sens un élément foncièrement actif dans la connaissance. On n'est pas obligé de le suivre dans cet intrumentalisme. On peut soutenir que cet élément actif dans le choix et la révision des hypothèses est au service de la recherche de théories vraies.

Ce qui vaut dans le domaine théorique vaut aussi dans le domaine pratique. Un agent rationnel peut avoir certaines croyances, plus ou moins informées, le conduisant à certaines décisions. Mais la rationalité de ses décisions et de ses raisonnements pratiques ne dépend pas exclusivement du degré de probabilité de ces croyances et du degré d'utilité des actions correspondantes. Elle dépend aussi des principes qu'il a admis conditionnellement et de la manière dont il est capable de les réviser. L'action rationnelle, comme la connaissance rationnelle, dépend alors de la rationalité de ces processus de révision. Peut-on espérer jamais en codifier les principes et produire une logique de la décision pratique, comme une logique de la décision théorique ? C'est douteux, et ici la fonction du jugement au sens aristotélicien de la phronèsis, ou de la prudence, semble être un élément essentiel, bien qu'incodifiable, de la rationalité.

Pascal Engel

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Cicéron, Premiers Académiques, II, 47, p. 145 in les Stoïciens, Gallimard, La Pléiade, Paris.
  • Voir aussi : Descartes, R., Méditations métaphysiques, Flammarion, Paris, 1979.
  • Engel, P. (éd.), Believing and Accepting, Kluwer, 2000.
  • Hume, D., Traité de la nature humaine, Garnier-Flammarion, Paris, 1993.
  • James, W., La volonté de croire, Garnier-Flammarion, Paris, 1920.
  • Jeffrey, R., Probability and the Art of Judgment, Cambridge University Press, 1992.
  • Van Fraassen, B., Lois et Symétries, Vrin, Paris, 1996.