gène

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec genos, « naissance, origine », « descendance, race, genre, génération ».

Biologie

Unité de bases nucléotidiques, héréditairement transmise, servant à fabriquer une protéine.

La définition du gène constitue l'un des problèmes et l'un des enjeux majeurs de la biologie contemporaine. Sa petite taille contraint parfois à l'emploi de modèles et de métaphores. Il requiert la compréhension de ce qu'il commande. Il n'existe pas sans une matière, mais la déborde en étant un certain usage réglé de cette matière.

Trois définitions possibles du gène

Trois types de définitions, métaphorique, descriptive, méta-matérielle peuvent approcher sa réalité.

(1) La définition métaphorique éclaire l'intuition. Toute cellule contient une sorte de mémoire (ADN) où sont, pour ainsi dire, stockés les plans de fabrication (gènes) des éléments (protéines) qu'elle va fabriquer tout au long de son existence. Un gène est comme un plan de fabrication au sein d'une mémoire.

(2) Cette définition métaphorique requiert immédiatement la description des éléments nécessaires au déroulement de ce processus. Le rôle de mémoire est joué par une molécule très longue et compacte, appelée acide désoxyribonucléique (ADN), composée d'une ossature de deux brins disposés en double hélice antiparallèles, chacun des deux brins étant constitué de maillons pourvus d'une extrémité appariée, en face, à celle de l'autre brin. Ces extrémités (ou bases nucléotidiques), au nombre de quatre, sont toujours appariées deux à deux, l'adénine (A) et la thymine (T) (qui forment comme une prise à deux fiches), la cytosine (C) et la guanine (G) (qui forment comme une prise à trois fiches). Pour fabriquer une protéine, la double hélice s'ouvre à un certain endroit, une empreinte est prise de l'un des deux brins, et cette empreinte (ARN) est convertie, groupe de trois bases (triplets) par groupe de trois bases, par un ribosome qui, lié à l'ARN, associe à chaque triplet l'un des 20 acides aminés qui est l'équivalent biochimique de ce triplet. Comme il existe mathématiquement 64 combinaisons possibles de chacune des quatre bases dans un triplet, mais seulement 20 acides aminés, cette traduction admet un assez grand nombre d'équivalences (le code génétique est dit « redondant »). Assemblés un à un, les acides aminés, comme les grains d'un collier, constituent un long filament qui, en se repliant, acquiert une configuration fonctionnelle : c'est une protéine. Un gène est donc une suite d'éléments biochimiques qui servent de moule pour fabriquer une protéine.

(3) Mais tout segment d'ADN, toute suite ou séquence de bases n'est pas nécessairement codante, c'est-à-dire ne sert pas nécessairement à fabriquer une protéine. Pour être codante, une séquence doit comprendre deux types de suites de bases, celles qui correspondent à la fabrication d'une protéine, et celles qui servent simplement de repères ou d'accrochés aux différents acteurs de cette fabrication, c'est-à-dire celles qui sont des signes traduits, et celles qui sont des signes « de ponctuation » (signe de début de traduction [ATG, codant l'acide aminé méthionine], et plusieurs signes de fin de traduction [TAA, TGA, TAG] ne codant aucun acide aminé, et appelés « codons stop »). Enfin, puisque c'est un groupe de trois bases d'ADN qui est converti en un acide aminé et que la traduction progresse triplet par triplet, celle-ci admet trois points de démarrage possibles et, donc, trois résultats de traduction différents. Par exemple, selon le point de fixation du ribosome, le segment ACGTCATCCC peut être lu ACG TCA TCC (C..) ou (..A) CGT CAT CCC ou (.AC) GTC ATC (CC), trois découpages respectivement traduits en Thréonine / Serine / Serine, en Arginine / Histidine / Proline ou en Valine / Isoleucine / (Proline). Un même segment d'ADN peut donc contenir les parties de plusieurs gènes coexistant par superposition, c'est-à-dire coder tout ou partie de protéines totalement différentes. La notion de gène se dématérialise donc à mesure qu'elle devient plus étroitement spécifiée : la correspondance n'existe pas entre une base et un acide aminé, mais entre trois bases et un acide aminé. Le gène ne peut donc pas être défini indépendamment de cette correspondance (code génétique) qui rend secondaire (ou qui dématérialise) le matériau sur lequel elle s'exerce, matériau qui pourrait être, éventuellement, d'un autre type (E. Fox Keller, 1995). C'est pourquoi la définition du gène comme unité de signes au sein d'un code peut être dite « métamatérielle ». Le vocabulaire de la linguistique a beaucoup servi à caractériser l'organisation de ces unités de signes. Les résultats de séquençage de nombreux génomes permettent de reconnaître formellement de nombreux gènes dont la fonction est inconnue. La connaissance de sa fonction ne suffit donc pas à définir un gène.

Quelques précisions

Aucune de ces trois définitions approchées n'est juste, si l'on oublie que la très longue molécule d'ADN, agitée de mouvements incessants et support de très nombreux processus, subit des mutations qui doivent être constamment réparées. Certaines mutations, n'affectant qu'une seule base, sont atténuées par la redondance du code génétique. D'une génération cellulaire à l'autre, la réplication d'une molécule d'ADN laisse passer une erreur non réparée pour un million de paires de bases (soit 4 ou 5 erreurs par génération de colibacille, et environ 3 000 serreurs par génération de cellule humaine). Lorsque, sous l'effet de mutations ou de virus qui dérèglent à leur profit la réplication cellulaire, le taux d'erreur ne parvient plus à être contrôlé par l'organisme, les cellules peuvent proliférer sous forme de tumeurs, et devenir cancéreuses.

La définition d'un gène et les règles générales de sa traduction en protéine sont les mêmes, que l'ADN soit en libre accès dans la cellule (Procaryotes) ou entouré d'une membrane (Eucaryotes), qu'il existe sous la forme d'une seule macromolécule, ou qu'il soit fragmenté dans chaque cellule de l'homme en 23 paires de chromosomes. Un niveau de complexité supérieur augmentera seulement le nombre des facteurs de régulation transcriptionnelle (de l'ADN à l'ARN) et traductionnelle (de l'ARN à la protéine). Par exemple, chez la plupart des organismes eucaryotes, une première transcription de l'ADN donne un ARN primaire, contenant un mélange de séquences non codantes (introns) et de séquences codantes (exons). L'excision des premières et l'épissage des secondes donne un ARN mature, qui va pouvoir être traduit. La notion de gène se dématérialise alors un peu plus : morcelé dans l'ADN, le gène reconstitue son unité lorsqu'il existe sous la forme fonctionnelle d'un ARN mature.

La génétique moléculaire s'efforce de caractériser avec précision la séquence d'un gène et la fonction de la protéine qu'il code. La fonction de cette protéine peut correspondre à un processus observable (phénotype) caractérisant l'organisme qui la possède. Mais un caractère observé dépend très souvent d'une pluralité de causes, de sorte que génotype et phénotype ne coïncident pas toujours. Dans la génétique probabiliste issue des lois de Mendel (1822-1884), un caractère observé chez les organismes dotés de paires de chromosomes homologues est en principe spécifié par deux allèles (couples de gènes occupant la même position sur les deux chromosomes homologues) qui peuvent être identiques ou différents. Lorsque les deux allèles sont différents, celui qui est tenu pour responsable de la forme du caractère observé est dit « dominant », tandis que l'autre est dit « récessif ». La probabilité d'apparition d'un caractère dominant ou récessif peut être calculée, sans pouvoir relever d'un déterminisme génétique autre que probabiliste.

Éléments d'histoire de la notion de gène

L'histoire de la notion de gène s'organise aussi autour de la question de sa matérialité. La théorie cellulaire construit le concept de noyau (Schleiden, 1838), dont le rôle est d'assurer la transmission des caractères héréditaires (Haeckel, 1866), de particules transmises intactes de génération en génération (Galton, 1876 ; De Vries, 1889), « globules chromatiques » ou « chromosomes » (Flemming, 1888) identifiés (Flemming, 1882) à la nucléine isolée par Miescher (1869). Le fonctionnement de ce matériau repose sur des « unités physiologiques », intermédiaires entre les cellules et les molécules capables de se reproduire (Spencer, 1864). De Vries appelle « gemmules » les particules matérielles portant les caractères héréditaires, transmises par division cellulaire et susceptibles d'exister sous une forme dormante ou latente de non-expression du caractère porté (De Vries, 1889). Pour Nägeli, l'idioplasme de la cellule contient des filaments qui peuvent aller d'une cellule à l'autre et sont constitués de micelles (Nàgeli, 1884). Weismann (1885) soutient que le plasma germinal, éternellement transmissible à la descendance, n'est pas affecté par ce qui arrive au reste de la cellule, et que le noyau contient tout le matériel responsable de l'hérédité, structuré en unités : les « biophores » (portant un caractère particulier), spécifiés par des déterminants groupés en ides (chromosomes). De Vries (1889), à la suite de ses travaux d'hybridation, appelle « pangènes » les unités matérielles de l'hérédité, et postule que chacune est indépendante, responsable d'un caractère, et transmise indépendamment de génération en génération. Les pangènes sont inactifs dans le noyau, et actifs lorsqu'ils le quittent : ils se multiplient alors et expriment les caractères qu'ils portent. L'hérédité s'explique par le maintien du stock de pangènes dans le noyau. La redécouverte des lois de Mendel en 1900, d'une manière indépendante, par De Vries, Correns et Tschermak, paraît confirmer la nature matérielle des unités intrachromosomiques portant les caractères héritables (Sutton, Boveri, Correns, 1902). Johannsen s'oppose à cette conception matérielle et propose le terme de « gène » (1909) pour désigner une sorte d'unité non matérielle de calcul. L'étude de mutations chez la drosophile confirme pour Morgan leur nature chromosomique (1910) et le conduit à établir la première carte de loci génétiques mutés ou carte génétique (Morgan, Sturtevant, 1913). Un gène est alors conçu comme le locus génétique d'une mutation possible. En 1941, Beadle et Tatum montrent qu'une déficience nutritionnelle, qui se traduit par l'absence de l'enzyme appropriée, dépend à chaque fois de la mutation d'un gène. La relation un gène-une enzyme s'impose naturellement. Une fois l'ADN reconnu comme le constituant du matériel héréditaire (Avery, 1944 ; Herschey et Chase, 1952), et découverte la structure en double hélice de l'ADN (Watson et Crick, 1953), l'hypothèse d'un code génétique est émise pour expliquer la détermination physique de la relation un gène-une enzyme (1954-1957), ce code est déchiffré (1961-1966), et le lien est établi entre l'ADN, l'ARN et la protéine (1961-1965). Deux types de gènes sont découverts : les gènes de structure, qui codent les protéines ; et les gènes de régulation, qui codent des éléments régulant le déclenchement des premiers (Fr. Jacob et J. Monod, 1959). La découverte, en 1971-1972, d'enzymes capables de couper de manière sélective l'ADN (enzymes de restriction) ouvre la voie d'un séquençage de l'ADN et fait espérer la possibilité d'une thérapie génique par réparation des gènes abîmés, ou inactivation des gènes dangereux pour l'organisme. Mais, d'une part, l'excision de gènes nuisibles dans une phase de lecture peut représenter aussi l'excision de fragments de gènes très utiles dans une autre phase de lecture. D'autre part, rares sont les maladies n'impliquant qu'un seul gène. Leur survenue dépend bien plus souvent de nombreux facteurs et de nombreux systèmes et niveaux de régulation.

La définition et l'histoire de la notion de gène progressent vers sa matérialisation de plus en plus précise, qui ouvre vers la réalité d'un code qui déborde cette matérialisation. La caractérisation des bases devient celle de leur usage comme signes capables de diriger la fabrication d'objets que l'urgence d'une action cellulaire à accomplir dote d'une fonction. Un gène apparaît ainsi comme une réserve de fonctions, connues ou non, sélectionnées par l'évolution sous la forme d'une mise en signes ou commandes. Le gène, usage d'une matière et matérialisation d'une fonction, est à la fois matière et sens biochimiques, réalité et réserve de réalité codée, résultat et support d'une histoire évoluant entre sélection et variation. La réalité de cette histoire suppose que le code et les signes qu'elle emploie ne sont pas des métaphores, mais des réalités.

Nicolas Aumonier

Notes bibliographiques

  • Danchin, A., la Barque de Delphes. Ce que révèle le texte des génomes, Odile Jacob, Paris, 1998.
  • Denis, G., article « Gène », in Lecourt, D. (dir.), Dictionnaire d'histoire et philosophie des sciences, PUF, Paris, 1999.
  • Gayon, J., article « Génétique », in Lecourt, D. (dir.), Dictionnaire d'histoire et philosophie des sciences, PUF, Paris, 1999.
  • Gros, F., les Secrets du gène, Seuil, Paris, 1986.
  • Jacob, F., Monod, J., « Gènes de structure et gènes de régulation dans la biosynthèse des protéines », C. R. Acad. Sci. Paris, 249, 4, pp. 1282-1284, 1959.
  • Jacob, F., la Logique du vivant, Gallimard, Paris, 1970.
  • Keller, E. F., Refiguring Life : Metaphers of 20th Century Biology (1995), New York, « Le Rôle des métaphores dans les progrès de la biologie », Le Plessis-Robinson, 1999.
  • Kourilsky, F., les Artisans de l'hérédité, Odile Jacob, Paris, 1987.
  • Morange, M., Histoire de la biologie moléculaire, La Découverte, Paris, 1994 ; la Part des gènes, Odile Jacob, Paris, 1998.

→ adaptation, génétique, régulation




gène altruiste

Biologie

Gène susceptible de déterminer un comportement altruiste.

Les insectes, les animaux sont capables de comportement altruiste : l'ouvrière renonce à une descendance en faveur de la reine ; une termite peut se faire exploser en projetant sur des attaquants un liquide toxique ; un oiseau peut émettre un cri d'alarme qui sauve ses congénères, mais le condamne en le signalant au prédateur. Partie de l'étude des insectes sociaux, la sociobiologie affirme que nos comportements (et nos croyances) sont génétiquement déterminés. Cette thèse comporte deux difficultés majeures : (1) faire porter le poids de la détermination causale sur un seul facteur ; (2) identifier ce facteur causal au gène. Or, non seulement un processus biologique déterminé peut être produit par une pluralité de causes actuelles, mais la décision organique de transcrire un gène déterminé peut dépendre des produits de plusieurs gènes, ou encore d'une réponse plus globale de l'organisme aux variations de son environnement. L'expression de « gène altruiste » relève, en outre, de ce que N. Jerne appelle une vision « instructive » (causalité directe, presque toujours fausse) et non pas « sélective » (causalité indirecte) des processus biologiques, et semble désigner seulement notre ignorance d'une « pluralité » de causes sélectives.

Nicolas Aumonier

Notes bibliographiques

  • Jerne, N. K., « Antibodies and learning : selection versus instruction », The Neurosciences. A study program, G. C. Quarton, T. Melnechuk, Schmitt, F.O. (éd.), The Rockefeller University Press, New York, 1967.
  • Morange, M., la Part des gènes, Odile Jacob, Paris, 1998.
  • Wilson, E. O., Sociobiology : The New Synthesis, Harvard University Press, Cambridge, 1975.

→ gène, génétique, régulation




gène égoïste

Biologie

1. Gène, ou séquence non codante, susceptible de proliférer sans utilité dans l'ADN. – 2. Point de vue évolutionniste concevant les organismes comme de simples supports de la perpétuation de l'ADN.

1. Après que Watson et Crick eurent révélé la structure en double hélice de l'ADN, que l'hypothèse d'un code génétique eut aussitôt été proposée, et que ce code eut été décrypté (1961-1966), il paraissait évident que la continuité du filament protéique était construite à partir de la continuité de la séquence des bases de l'ADN. Or, de nombreux organismes possèdent des gènes discontinus. Certains sont éparpillés en plusieurs endroits de l'ADN. D'autres apparaissent après un tri effectué sur l'ARN messager (excision des introns, non codants, et épissage des exons, codants). De sorte qu'un organisme contient parfois beaucoup plus d'ADN non codant que d'ADN codant. La proportion d'ADN non codant semble augmenter en fonction du degré d'évolution de l'organisme. Chez l'homme, la proportion d'ADN codant est d'environ 1 % - 2 %. Enfin, chez la plupart des organismes, les gènes semblent répétés plusieurs fois, soit qu'ils aient trouvé avantage à démultiplier le codage d'une protéine importante, soit qu'il y ait eu un avantage plus structural que fonctionnel à laisser s'accumuler des doubles au cours de l'évolution, ou encore que l'organisme n'ait pas été capable de contrôler une certaine prolifération génétique. C'est à ces grandes zones non codantes, et aussi à ces très longues zones de répétition qu'Orgel et Crick donnent le nom de « gène égoïste », pour désigner le caractère inutile et parasitaire, d'après eux, de ces répétitions de gènes ou de séquences non codantes qui semblent avoir déjoué la sélection naturelle pour occuper le plus de place possible dans l'organisme.

2. Dans son ouvrage le Gène égoïste, le sociobiologiste anglais R. Dawkins affirme que les organismes ne seraient que le moyen utilisé par les gènes pour assurer leur survie et leur multiplication : « Nous sommes des machines destinées à assurer la survie des gènes, des robots programmés de façon aveugle pour transporter et préserver les molécules égoïstes appelées gènes ». Dawkins soutient que le « point de vue du gène » permet de comprendre l'utilité sélective de plusieurs pratiques naturelles violentes (combats des mâles pour conquérir les femelles, piqûres de guêpes paralysant sans le tuer un organisme capable d'abriter leurs larves, etc.) : permettre la survie des gènes. Ceux-ci maximisent leurs chances de survie en utilisant tous les moyens qui sont à leur disposition. Tout ce qui nous paraît beau dans la nature ne serait qu'un leurre destiné à favoriser cette survie. L'égoïsme des gènes, indifférents à toute notion de bien ou de mal, suffit à expliquer tous les comportements des êtres vivants.

L'intérêt de cette hypothèse tient à la cohérence de son réductionnisme ; sa faiblesse, à ce qu'elle surestime le rôle des gènes.

Nicolas Aumonier

Notes bibliographiques

  • Dawkins R., le Gène égoïste, Éditions Menges, Paris, 1978.
  • Doolittle W. F., Sapienza C., « Selfish Genes, the phenotype paradigm and genome évolution », Nature, 284, 1980, pp. 601-603.
  • Orgel, L. E., Crick, F. H. C. « Selfish DNA : the ultimate parasite », Nature, 284, 1980, pp. 604-607.

→ gène