architecture

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec architêkton, « celui qui commande aux ouvriers (travaillant le bois, traçant des plans et surveillant l'exécution des travaux) ».

Esthétique

Art qui traite l'espace comme son sujet, indépendamment de la seule dimension plastique (sculpture). Les processus stylistiques dérivés sont eux aussi nommés « architectures ». Par extension, tout ce qui facilite la mise en ordre ou la compréhension d'un domaine donné. Il n'y a pas d'art qui ait, par convention, aussi peu d'autonomie esthétique.

Construction et architecture

Toujours déplacée dans le système des beaux-arts, l'architecture exige d'être définie en relation (et par contraste) avec l'art de « bâtir » (Baukunst). C'est pourquoi Schelling(1) a pu dire que « L'architecture est l'allégorie de l'art de bâtir ». Il est pourtant peu aisé de faire toujours une claire démarcation entre les deux. Son domaine premier est celui des constructions en trois dimensions, dont la finalité et la fonctionnalité sont presque toujours assignées par le maître d'ouvrage, avant qu'elles soient appliquées par le maître d'œuvre : temples, palais, théâtres, musées, édifices religieux ou funéraires, gares, villas, etc. La liste des fonctions est indéterminée : un belvédère, un crématorium, un grand magasin, un casino ou un hôtel, obéissent à une architecture, mais non pas nécessairement à l'art de l'architecte. L'architecture, en tant que discipline esthétique, n'implique guère moins stricto sensu de critères urbanistiques, encore que là aussi il soit difficile de les exclure totalement (cf. projet de Sixte Quint pour Rome). On a pu donner avec G. Semper(2) une origine anthropologique à cet art et les discussions ont été vives quand on prit conscience de l'historicité des vestiges qu'il fallait conserver, restituer ou restaurer.

L'évolution des techniques : du bois et de la pierre (puis du verre et du métal), est aussi intimement liée à la constitution des œuvres de cet art que la parcimonie relative de son vocabulaire. Ainsi s'explique le passage du tribunal romain à la basilique, du portique au vestibule, de la voûte réticulée à la coupole. Le poids des contraintes physiques et géométriques s'exerçant sur ses moyens d'expression stylistiques a tardivement été admis tel un motif servant à exemplifier métaphoriquement certaines formes sans contenu, spécifique (le projet de colonne gratte-ciel de Loos, la serre gigantesque du Crystal Palace). Des éléments syntaxiques communs aux arts maya, khmer, égyptien et mésopotamien peuvent d'ailleurs être identifiés, comme si le déficit d'autonomie esthétique était proportionnel à l'économie des conditions formelles qui gouvernent l'instanciation de quelques types prévalents. Mais c'est aux modèles hellénistiques et romains qu'une « universalité » culturelle a été reconnue en Occident dans l'architecture religieuse et séculière. À la classification par « ordres » de certaines de leurs formules – systématisée et classicisée par Vitruve (dès le ier s.), puis Alberti, Vignole (dans sa Regola) et Serlio au xvie s. – s'oppose le dépassement combinatoire de Bramante et de Palladio.

Au xixe s., on découvre le classement contemporain de l'analyse des arts roman et gothique dont les édifices ont longtemps été regardés comme barbares. L'architecture moderne (définition minimale) récuse les exigences rationnelles de la classification comme du classement mimétique, au nom d'une émancipation formelle des fonctions et du plan qui permettrait de « voir la structure » et d'articuler les modules. On appelle au contraire « post-moderne » l'architecture qui perturbe l'idée même d'un progrès architectural en même temps que les règles téléonomiques de la classification et du classement (ainsi que leurs finalités supposées), tout en revenant au décorum au détriment de la limitation stricte des fonctions.

Architecture et symbolisation

L'architecture est avec la musique l'art le moins représentatif, tantôt déprécié pour la fixité et la matérialité de ses résultats, tantôt survalorisé dans l'expression d'une idée. Il est aussi admis que la façon dont la fonction – pratique et politique – « symbolise » entre en compétition avec la façon dont « fonctionne » le symbole, puisqu'il peut dénoter ou référer à bien d'autres choses qu'aux propriétés formelles dont il est porteur. Il n'est que de songer aux théories projectivistes de l'imagination « en mouvement » qu'on trouve chez Wölfflin(3), ou (à l'opposé) aux théories normatives et prophétiques des créateurs (Le Corbusier, Loos, Wagner, etc.) qui font de l'architecture un discours engagé.

Sans entrer dans l'inventaire de ces considérations, il faut voir qu'un ensemble d'attributions sociales et vitales (habiter, célébrer, stocker, administrer, distribuer...) est mis en correspondance avec une classe très diversifiée de conduites (déambulation, célébration, production, échanges de prestations et de biens), et que ces dernières appellent des édifices finalisés et construits selon tel ou tel procédé dominant, dont la production des éléments par unités conditionne la facture d'ensemble (architrave, colonnes de pierre et de fonte, ogive, poutres d'acier). Deux constantes : le couvrement et l'habillage des structures portantes sont, à cet égard, irréductibles à tout point de vue stylistique. Ce qui ne veut pas dire que des critères de correction ou de convenance soient extrinsèques aux réalisations de cet art, et qu'elles ne s'imposent pas en priorité au bâti. De manière hautement significative, l'art de bâtir est ainsi enveloppé dans la synthèse des modes perceptuels d'appréhension et il l'est probablement aussi dans le groupe mathématique des mouvements du squelette et des mouvements oculaires, par le rapport qui s'établit entre la façade et le plan, puis entre le temps de franchissement et l'espace clôturé qu'on occupe, qu'il soit ouvert ou cloisonné selon les cas.

La signification de l'édifice peut donner lieu à une inscription littérale ou métaphorique, depuis le temple jusqu'à la gare, en sorte que – comme le soutient Goodman(4) – une étiquette puisse lui être apposée qui renvoie aux autres constituants de la référence dans le monde naturel. Enfin, la complication cognitive ne préside pas seulement à la conception de certains édifices comme le S. Ivo de Borromini, l'église de Vierzehnheiligen de Neumann (1776), le sanatorium d'Aalto (1928), ou même le Taj Mahal (pour ne citer que quelques exemples incontestables), elle enferme dans l'organisation du décor un type de comportement spécifique.

À la différence de la peinture et de la musique, c'est bien la relation de l'animal gravitationnel, capable de situer ses conduites dans un environnement réel (plus qu'à la perspective réelle, dépeinte ou planimétrique) et sa relation tactile à la syncope rythmique (plus qu'à la scansion temporelle), qui se trouve sollicitée par un appareil fixe de composants inertes, dont on peut dire alors de plein droit qu'il est architecturé.

Jean-Maurice Monnoyer

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Schelling, F. W. J. von, Textes esthétiques, trad. fr. A. Pernet, Klincksieck, Paris, 1978.
  • 2 ↑ Semper, G., Der Stil in den technischen und tektonischen Künsten oder praktische Aesthetik, Munich, 1863.
  • 3 ↑ Wölfflin, H., Prolégomènes à une psychologie de l'architecture (1886), trad. fr. B. Queysanne, Éd. Carré, Nîmes, 1996.
  • 4 ↑ Goodman, N., « La signification en architecture », in Reconceptions en philosophie, dans d'autres arts et d'autres sciences, trad. J.-P. Cometti et R. Pouivet, PUF, Paris, 1994.
  • Voir aussi : Choisy, A., Histoire de l'architecture (1899), Bibliothèque de l'Image, Paris, 1996.
  • Giedion, S., Espace, temps, architecture (Cambridge UP, 1941), trad. Denoël Gonthier, Paris, 1968 et 1990.
  • Norberg-Schutz, C., Intentions in Architecture (Oslo, 1962), trad. « Système logique de l'architecture », Mardaga, 1973.
  • Picon, A., Claude Perrault ou la curiosité d'un classique, Picard Éditeur, Caisse Nationale des Monuments Historiques et des Sites, Paris, 1988.
  • Riegl, A., L'Origine de l'art baroque à Rome (1907), trad. S. Muller, Klincksieck, Paris, 1993.
  • Scruton, R., The Aesthetics of Architecture, Princeton U.P, 1979.
  • Zevi, B., Apprendre à voir l'architecture, Minuit, Paris, 1959.

→ beauté, beaux-arts, décoratif, esthétique, esthétique industrielle, perception