manière

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


En italien : maniera ; en allemand : Manier.

Esthétique

Dans les traités d'art italiens de la Renaissance, style particulier d'un artiste. Tant dans l'histoire de l'art (maniérisme) que dans l'esthétique philosophique à partir du xviiie s., la notion de « manière » recouvre cependant des enjeux qui dépassent l'individualité de l'expression.

En 1550, Vasari se prononce pour la nécessité de l'expression individuelle et considère l'absence de bella maniera comme un défaut esthétique(1). Il fait en même temps de la maniera la caractéristique d'un âge artistique, la terza età, qui commence avec L. de Vinci et Raphaël pour atteindre son accomplissement chez Michel-Ange. Les canons du Quattrocento restent la référence, mais l'artiste les utilise selon sa fantaisie : tendance à la plastique sculpturale, attrait pour les structures géométriques, jeux de perspective, culte de l'arabesque (la maniera serpentina que Pontormo et Le Parmesan empruntent à Michel-Ange), attirance pour la sorcellerie et la magie, l'alchimie et l'astrologie, tendance à la bizarrerie dans le choix des thèmes, érotisme trouble. La manière devient un enjeu esthétique au moment du passage de la Renaissance au baroque. Les controverses du xviie s. l'affectent d'un indice globalement négatif. Déjà Bellori et Félibien emploient « maniérisme » en un sens péjoratif. Le xviiie s. en prend acte (cf. l'article « Manière » de Diderot dans l'Encyclopédie en 1767).

C'est au débouché de cette tradition qu'intervient Goethe. Dans l'essai sur « La simple imitation de la nature, la manière, le style »(2), il entend par style un art qui dépasse à la fois la plate imitation et la « manière » – qu'il appelle ailleurs « caractéristique », et qui est selon lui le défaut de l'art romantique. Le style serait le dépassement du conflit entre art objectif et art subjectif. Entendue ainsi, l'esthétique du classicisme se définit non point comme l'opposé du réalisme et l'antithèse du romantisme mais comme leur synthèse. L'imitation, la manière et le style sont les trois degrés par lesquels l'art s'élève à cette synthèse. À chacun de ces trois niveaux, Goethe envisage l'aspect objectif – la « matière » (Stoff) ou l'« objet » (Gegenstand) –, l'aspect subjectif (la « nature » de l'artiste), et le « résultat ». Au niveau de l'imitation le talent naturel de l'artiste n'est que « fidélité et application », il requiert un œil exercé et une main habile. Au niveau de la manière, l'esprit invente un nouveau langage : il ne se contente plus « d'épeler lettre après lettre la nature », mais crée une syntaxe, un nouvel agencement des perceptions ; il « idéalise » en sacrifiant là où il le faut le singulier. Mais cette universalité se révèle particulière. L'artiste accompli, celui qui atteint le style, dit Goethe dans son commentaire de l'Essai sur la peinture de Diderot, est « le talent qui sait recevoir, conserver, généraliser, symboliser, caractériser – et ce dans chaque partie de l'art, dans la forme autant que la couleur ».

Gérard Raulet

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Vasari, Le vite de' piu eccelenti pittori, scultori ed architetti, L. Torrentino, Florence, 1550.
  • 2 ↑ « Einfache Nachahmung der Natur, Manier, Stil », in Werke, Hamburger Ausgabe, C. H. Beck'sche Verlagsbuchhandlung, Munich, 1981, t. xii (Schriften zur Kunst, Schriften zur Literatur, Maximen und Reflexionen), trad. « Simple imitation de la nature, manière, style », in Écrits sur l'art, textes choisis, traduits et annotés par J.-M. Schaeffer, Klincksiek, Paris, 1983.

→ beauté, esthétique, style