Guidolino Di Pietro, en religion Fra Giovanni da Fiesole, dit Fra Angelico ou Guidolino Di Pietro, en religion Fra Giovanni da Fiesole, dit Beato Angelico

Fra Angelico, le Miracle du Livre
Fra Angelico, le Miracle du Livre

Peintre italien (dans le Mugello vers 1400-Rome 1455), béatifié en 1982.

Un œuvre premier encore orienté vers le style gothique international

Artiste de la première Renaissance, contemporain de Donatello, Fra Angelico donne ses premières œuvres connues à l'époque où meurt Masaccio. À ce moment, la peinture est en plein désarroi à Florence, aucun style n'est réellement défini. En 1436 paraît le traité de L. B. Alberti, Della pittura, éloge de l'inspiration pittoresque, fertile en détails, par opposition à l'art monumental de Masaccio. Le grand représentant de cette nouvelle conception est Fra Angelico ; sa formation de miniaturiste l'oriente directement vers la manière tendre et courtoise du style gothique international. Ses débuts sont obscurs- il commence à peindre tard- et, de plus, il parvient jusqu'à nous entouré d'une légende mystique que Vasari s'est appliqué à renforcer. Dominicain au couvent de Fiesole, dont il est prieur en 1449-1452, il avait été pressenti par le pape Nicolas V pour une nomination à l'archevêché de Florence. Il faut le replacer dans l'ambiance intellectuelle dont se nourrissent les différents foyers de recherche à Florence, au milieu du quattrocento.

Moine dominicain, thomiste, son programme pictural tient de la propagande : rallier humanisme et religion, que les attaques des observantins, au début du xve s., avaient séparés, mettre au profit de l'art ancien les recherches nouvelles, afin d'élaborer un humanisme chrétien, où le réalisme acquerra une dimension poétique. L'insuccès des représentants de la grande lignée novatrice, Donatello et Masaccio, auprès des Florentins, permet à « l'élégant classicisme médiéval » d'aboutir, avec des personnalités comme la sienne ou celle de Ghiberti. Ils ont en commun ce même amour des rapports harmonieux établis entre les êtres et l'espace, entre les formes enveloppées et les formes enveloppantes. Pour eux, la perspective se découvre de façon empirique, elle n'est pas un a priori de construction, un « vertige ». Dans le Couronnement de la Vierge (vers 1434-1435, Louvre), la composition se fait sur un plan vertical, et conserve de l'esprit gothique ses détails pittoresques et le chatoiement des couleurs ; de l'art des enlumineurs vient la représentation des paysages paradisiaques dans la prédelle. Cette tradition picturale, qui mène de Simone Martini à Fra Angelico en passant par Gentile da Fabriano (vers 1370-1427) et Lorenzo Monaco (vers 1370-après 1422), recherche dans la création d'un univers de légende un moyen onirique d'éviter les grandes questions théologiques qui ont secoué le Moyen Âge.

Le passage à l'esprit humaniste

Le grand mérite de Fra Angelico est de ne s'être pas cantonné dans cette impasse, et d'avoir su adapter son art aux nouvelles découvertes ; mérite d'autant plus grand qu'il ne s'agit pas d'une simple évolution, mais d'un changement radical qui met en cause non seulement la production artistique d'une époque, mais encore les fondements de la mentalité nouvelle qui apparaît à l'aube des Temps modernes. Le passage à l'esprit humaniste implique que la vérité, qui jusqu'ici était donnée, soit maintenant construite par l'homme seul. Le débat se trouve illustré dans la Crucifixion du couvent de San Marco (1440) ; le Christ est entouré de deux groupes, les saintes femmes et les docteurs : on peut aller à Dieu par deux voies, le cœur et la science. L'origine directe de cette nouvelle orientation se trouve dans les fresques de Masaccio, à San Maria del Carmine de Florence (1425). Au couvent de San Marco, reconstruit entre 1436 et 1452 par Michelozzo, la suite des fresques (vers 1437-1445) relate, de cellule en cellule, la vie du Christ ; dépouillement et austérité viennent en droite ligne de Giotto ; les corps s'imposent, maintenant, avec un modelé sculptural qui rappelle le parti monumental de la sculpture française du xiiie s.

Les dernières œuvres réalisées à San Marco précisent le sens nouveau que Fra Angelico donne désormais à son art ; dans une figure comme celle du Christ aux outrages, la minutie un peu étriquée des petits plis serrés a fait place à un style plus ample : les grands plis de la robe du Christ s'étalent généreusement sur le sol. Lorsqu'en 1447 il est appelé à Orvieto pour exécuter aux voûtes de la cathédrale une scène de jugement dernier, il est en pleine possession de ses moyens ; la figure du Christ est caractéristique de la dernière étape de sa carrière, marquée par deux séjours à Rome. Interrompu par la mort, le second fut court. C'est sans doute durant le premier, vers 1447-1449, qu'il compose au Vatican deux ensembles de fresques, dont un seul subsiste, celui de l'oratoire de Nicolas V : sur les murs sont figurées des scènes de la vie de saint Étienne et de saint Laurent, la voûte étant réservée aux évangélistes et les pilastres d'angles aux docteurs de l'Église. La vie des saints se déroule dans un cadre d'architecture antiquisante, les perspectives s'ouvrent sur des paysages fidèlement décrits, l'ombre portée des personnages les intègre définitivement à l'espace. L'inspirateur n'est plus Giotto, mais son grand contemporain à Rome, Pietro Cavallini (vers 1250-vers 1340).

Toutes ces recherches du peintre, sa curiosité naturelle à l'égard des réalisations les plus récentes dans le domaine de l'art, le fondement doctrinal qu'il apporte à son œuvre le placent bien dans le milieu intellectuel florentin du quattrocento, où l'on redécouvre Platon et les philosophes de l'Antiquité, où la perspective donne lieu à des constructions de l'esprit qui, au nom de la réalité mathématique, pourraient perdre de vue un sens de l'humain plus simple, plus direct. Ici, Fra Angelico s'écarte de ses contemporains, il compose avec deux époques, entre l'acquis gothique et les apports nouveaux, entre la poésie et le réalisme, pour élaborer une somme à partir de laquelle l'âge d'or de la seconde Renaissance sera possible.