vérité

(latin veritas, de verus, vrai)

Platon
Platon

Caractère de ce qui est vrai ; adéquation entre la réalité et l'homme qui la pense.

La vérité est la qualité d’une affirmation qui dit ce qui est comme cela est. Elle tient essentiellement au rapport entre l’énoncé et ce qui est : la vérité n’est donc pas la cohérence, qui ne concerne que l’énoncé en lui-même, ni la réalité, qui est le propre de l’être dont elle parle. Il convient également de distinguer la vérité de la sincérité, celle-ci étant la volonté de dire ce que l’on croit être vrai.

Le fanatisme, qu’il soit politique ou religieux, suscite, par réaction, une grande méfiance à l’égard de tout discours se présentant comme vrai. Ce soupçon est accru par la crise de la science contemporaine, qui a dû renoncer aux certitudes du scientisme au profit du probabilisme de la physique quantique. Enfin, l’ethnologie a contribué à accroître la conscience de la diversité des cultures. Ces différentes raisons ont pour effet de promouvoir une attitude sceptique.

La vérité n’est toutefois pas abolie ; elle garde son importance éthique et juridique, même si son statut est complexe. Il convient donc de l’aborder sous l’angle de la philosophie et sous celui du droit.

La vérité : approche philosophique

La vérité comme dévoilement

La querelle qui oppose Platon aux sophistes porte essentiellement sur la possibilité de dire la vérité. Les sophistes sont d’habiles parleurs, parce qu’ils ont fait le deuil de la vérité : l’impossibilité de dire la vérité libère la parole de sa fonction descriptive, lui permettant de déployer ses pouvoirs sans s’inquiéter de ce qui est et de ce qui n’est pas. Les sophistes sont en cela les héritiers de certaines traditions philosophiques : si l’on considère avec Parménide que l’Être est unique et immuable, il faut conclure que le langage dit toujours faux parce qu’il suppose des êtres différents, susceptibles d’entrer dans des relations changeantes ; si l’on considère avec Héraclite que tout coule, on doit conclure également qu’il est impossible de dire ce qui est – à peine commence-t-on à parler que l’objet dont on parle a cessé d’être.

L’œuvre de Platon est de justifier la possibilité de dire ce qui est à partir d’une pensée de l’être : la réalité en devenir est structurée par des essences immuables, ordonnées entre elles selon des rapports hiérarchiques. Dire vrai revient à attribuer à un sujet des propriétés qu’il possède effectivement. Affirmer, par exemple, que la justice est une vertu revient à la rattacher au genre d’être auquel elle appartient. On comprend ainsi la possibilité de l’erreur : dire faux n’est pas parler du néant, mais attribuer à tort une propriété à un sujet.

La vérité est donc l’acte par lequel la parole dévoile ce qui est tel que cela est : elle n’est pas dans ce qui est ni dans la parole elle-même, mais dans le rapport adéquat entre ce qui est et ce qui est dit. Le discours vrai manifeste pour celui qui le dit, et pour l’interlocuteur, la réalité qui, sans ce discours, passerait inaperçue ou serait voilée par le préjugé. La dialectique est ce travail de distinction qui permet de parvenir à identifier les propriétés qui appartiennent effectivement à l’objet dont on parle.

La tradition scolastique, représentée notamment par saint Thomas d’Aquin, se situe dans cette logique, insistant sur l’adéquation de l’intelligence et de la chose.

La vérité comme certitude

Sans rompre véritablement avec cette logique, Descartes, inaugurant en cela la modernité, déplace la problématique de la vérité vers le sujet connaissant. Pour le sujet, la vérité se reconnaît au fait qu’elle exclut son contraire : elle est ainsi essentiellement nécessaire. Un énoncé vrai est tel que je comprends pourquoi l’énoncé contraire est exclu. En l’absence de cette nécessité, le doute triomphe. Or, pour produire la nécessité de l’énoncé, nous ne connaissons que la démonstration, laquelle pèche par la faiblesse de son principe : ce qui sert à démontrer n’est pas soi-même démontré. Il faut donc trouver un premier principe nécessairement vrai, qui n’ait pas besoin d’être démontré ; on appelle « évidence rationnelle » ce premier principe. Pour le faire apparaître, il faut douter de tout : si l’évidence existe, elle résistera d’elle-même au doute ; tel est le cas de l’énoncé « je suis ». Je ne peux pas nier que je suis parce que la négation prouve encore l’énoncé : je suis au moins assez pour nier que je suis ! Cette certitude est à la fois le modèle de l’énoncé vrai et le fondement sur lequel il va être possible d’édifier le savoir.

La reconnaissance de la vérité est donc indissociable de la vérité elle-même : un énoncé présenté comme vrai mais détaché de celui qui le fonde ne vaut rien. Tel est le principe dont Hegel développera les ultimes conséquences dans une pensée du système : le propre du système est de manifester la nécessité de la vérité, de ne jamais détacher le résultat du processus qui y conduit.

La vérité : approche juridique

Vérité et justice

Dans un tribunal, le témoin est invité à jurer de dire « la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ». La question de la vérité est étroitement liée à celle de la justice. Pour rendre la justice, il y a lieu de connaître les responsabilités respectives et, pour cela, d’établir des preuves.

La justice est confrontée à la complexité de la vérité. Elle doit manifester la vérité pour juger avec la plus grande justice possible, mais elle fait l’expérience des limites de la connaissance de la vérité. La loi du 15 juin 2000, qui modifie le Code de procédure pénale, introduit notamment la présomption d’innocence : l’accusé dispose de moyens supplémentaires pour manifester la vérité ; il n’est inculpé que si la preuve est faite de sa culpabilité. Cette loi participe du souci d’accroître les moyens de connaître la vérité et de diminuer ainsi le nombre des erreurs judiciaires.

Toutefois, devant l’impossibilité de tout connaître, la justice doit parfois dissocier l’autorité de la chose jugée et la vérité de la chose jugée. La décision de justice ne peut pas être différée indéfiniment, dans l’espoir de connaître la vérité. Le principe de l’autorité de la chose jugée reste donc général et absolu, et s’applique même aux décisions erronées.

Le devoir de vérité

Dire la vérité est une obligation qui dépend de l’objet et du contexte. L’opinion publique est de plus en plus sensible à la nécessité de faire mémoire du passé, dans une logique morale. Cette nécessité concernant les génocides en général et la Shoah en particulier s’accompagne d’une lutte contre le négationnisme. L’enjeu en est la reconnaissance de la vérité et sa transmission.

Une loi de 1972 sanctionne la provocation à la haine ou à la discrimination, la diffamation et l’injure raciale. Une loi de 1990 apporte des aménagements techniques au Code pénal, sous la forme notamment de l’article 24bis ajouté à la loi de 1881 sur la liberté de la presse : elle punit ceux qui auront contesté l’existence d’un ou de plusieurs crimes contre l’humanité. Ainsi, la loi condamne explicitement les manquements publics à la vérité quand il s’agit d’un événement historique majeur.

Par ailleurs, la vérité n’est pas due à tous à propos de tout. Ainsi, la vérité concernant la vie intime doit être protégée au nom du droit à la vie privée. C’est pourquoi la loi du 10 juillet 1991 déclare que « le secret des correspondances émises par la voie des télécommunications est garanti par la loi. Il ne peut être porté atteinte à ce secret que par l’autorité publique, dans les seuls cas de nécessité d’intérêt public prévus par la loi et dans les limites fixées par celle-ci ».

De façon plus générale, le droit au respect de la vie privée a été consacré par l’article 22 de la loi du 17 juillet 1970, devenu l’article 9 du Code civil. La loi dite « Informatique et Liberté » protège le citoyen contre la divulgation ou l’utilisation illicite des vérités le concernant. Le secret bancaire, pour sa part, est une obligation légale et non pas seulement une exigence déontologique.

L’enjeu de la vérité est toujours de connaître ce qui est. Mais cette connaissance a des finalités différentes et des valeurs qui dépendent des contextes.