origine

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Philosophie Générale

Condition de possibilité d'une série qui est elle-même située en dehors de cette série.

Pour comprendre la notion d'origine, il faut sans doute en premier lieu la séparer du commencement. Cette distinction parcourt l'histoire du concept et en rend l'accès difficile, car en confondant l'origine et le commencement, on identifie le fondement et le fondé, le principe et le phénomène. Le commencement est en effet, dès qu'on le pose comme une origine, pris dans des apories qui ont été relevées par Kant(1). Ce dernier pose de fait que l'idée d'un commencement du monde entre directement en conflit avec une autre idée pure : celle d'un monde infini dans le temps et dans l'espace. Aucune de ces thèses ne parvient, ainsi qu'il se doit dans le conflit incessant des doctrines métaphysiques, à surmonter l'autre et à lui opposer le critère de la démonstration. C'est que, dans la problématique kantienne, l'origine est une cause elle-même inconditionnée, qui ne peut être pensée à la façon d'un phénomène. La thèse du monde infini, quant à elle, prétend avoir une connaissance de cette cause infinie qui, radicalement, lui échappe, parce qu'aucune intuition ne peut s'y attacher. Deux dogmatismes irréconciliables sont en présence, qui nous dévoilent la nature causale de l'origine et celle, plus empirique ou phénoménale, du commencement. Le commencement est un phénomène. Mais dire que le monde a commencé à tel moment, ce n'est pas encore savoir quelle fut la cause de ce commencement. L'origine est du côté de la cause ou de l'essence et n'appelle pas en soi les ressources d'une méthode d'observation précise de l'événement (en histoire comme en philosophie naturelle). La question de l'origine est liée à celle d'une essence. L'origine des langues ou des inégalités dans les textes de Rousseau(2) ne saurait être circonscrite à une recherche monographique des conditions réelles d'apparition, dans l'histoire et dans le temps, du langage ou de la propriété. Bien au contraire, Rousseau fait appel à un mixte de déterminations historiques (parfois fantaisistes lorsqu'il confond les âges réels de l'essor de la technique) et de représentations imaginaires : l'origine est, on le sait, parfaitement chez elle dans la fiction et le mythe fondateur. De la même façon, la question de l'origine des idées est, dans le débat qui oppose Leibniz à Locke, comprise de façon divergente par l'un et par l'autre. Le premier, ardent idéaliste, dévoile les structures qui, dans l'esprit, rendent possible toute expérience à venir, sans pour autant être prises elles-mêmes, dans le flux de cette expérience. C'est le nisi intellectus ipse(3) qui répond à la formule employée par Locke : « nihil est in intellectu quod non fuerit prius in sensu ». Ce dernier, au contraire, donne à l'empirisme méthodologique son principe fondateur en affirmant une identité entre l'origine des idées et leur commencement concret dans l'expérience. Toute la psychologie empirique contemporaine baigne dans cette affirmation constructiviste selon laquelle, au fond, l'esprit n'est que le produit sommaire de ses contenus d'expérience(4).

Il est bien évident que le recours systématique, si typique de la pensée classique, à la question de l'origine comme méthode systématique d'enquête est en fait une requête dirigée vers le déploiement d'une essence.

Fabien Chareix

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, Dialectique transcendantale, L. II, Ch. 2, section 2 : Antithétique de la raison pure, PUF, Paris, 2001.
  • 2 ↑ Rousseau, J.-J., Essai sur l'origine des langues, Nizet, Paris, 1970 ; Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, in Œuvres complètes, vol. III, B. Gagnebin et M. Raymond (Éds.), Gallimard, Paris, 1959-1969.
  • 3 ↑ Leibniz, G.W., Nouveaux essais sur l'entendement humain, Préface, Flammarion, Paris, 1990.
  • 4 ↑ Locke, J., Essai concernant l'entendement humain, (1690), J. Schreuderet P. Mortier Éds., Vrin, Paris, 1972.

→ cause, création, Dieu, généalogie, mythe, principe

Psychanalyse

Freud crée une série de termes à l'aide du préfixe Ur-, qui marque la provenance, l'origine : Urphantasie, « fantasme originaire », Urszene, « scène primitive », Urvater, père primitif, etc. La traduction usuelle est « originaire », mais le préfixe français « archi- » a un sens proche.

Théorie dynamique et morphogénétique, la psychanalyse étudie les effets du temps sur les états d'un système et examine les modalités d'apparition, de persistance et de disparition des formations et des processus psychiques. La question de leur origine – ontogénétique et / ou phylogénétique – est donc centrale. L'Ur- – ce qui est « originaire » – est, pour Freud, à la fois principe organisateur et discontinuité fondatrice (meurtre originaire du père primitif, refoulement originaire, fantasmes originaires).

L'humanité procède, selon le mythe scientifique de Totem et tabou(1), d'une Urschuld, d'une « faute originaire » : le « meurtre originaire » du « père primitif ». L'événement est fondateur, tant pour l'individu que pour les cultures. La culpabilité et l'ambivalence peuvent alors être élaborées, l'acte reconnu, ainsi que l'irréversibilité du temps et la mort. Le mythe de l'« archi-père » s'entend aussi, par transposition ontogénétique, comme la reconstruction nostalgique d'une figure de régulation première, celle du narcissisme absolu, et le meurtre comme la discontinuité fondatrice qui impose un écart à son endroit(2).

Freud affirme en outre l'universalité des fantasmes originaires, qui sont autant de réponses fantasmatiques aux interrogations touchant à l'origine – de sa propre existence (scène primitive, retour dans le sein maternel), de la sexualité (séduction), de la différence des sexes (castration)(3). Ils sont les schèmes organisateurs – les causes formelles – de réalisations singulières : les vies fantasmatiques individuelles.

Les fantasmes originaires lient onto- et phylogenèse. Ils se rapportent à des épisodes réels de l'histoire de l'humanité qui ont donné lieu à élaboration, et qui ne cessent de se reconstituer par les échanges – actuels – avec le monde extérieur. L'hypothèse freudienne – lamarckienne – d'une transmission héréditaire des caractères acquis est superflue, celle de formes de dynamique suffit – comme le montre la dynamique qualitative.

Christian Michel

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Freud, S., Totem und Tabu (1912-1913), G.W. IX, Totem et tabou, Payot, Paris, 2001.
  • 2 ↑ Porte, M., Le mythe monothéiste, ENS Éditions, Fontenay-aux-Roses, 1999.
  • 3 ↑ Laplanche, J., et Pontalis, J.-B., « Fantasme originaire, fantasme des origines, origine du fantasme », les Temps modernes, no 215, Paris, 1964.

→ différence des sexes, fantasme, inconscient, réalité, refoulement, sexualité, topique