meilleur (principe du)

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Philosophie Générale

Principe d'inclination de la volonté divine.

L'une des propriétés les plus prégnantes du Dieu de Leibniz est qu'en lui la volonté est inclinée à produire le meilleur, quoique Dieu soit complètement libre. On sait que sur ce point, Leibniz récuse à Descartes l'idée d'une volonté absolue de Dieu, par laquelle ce dernier pourrait créer un monde où les vérités rationnelles et aussi bien ce que nous nommons « réalité » n'auraient pas le même sens que celui que nous leur connaissons(1). Ce que Leibniz nomme « réalité » n'est pas autre chose qu'un certain degré de perfection définitionnelle. Est réelle une chose dont l'existence est en quelque sorte analytiquement déduite de la quantité de perfection qui est en elle ou dans la série où on la tire. Par perfection, entendons la faculté de produire un réseau maximalisé d'essences qui sont en relation les unes aux autres :

« On comprend avec admiration comment, dans la formation originelle des choses, Dieu applique une sorte de mathématique divine ou de mécanisme métaphysique, et comment la détermination du maximum y intervient. Ainsi en géométrie l'angle déterminé parmi tous les angles est l'angle droit. Ainsi un liquide placé dans un autre, hétérogène, prend la forme qui a le maximum de capacité, à savoir la forme sphérique. Ainsi encore et surtout en mécanique ordinaire, de l'action de plusieurs graves concourant entre eux résulte le mouvement par lequel en fin de compte se réalise la plus grande descente. Et de même que tous les possibles tendent d'un droit égal à exister, en proportion de leur réalité, ainsi tous les poids tendent aussi d'un droit égal à descendre, en proportion de leur gravité ; de même qu'ici se produit le mouvement dans lequel se produit la plus grande descente des graves, de même le monde qui se réalise est celui qui réalise le maximum de possibles »(2).

On note que la réalité n'est pas un indice découpé dans l'étendue, mais un coefficient de perfection, c'est-à-dire une quantité d'essences produites dans une même série. On note également la comparaison de l'action de Dieu à l'application d'une « mathématique » ou d'un « mécanisme métaphysique » au sein desquels se trouve d'abord pensé le tout puis la connexion de ses parties : l'univers puis les substances individuelles(3). On note enfin qu'en Dieu, tous les possibles sont dotés d'un signe positif, leur actualisation résultant d'une application du principe d'économie issu de la tradition nominaliste.

Doit-on affirmer du compossible qu'il soit comme déterminé par le calcul des contradictions ? Si les possibles étaient simplement contradictoires entre eux, alors on pourrait affirmer que certains possibles pourraient être affectés d'un signe négatif en Dieu. C'est l'idée même d'une compossibilité qui est menacée par le fait que les possibles puissent être contradictoires. Leibniz fait reposer l'ensemble du processus qui actualise les possibles sur l'idée de perfection (chaque possible l'emportant sur un autre à mesure que son incorporation au monde emporte plus de perfection pour celui-ci). Le compossible montre à quel point l'entendement de Dieu est étranger à toute pensée de la négativité, qui marque singulièrement la finitude. Les vérités de raison voient leurs contraires impensables (plutôt que contradictoires). Les vérités de fait devraient alors être définies non pas comme ce dont la contradiction, la négation comme telle, est possible (donc pensable) en Dieu, mais comme ce dont la compossibilité emporte plus de perfection. C'est là une source de cet optimisme dont Voltaire donne une représentation cacophonique dans Candide. Dans l'entendement divin, toutes les vérités, de raison ou de fait, sont en droit pensables. En Dieu, c'est donc une même chose qu'une vérité de raison et une vérité de fait. En ce sens la distinction entre raison et fait n'est valable que pour nous, dans la mesure où notre faculté d'analyse est altérée par la position dans une perspective finie : celle de notre corps. Il ne faut donc pas affirmer que tout possible devient réel et affirmer un pur déterminisme dont le style spinoziste serait fâcheux. L'incompossibilité introduit dans le comput divin autre chose que de la pure évaluation des rapports de force entre les essences qui s'actualisent : la perfection tend à mettre en relief l'aspect indépassable d'une vérité de fait qui n'est pas un simple calcul, mais bien le produit d'un jugement.

La façon dont Leibniz ordonne les classes de vérité implique une structure de régression dont le terme est un être dont la réalité est impliquée dans sa possibilité même (c'est-à-dire dans son concept, Leibniz reformulant l'argument d'Anselme dans le Proslogion). Ainsi :

« Il est vrai aussi qu'en Dieu est non seulement la source des existences, mais encore celle des essences, en tant que réelles ou de ce qu'il y a de réel dans la possibilité : c'est parce que l'entendement de Dieu est la région des vérités éternelles ou des idées dont elles dépendent, et que sans lui il n'y aurait rien de réel dans les possibilités, et non seulement rien d'existant, mais encore rien de possible. »(4)

Vérité et réalité sont intimement liées dans la mesure où Leibniz semble rabattre intégralement, en Dieu, le plan des déterminations possibles et le point de vue de leur actualisation dans l'être. Or cette thèse comporte un danger pour l'établissement de la liberté. C'est essentiellement dans le champ de la liberté qu'intervient la doctrine de l'incompossibilité, qui sépare et distingue vérités de fait et vérités de raison, être et concept, essence et existence, afin de ne pas faire de la production du réel une simple exploration des possibles par le calcul divin.

Fabien Chareix

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Voir sur ce point Belaval, Y., Leibniz critique de Descartes, Gallimard, Paris, 1960, ch. 6 passim.
  • 2 ↑ De la production originelle des choses prise à sa racine, in Leibniz, G.W., Opuscules philosophiques choisis, trad. du texte de 1697 par P. Schrecker, Vrin, Paris, 1969.
  • 3 ↑ Voir Fichant, M., Science et métaphysique dans Descartes et Leibniz, PUF, Paris, 1998, pp. 156 et suiv.
  • 4 ↑ Leibniz, G.W., Monadologie, Delagrave, Paris, 1880, § 43.

→ contingent, Dieu, nécessité, possible, vérité de raison / vérité de fait