analytique

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec analutikos, de analusis, « décomposition ».

Philosophie Antique

1. (adj.) Qui procède par analyse. – 2. (n. m.) On appelle traditionnellement « analytique » d'Aristote ce que ce dernier appelle « science analytique »(1), c'est-à-dire les règles de la démonstration (syllogisme), contenues dans ses Premiers Analytiques.

La plus ancienne définition de l'analyse figure dans un passage interpolé d'Euclide : « L'analyse consiste à prendre ce qui est recherché comme accordé, et, en passant par les relations de consécution, à arriver à quelque chose dont la vérité est accordée. »(2). Mais Aristote connaissait déjà l'analyse des géomètres(3), qui remonte par une suite d'équivalences d'un problème donné à un théorème connu(4).

C'est la procédure suivie par Aristote, qui, par des règles de conversion, des équivalences et des raisonnements par l'absurde, réduit tout raisonnement à l'une des démonstrations élémentaires du système. Par extension, on désigne sous le nom d'« analytique » l'ensemble des règles d'inférence de la science aristotélicienne de la démonstration. Les stoïciens pratiquent aussi une analyse qui réduit tout raisonnement à l'un des cinq anapodictiques.

Les procédures analytiques sont ce que les logiciens contemporains appellent des procédures « syntaxiques ».

Jean-Baptiste Gourinat

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, Rhétorique, i, 4, 1359b10.
  • 2 ↑ Euclide, Éléments, XIII, vol. IV, éd. Heiberg-Stamatis, p. 198.
  • 3 ↑ Aristote, Éthique à Nicomaque, III, 5, 1112b11-28.
  • 4 ↑ Pappus, Collection mathématique, VII.
  • Voir aussi : Gardies, J.-L., Qu'est-ce que et pourquoi l'analyse ?, Vrin, Paris, 2001.
  • Lukasiewicz, J., La syllogistique d'Aristote, Armand Colin, Paris, 1972.

→ anapodictique, conversion, démonstration




analytique / synthétique


En grec : analusis / synthesis, en allemand : analytisch / synthetisch, en anglais : analytic / synthetic.

Linguistique, Logique, Philosophie Cognitive

Distinction fondamentale en théorie de la connaissance. Il n'y a pas une, mais plusieurs définitions de cette distinction, qui ne recoupe qu'en partie la distinction entre connaissances a priori et a posteriori. La plus courante désigne comme analytiques les jugements vrais en vertu des concepts ou du sens des mots qui y figurent, et synthétiques ceux qui sont vrais en vertu de l'expérience. Selon Kant, il y a des jugements synthétiques a priori.

C'est Kant(1) qui a introduit cette distinction, mais elle est liée à des distinctions plus anciennes. Les géomètres grecs désignaient par analyse une preuve qui suppose admis ce qui est recherché et en dérive ses conséquences, et par synthèse la démarche opposée, et c'est cette distinction qu'on retrouve chez Descartes quand on oppose la méthode analytique de résolution, propre à inventer des vérités nouvelles, et la méthode synthétique de composition, faite pour exposer une doctrine déjà acquise. À la suite d'Aristote, les médiévaux appelaient a priori les connaissances acquises antérieurement ou les preuves allant des causes aux effets, et a posteriori les connaissances dérivées et les preuves allant des effets aux causes. La distinction prend son sens moderne chez Leibniz, qui oppose les vérités « de raison », indépendantes de l'expérience et nécessaires, et les vérités « de fait », établies par l'expérience, puis chez Locke, qui distingue des propositions « frivoles » ou purement verbales (« une rose est une rose ») de propositions prédicatives où le concept du prédicat n'est pas déjà contenu dans celui du sujet, comme les propositions mathématiques ; et chez Hume qui distingue « relations d'idées » et « questions de faits ». Pour Kant, la propriété d'être d'analytique porte sur des jugements, de la forme « S est P », où le concept du sujet est déjà « pensé » dans celui du prédicat (par exemple « Tous les corps sont étendus ») et dont la négation est contradictoire, alors que les jugements synthétiques sont ceux pour lesquels le concept du prédicat « ajoute » quelque chose au concept du sujet (« tous les corps sont pesants »). La distinction kantienne ne recoupe cependant pas celle de l'a priori et de l'a posteriori, puisque si tous les jugements analytiques sont a priori, tous les jugements synthétiques ne sont pas a posteriori. La possibilité de jugements synthétiques a priori, comme le sont ceux des mathématiques, où construits dans l'intuition pure, est précisément la pierre de touche de la philosophie de Kant.

La distinction kantienne a été fortement critiquée, en particulier par les logiciens. Dès le début du xixe s., Bolzano rejette la notion d'intuition pure et reproche à Kant de confondre la représentation des concepts avec leur nature objective. Bolzano propose un concept purement logique d'analyticité : une proposition est analytique si elle est une vérité logique ou si elle peut être réduite à une vérité logique par substitution de termes synonymes. Frege(2), le fondateur de la logique moderne, reproche au critère kantien de l'analyticité de rendre les propositions logiques stériles, alors qu'elles peuvent être fécondes, et il rejette la thèse selon laquelle l'arithmétique serait synthétique a priori. Selon lui, un énoncé est analytique s'il est déductible de lois logiques ou de définitions.

L'approche positiviste

Le déclin de la conception kantienne de l'analyticité est indéniablement lié à l'avènement de la logique contemporaine, qui permet d'inclure, selon la thèse logiciste, l'arithmétique dans le domaine de l'analytique, mais aussi à l'avènement des géométries non euclidiennes qui menace la théorie kantienne de l'intuition. La critique de la distinction kantienne devint, chez les positivistes du cercle de Vienne, l'un des principaux enjeux de la théorie de la connaissance. Chez eux, l'analyticité cesse de porter sur des jugements ou des concepts pour devenir relative à des énoncés linguistiques et à la signification. Dans son Tractatus, Wittgenstein assimile les propositions de la logique et des mathématiques à des tautologies qui ne disent rien du monde. Selon le critère adopté par Carnap(3), un énoncé est analytique s'il est vrai en vertu de la seule signification conventionnelle des termes qui y figurent (comme « tous les célibataires sont non mariés »). Les énoncés synthétiques doivent leur sens aux expériences qui les vérifient. Pour les positivistes viennois, seuls sont doués de signification cognitive ces deux types d'énoncés ; les autres énoncés (comme ceux de la morale et de la métaphysique) n'ont pas de signification cognitive (bien qu'ils puissent avoir une signification non cognitive), et il n'y a pas d'énoncés synthétiques a priori.

La tentative des positivistes de réduire l'a priori à l'analytique, et ce dernier au linguistique, visait à essayer d'échapper à l'alternative entre un rationalisme, qui les fonde dans une faculté d'intuition mystérieuse, et un empirisme radical (comme celui de Mill), qui rejette toute connaissance a priori. Mais la version positiviste de la distinction est-elle tenable ? Le philosophe américain Quine(4) l'a soumise à une critique radicale. D'abord, l'idée selon laquelle les vérités logiques seraient vraies par convention est incohérente, parce qu'il est impossible de déduire les lois logiques de conventions sans utiliser ces mêmes lois logiques dans ces déductions. Ensuite, selon Quine, l'idée même d'énoncés qui seraient vrais en vertu de leur signification présuppose les notions de signification et de synonymie. Quine critique aussi l'atomisme sémantique et épistémologique présupposé par la distinction analytique / synthétique des positivistes. Selon celle-ci, des énoncés isolés sont analytiques ou synthétiques, mais la signification (et donc la vérification possible) d'un énoncé n'est jamais indépendante de celle des théories dont ils font partie, et dépend en définitive de l'ensemble de notre savoir scientifique. Ce holisme sémantique et épistémologique interdit de tracer une frontière nette entre la signification d'un énoncé et le monde sur lequel il porte, ou entre ce que signifient nos mots et les croyances que nous exprimons avec eux. Plus radicalement encore, Quine est conduit à rejeter toute idée d'un domaine de connaissances qui soient par principe a priori et non sujettes à la révision. La philosophie elle-même et la théorie de la connaissance ne peuvent, selon lui, porter sur des concepts ou des significations seulement, ni constituer un domaine séparé analysant les conditions du sens et du non-sens. Il n'y a, selon lui, que des connaissances a posteriori, qui ne sont « analytiques », c'est-à-dire soustraites à la révision, que de manière relative, et il n'y a donc entre philosophie et science qu'une différence de degré. Selon une lecture moins radicale de ces thèses, il faudrait plutôt dire que le statut d'un énoncé comme analytique n'est jamais garanti d'avance : un énoncé qui avait ce statut peut le perdre, et d'autres énoncés peuvent l'acquérir. Le progrès de la connaissance est lié à ces redistributions de l'analytique et du synthétique qui conduisent à traiter comme postulats des hypothèses empiriques, et à réviser des principes qu'on tenait comme inébranlables.

Les avatars de la distinction philosophique entre les connaissances analytiques et synthétiques traduisent le rejet progressif par la pensée moderne de la distinction entre des vérités nécessaires (ou essentielles) et des vérités contingentes, et de l'idée que la nécessité existerait dans la nature des choses. Avec Kant, celle-ci devient une catégorie de l'entendement et une règle pour penser les objets. Avec les positivistes, elle n'est plus associée qu'à des règles linguistiques. Même s'ensuit-il qu'on doive rejeter toute notion d'une connaissance a priori et la distinction entre l'analytique et le synthétique ? Les difficultés permanentes de l'empirisme pour rendre compte des vérités mathématiques semblent montrer que ce rejet a toujours un prix exorbitant. La théorie de la connaissance a besoin de distinctions de ce genre.

Pascal Engel

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, trad. A. Renaut, Flammarion, Paris, 1996.
  • 2 ↑ Frege, G., Les fondements de l'arithmétique, Seuil, Paris, 1970.
  • 3 ↑ Carnap, R., Signification et nécessité, Gallimard, Paris, 1996.
  • 4 ↑ Quine, W. V. O., Le mot et la chose, Flammarion, Paris, 1977.

→ a priori / a posteriori, concept, connaissance, énoncé, signification




philosophie analytique

Philosophie Générale, Linguistique, Philosophie Cognitive, Philosophie de l'Esprit

L'un des principaux courants philosophiques de la philosophie contemporaine qui, en réaction à l'idéalisme (surtout hégélien) de la fin du xixe s., a défendu les pouvoirs de l'analyse et un réalisme atomiste. Par la suite, l'analyse est devenue méthode linguistique, et la philosophie analytique s'est ouverte à des domaines très variés, sans perdre ses idéaux de description, de clarté et de précision.

La philosophie analytique est née des critiques, chez Frege en Allemagne (mais aussi chez Brentano en Autriche) et chez Russell et Moore en Grande-Bretagne, de l'empirisme naturaliste et de l'idéalisme hégélien, conduisant ces philosophes a affirmer la priorité de l'analyse logique des constituants de la pensée sur la synthèse. À ses débuts, le courant est platonicien et défend l'objectivité des normes logiques et un réalisme radical, et conduit à l'atomisme logique de Russell et de Wittgenstein. Il subit ensuite, avec ce dernier et le cercle de Vienne, un tournant qui affirme la priorité d'une analyse du langage et des significations sur l'ontologie, surtout dans la perspective néopositiviste d'une unité du langage de la science, réduit à sa seule syntaxe logique. Les philosophes linguistiques d'Oxford, sous l'influence du second Wittgenstein, accentuent encore ce tournant, mais sans adopter le scientisme et le logicisme des Viennois, en soutenant que les problèmes philosophiques sont essentiellement des problèmes linguistiques, liés à une mécompréhension de l'usage des mots dans le langage ordinaire. Après les années 1960, le courant analytique se distancie des thèses du positivisme logique, et admet la pluralité des méthodes d'analyse. Il renonce à l'idéal d'une découverte des éléments simples de la réalité ou du langage, pour adopter avec Quine des formes de holisme et, avec S. Kripke, D. Lewis, J. Hintikka et D. Davidson, une attitude moins antimétaphysicienne. Parallèlement, la philosophie analytique s'ouvre largement à des thématiques plus classiques, comme l'éthique, la philosophie politique et l'esthétique, et perd une partie de son unité. Elle conserve cependant celle-ci en raison du renouveau du mentalisme et du naturalisme, inspirés par l'essor des sciences cognitives, et par ses méthodes d'argumentation rationnelles, qui accordent la priorité à la description et à la clarification, à l'encontre de l'écriture syncrétique et des efforts de totalisation historiciste qui imprègnent la philosophie de tradition allemande et « continentale ».

Il était plus facile de dire ce qu'était la philosophie analytique à ses débuts qu'aujourd'hui. Si ce qui l'unifie est la critique de l'idéalisme et la revendication de l'importance de l'analyse logique et linguistique pour tous les secteurs de la philosophie, il n'y a pas de thèse philosophique ni même métaphysique qui n'ait été défendue à un moment ou un autre au sein de cette tradition au xxe s., ni de domaine qui n'ait été abordé. L'unité du courant tient donc plus aux méthodes qu'aux doctrines, à un certain style et à certaines attitudes, qu'on trouve plus souvent dans la tradition empiriste et positiviste anglo-américaine (bien qu'il ne s'identifie ni à la philosophie anglo-saxonne, ni au positivisme). L'affrontement entre le style « analytique » et le style « continental » a perdu aujourd'hui une partie de sa justification. Mais les philosophes sont toujours divisés quant au rôle de leur discipline face à la science, quant à la valeur de la raison et de l'argumentation rationnelle, et quant à l'ambition de fournir une vision globale du monde, de l'action et de la connaissance. En ce sens, la philosophie analytique perpétue les idéaux qui étaient ceux du rationalisme et de l'empirisme classique, et ce qui la démarque de la tradition allemande et en partie française en philosophie est le refus d'adopter l'idée que l'histoire de la philosophie soit nécessaire (et même quelquefois suffisante) pour la pratique de la philosophie.

Pascal Engel

Notes bibliographiques

  • Dummett, M., Les origines de la philosophie analytique, Gallimard, Paris, 1993.
  • Engel, P., La dispute, Minuit, Paris, 1997.
  • Passmore, J., A Hundred Years of Philosophy, Penguin, Londres, 1967.

→ analyse, philosophie, positivisme logique, raison