nécessité

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin necessitas, « nécessité ». En grec : anagkè.


Dans le mythe d'Er, Platon fait d'Anagke une déesse, mère des Moires qui filent les destinées humaines(1). Cette association de la nécessité et du destin est déjà à l'œuvre chez les tragiques, comme Eschyle, qui suggère que Zeus même est assujetti à la nécessité(2) ; ainsi que chez les philosophes présocratiques, comme Héraclite, qui considère – selon le témoignage de Simplicius – que tout change selon une nécessité fatale (heimarmene anagke)(3), perspective qui sera plus particulièrement développée par les stoïciens.

Philosophie Générale, Philosophie Antique

En un sens général, ce qui ne peut pas ne pas être ou ce qui ne peut pas être autrement. 1. Au sens physique, enchaînement causal en vertu duquel les phénomènes se produisent de manière déterminée. – 2. Au sens métaphysique, parfois synonyme de destin. – 3. Au sens moral, contrainte. – 4. Au sens logique, enfin, caractère de ce qui est universellement vrai.

Avec les atomistes, une conception de la nécessité de type causal est à l'œuvre. Démocrite considère que la cause de toutes choses est le tourbillon qu'il nomme « nécessité »(4). Toute idée de finalité est étrangère à la physique des atomistes(5). Les atomes s'agrègent en fonction de leurs caractéristiques de manière strictement mécanique et déterminée(6).

Dépourvue de finalité, une nécessité purement mécanique, pour Platon, ne saurait être principe d'ordre et engendrer un monde, ou cosmos : le Timée décrit le monde comme un mélange de nécessité et d'intelligence, cette dernière, figurée par le démiurge, sachant user de la nécessité pour produire le bel ordonnancement du monde(7).

La forme mythique en moins, c'est une articulation analogue entre nécessité et finalité qu'on retrouve dans la physique d'Aristote : il reconnaît une forme de nécessité inhérente à la matière, qui constitue une condition de la réalisation de ce pour quoi une chose est faite. Par exemple, une scie pour accomplir sa fonction doit être en fer(8). Mais la nécessité revêt essentiellement une dimension téléologique, chaque être actualisant sa forme de manière déterminée. Pourtant, en raison de l'existence de l'accident(9), le système d'Aristote n'est pas un déterminisme sans faille. Dans le monde sublunaire subsiste une part d'indétermination, laissant par conséquent une place pour l'action humaine qui prolonge et complète, en quelque sorte, la nature. En revanche, le premier moteur, principe de tout mouvement, éternel et immobile, est nécessaire absolument(10). Le livre v de la Métaphysique propose une revue exhaustive des différents sens du nécessaire. Outre la nécessité logique de la démonstration et la notion de nécessité vitale, Aristote développe le sens premier de nécessité : contrainte, « force » (bia), en l'opposant à l'« impulsion » (horme) et au « choix réfléchi » (prohairesis)(11). Dans l'Éthique à Nicomaque, il précise les aspects de l'acte accompli par contrainte, et met l'accent sur son caractère involontaire et donc non susceptible d'éloge ou de blâme(12).

C'est essentiellement en termes de conséquences morales que se pose le problème de la nécessité chez les stoïciens. Comme le souligne Cicéron, le destin, ordonnance et série de causes, n'a rien à voir avec la superstition et semble, au contraire, présenter toutes les caractéristiques d'une vision déterministe de la nature(13). En aucun cas, cependant, il ne s'agit d'une nécessité aveugle. La perfection providentielle du monde justifie l'enchaînement prédéterminé des événements, ainsi que son caractère cyclique (retour éternel). Comment concilier ce monde avec la responsabilité morale ? Même s'il assimile, selon certains témoignages, le destin et la nécessité au sens causal(14), Chrysippe distingue clairement le destin de la nécessité au sens de contrainte. Toute prise de décision a pour cause prochaine une impression, mais la cause première, décisive, de l'assentiment, est l'individu lui-même, son propre caractère. Ainsi du cylindre, qui ne peut se mettre en mouvement sans une poussée (cause prochaine), mais qui roule en raison de sa propre nature (cause première)(15).

Annie Hourcade

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Platon, République, X, 616 c-617 d.
  • 2 ↑ Eschyle, Prométhée enchaîné, 514-518.
  • 3 ↑ Heraclite, A 5 in J.-P. Dumont (éd.), Les Présocratiques, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1988. Voir aussi Parménide, B 8, 30, ibid.
  • 4 ↑ Diogène Laërce, IX, 45.
  • 5 ↑ Démocrite, A 66 in J.-P. Dumont (éd.), Les Présocratiques, op. cit.
  • 6 ↑ Ibid., A 38.
  • 7 ↑ Platon, Timée, 48 a.
  • 8 ↑ Aristote, Physique II, 9, 200 a 10.
  • 9 ↑ Ibid., Métaphysique XI, 8, 1064 b 15 et suiv.
  • 10 ↑ Ibid., XII, 7, 1072 b 7 et suiv.
  • 11 ↑ Ibid., V, 5, 1015 a 26-1015 b 2.
  • 12 ↑ Ibid., Éthique à Nicomaque, III, 1, 1109 b 30 et suiv.
  • 13 ↑ Long, A.A. & Sedley, D.N., Les Philosophes hellénistiques, 2001, Paris, 55 L (t. II, p. 385).
  • 14 ↑ Ibid., 55 M (t. II, pp. 385-386).
  • 15 ↑ Ibid., 62 C (t. II, pp. 475-478).
  • Voir aussi : Bobzien, S., Determinism and Freedom in Stoic Philosophy, Clarendon Press, Oxford, 1998.
  • Chevalier, J., la Notion du nécessaire chez Aristote et chez ses prédécesseurs particulièrement chez Platon, Alcan, Paris, 1915.
  • Duhot, J.-J., la Conception stoïcienne de la causalité, Vrin, Paris, 1989.
  • Greene, W. C., Moira, Fate, Good and Evil in Greek Thought, Harvard University Press, Cambridge Mass., 1944.
  • Sorabji, R., Necessity, Cause and Blame, Perspectives on Aristotle's Theory, Cornell University Press, Ithaca, New York, 1980.

→ cause, contingent, destin, déterminisme, fatalisme, futur, hasard, liberté, nécessaire, providence, responsabilité

Logique, Métaphysique

Qualité d'une proposition dont il n'est pas possible qu'elle ne soit pas vraie, ou d'un état de choses dont il est impossible qu'il soit non existant.

Une proposition est nécessaire si, selon la terminologie de Leibniz, elle est vraie dans tous les mondes possibles. On distingue aussi la nécessité épistémique – l'a priori – de la nécessité métaphysique et de la nécessité physique, que Leibniz distinguait encore de la nécessité morale, relative au choix divin des possibles. La métaphysique aristotélicienne et traditionnelle admet des propriétés nécessaires des substances, ou essences, alors que l'empirisme et le positivisme ne reconnaissent que des nécessités verbales.

Dès l'Antiquité, les philosophes divergent quant à l'interprétation des modalités. La logique modale contemporaine permet de maîtriser la sémantique d'opérateurs modaux comme « nécessaire », mais la question fondamentale reste celle de savoir si la nécessité s'applique à des choses ou à des propositions, ou, en terminologie médiévale, si elle est de re ou de dicto.

Pascal Engel

Notes bibliographiques

  • Plantinga, A., The Nature of Necessity, Oxford, 1972.
  • Vuillemin, J., Nécessité ou Contingence, Minuit, Paris, 1985.

→ a priori / a posteriori, de re / de dicto, dominateur (argument), futur contingent, logique modale, modal, modalité, possible