Rome

Rome. L'enlèvement des Sabines.
Rome. L'enlèvement des Sabines.

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de mythologie grecque et romaine ».

L'Urbs, la « Ville » des Romains.

À propos de la naissance de Rome, ce ne sont pas les légendes qui manquent, et les quelques indications qui suivent n'épuisent pas le sujet – même si on laisse de côté la question que se posaient déjà les Anciens : n'est-ce pas la Ville qui a donné son nom à Romulus plutôt que l'inverse ?

Variantes : L'origine du nom de Rome

I. Après avoir soumis un nombre important de peuples sur une grande partie de la terre, les Pélasges se fixent en ce lieu ; parce qu'ils ont de la force (rhômè) dans leurs armes, ils appellent la ville ainsi.

II. Après l'incendie de leur ville, quelques Troyens mettent à la voile et abordent en Étrurie. Lassée des voyages, l'une des femmes suggère aux autres d'incendier les navires. Par la force des choses, les Troyens s'établissent dans la région du Palatin. Trouvant au bout du compte la vie agréable, ils donnent à leur ville le nom de celle par qui ils doivent d'être là : Romè. D'après Héraclide, Romè aurait été une captive ; Agathocle pense qu'elle est la fille d'Ascagne, petite-fille d'Énée.

Voir aussi : Romè

III. Énée et Ulysse voyagent ensemble depuis l'Épire ; Énée donne le nom à la cité en souvenir de Romè, femme d'Ilion (II).

IV. Romè, une femme troyenne venue en Italie avec les autres Troyens, épouse Latinus, le roi des Aborigènes ; elle a trois enfants : Romos, Romulos, Télégonos. Ils fondent une ville à laquelle ils donnent le nom de leur mère.

V. Ulysse et Circé ont trois fils : Romos (ou Romanus), Antias, Ardias. Chacun crée une cité à laquelle il donne son nom : Rome, Antium, Ardée.

VI. Rome est fondée par Romos, le fils d'Italos (Italus).

VII. Rome est fondée par Romos (Romus), fils d'Énée et rescapé d'Ilion. Énée a quatre enfants : Ascagne, Euryléon, Romulos et Rémos (Euryléon et Ascagne sont parfois confondus).

VIII. Rome est fondée par Romus (Romos), fils d'Émathion (ou d'Ascagne), envoyé dans la région par Diomède.

IX. Il est question également d'un certain Romis, roi des Latins, qui fonde la ville après avoir chassé les Tyrrhéniens. (Pour toutes ces versions, cf. aussi Plutarque, Romulus.)

X. Rome est une colonie grecque : chassé du Péloponnèse pour des raisons obscures, soixante ans environ avant la guerre de Troie, Évandre, guidé par sa mère, s'établit en Italie. Il fonde une colonie sur le mont qu'il nomme Pallantée, ou Pallantion, en souvenir de son grand-père Pallas, et qui devient le Palatin. Il enseigne aux indigènes les règles de bienséance. Lorsque Énée débarque en Italie, il trouve en Évandre un fidèle allié, contre Turnus, le roi des Rutules. Après sa mort, Évandre est vénéré par les Romains à l'instar d'un immortel.

Voir aussi : Évandre

Le nom profane est « Roma », et le nom sacerdotal, « Flora » ; il existe un troisième nom, secret, peut-être « Amor », anagramme de Roma, et qu'il est défendu de prononcer sous peine de mort. Ce nom est tenu caché, car il est en même temps le nom de la divinité tutélaire de la cité : tant qu'il reste inconnu, les prêtres ennemis ne peuvent décider le dieu à abandonner son peuple, avec pour promesse de plus grands honneurs dans leur ville, ce qui est l'une des manière de séduire une divinité.

Les origines troyennes de Rome

Selon la légende la mieux établie, la cité est fondée par Romulus.

Énée quitte Troie en flammes avec quelques compagnons, son père Anchise, son fils Ascagne, et les images des dieux. Après un périple de plusieurs années (deux chez Strabon), semé d'embûches provoquées par Junon, les Troyens abordent à Cumes, en Italie. Grâce à la sibylle, prêtresse d'Apollon, Énée sait qu'il est destiné à fonder une race remarquable d'hommes. Il quitte Cumes et gagne le Latium. Suivant l'oracle, il épouse Lavinia, la fille du roi Latinus. Il fonde la ville de Lavinium, du nom de sa femme. Après la mort de son père, Ascagne, ou Iule, s'en va fonder Albe la Longue au pied des monts Albains, qui devient la nouvelle capitale.

Après Ascagne, douze (ou quatorze) rois albains se succèdent, sur une période d'environ trois cents ans. Deux descendants d'Énée se disputent le royaume, Numitor et son frère cadet Amulius. De l'héritage laissé par la succession d'Albe, Amulius fait deux parts : d'un côté le trône, de l'autre les richesses. Numitor choisit le trône. L'or dont il est devenu le détenteur rend Amulius beaucoup plus puissant que son frère : aussi n'a-t-il aucun mal à le chasser. Il tue de surcroît tous ses enfants, à l'exception de Rhea Silvia qu'il contraint à devenir vestale, autrement dit à rester chaste. Le roi s'évite ainsi le risque de voir un jour un enfant réclamer le trône. Seulement, Mars s'éprend de la jeune prêtresse et, sans même qu'elle s'en rende compte, il l'engrosse ; peut-être Rhea Silvia veut-elle minimiser sa faute en la mettant sur le compte d'une divinité ? Elle ne doit d'échapper à la mort (sort réservé à la vestale qui trahit son vœu de chasteté) qu'à l'intervention d'Antho, la fille d'Amulius. Elle est cependant enfermée et tenue au secret. Deux jumeaux naissent, Romulus et Remus. Amulius les fait livrer par ses hommes, sur un radeau fragile, au courant capricieux du Tibre alors en crue. Au lieu de sombrer, l'embarcation est dirigée par la décrue sur les rives du fleuve, au pied du mont Palatin, près d'un figuier sauvage. Les pleurs des nouveau-nés attirent l'attention d'une louve descendue des montagnes au fleuve pour se désaltérer. L'animal les recueille et les nourrit dans la grotte du Lupercal ; un pivert (oiseau consacré à Mars) se préoccupe également de nourrir les bébés.

Le berger Faustulus tue ensuite la louve (ou la louve s'enfuit d'elle-même à l'approche des bergers) et recueille les enfants. Lui et sa femme Larentia, qui vient de mettre au monde un bébé mort-né, les élèvent.

Voir aussi : Acca Larentia

Déjà grands, Remus et Romulus sont pris à partie par une bande de brigands jaloux. Si Romulus parvient à s'échapper, Remus, conduit devant le roi Amulius, est accusé de s'en prendre aux terres de Numitor. C'est donc à ce dernier, qui est son frère, qu'Amulius livre Remus pour qu'il soit puni. Mais Numitor apprend que le captif a un frère jumeau. Après plusieurs recoupements, il en déduit que Remus est son petit-fils. Un complot est ourdi contre Amulius, que Remus égorge.

La fondation de Rome

Remus et son frère Romulus remettent Numitor sur le trône. Ne désirant pas demeurer dans la ville sans y régner, se refusant à y régner du vivant de leur aïeul, les jumeaux décident de fonder leur propre ville.

Puisqu'ils sont jumeaux, il n'est pas possible, en fonction de leur âge, de choisir comme roi l'un plutôt que l'autre. Et très vite un désaccord s'élève entre eux, sur l'emplacement de la future ville. Remus a choisi une position sur l'Aventin qu'il nomme Remorium ; Romulus a tracé la Rome quadrata (« carrée ») sur le Palatin.

On laisse donc aux dieux le soin de décider qui des deux sera le fondateur. Les auspices sont pris ; sera déclaré vainqueur celui qui apercevra le plus grand nombre d'oiseaux. Remus, sur l'Aventin, aperçoit six vautours ; alors qu'il le signale, Romulus en voit douze sur le Palatin. Chacun est proclamé roi par son groupe. Une querelle s'engage alors : l'un privilégie le nombre des oiseaux, l'autre la priorité chronologique. Remus, de mauvaise grâce malgré tout, accepte sa défaite ; Romulus, avec le soc d'une charrue conduite par deux bœufs blancs, trace autour du Palatin les limites de la future ville, Rome ; ensuite il déclare solennellement que quiconque franchira ces limites sera puni de mort. Par défi, Remus fait un pas de trop. Son frère le tue, avec ces mots : « Ainsi périsse à l'avenir quiconque franchira mes murailles. »

Variantes

I. Une autre version peu favorable à Romulus existe chez Denys d'Halicarnasse : lorsque les deux frères, chacun sur son emplacement, attendent les auspices, Romulus, à la fois impatient et jaloux envers son frère, ordonne à ses messagers de se rendre auprès de Remus pour lui signaler qu'il a vu les oiseaux de bon augure, ce qui est un mensonge. Cependant Remus aperçoit six vautours. Lorsqu'ils sont face à face, Remus demande à Romulus quels oiseaux il a vus le premier. Alors que l'embarras étreint Romulus, douze vautours paraissent. Romulus n'a qu'à lever le bras avec ces mots : « Les voilà, mes oiseaux ! » Remus se rend alors compte qu'il a été trompé.

II. Dans l'Origo gentis romanae, Remus, sur l'Aventin, voit six vautours. Aussitôt il dépêche une ambassade chargée d'annoncer à son frère, sur le Palatin, qu'il a déjà obtenu les auspices. Romulus le rejoint et lui demande quels sont ses auspices. Après quoi, Romulus répond qu'il va lui en montrer douze. À cet instant douze vautours apparaissent dans le ciel, en même temps qu'un éclair et le bruit de son tonnerre. Remus comprend qu'il a été floué.

Choix du site

Après s'être emparé d'Albe la Longue, après avoir tué Amulius, Romulus envisage de prendre les auspices pour fonder un État durable. Il met un soin tout particulier à choisir, pour sa cité, le meilleur emplacement. Le bord de mer ne lui paraît pas une bonne idée à cause des nombreux dangers auxquels ce site l'exposerait, notamment celui de l'envahisseur potentiel qui arrive sans qu'on s'en doute, sans qu'on sache qui il est ni d'où il vient, sans qu'on connaisse ses intentions. Sur ce point, un site dans les terres est une idée meilleure, dans la mesure où le sol trahit la présence de l'ennemi par le bruit que font les troupes en se déplaçant. Comment bénéficier des avantages de la mer et en éviter les inconvénients ? Comment s'assurer les avantages de la terre tout en se préservant des risques liés dans le choix d'un tel emplacement ? Romulus résout ces contraintes contradictoires en plaçant sa ville sur les rives d'un fleuve qui débouche sur la mer : importation et exportation sont ainsi rendues possibles, et par voie maritime et par voie terrestre. Mais tous ne sont pas d'accord sur ce point. Ainsi, on a pu écrire que Romulus fonde Rome en un endroit déterminé plutôt par la nécessité qu'à la suite d'un choix délibéré. De fait, non seulement le site n'est pas fortifié naturellement et ne dispose alentour d'aucune terre susceptible de suffire aux besoins d'une ville, mais les hommes manquent, qui pourraient l'habiter ; chacun, en effet, vit pour son propre compte, au pied même des murs de la nouvelle ville, et aucun non plus ne se soucie d'Albe.

Romulus n'hésite pas alors à faire de sa cité un asile pour les esclaves en fuite et les criminels. Seulement, faute de femmes, Romulus ne peut assurer à son peuple aucune descendance, condamné à disparaître au bout d'une génération. Il prend donc contact avec ses voisins afin qu'ils acceptent de mêler leur sang et leur race à ceux de Rome ; en vain : la nouvelle ville inspire trop de mépris et de crainte autour d'elle.

L'enlèvement des Sabines

Quatre mois après la fondation de sa ville, en l'honneur du dieu Consus, Romulus organise une grande fête (Consualia) à laquelle il convie les peuples voisins ; les Sabins arrivent en nombre, avec femmes et enfants. Durant les festivités, les Latins enlèvent les Sabines. À l'exception d'Hersilia, aucune n'est mariée. Sur le nombre de jeunes filles ravies, les données varient : trente, cinq cent vingt-sept, six cent quatre-vingt-trois. Les Sabins crient à la violation des lois de l'hospitalité, invoquant le dieu que l'on célèbre ; quant aux femmes, pour les apaiser, Romulus leur assure qu'elles seront bien traitées, qu'elles partageront les biens de leur époux, qu'elles acquerront le droit de cité.

Cet acte est à l'origine de la guerre entre les deux peuples. De nombreuses nations voisines, devant la menace que représente Rome, se coalisent contre Romulus. Ce dernier sort chaque fois vainqueur. Les Sabins nomment à leur tête Tatius et marchent contre Rome. Là se situe la trahison de Tarpeia. Dans un premier temps, l'effet de surprise met en déroute les Romains ; mais, au dernier moment, dans un sursaut d'orgueil, ils font front à l'ennemi. C'est à ce moment que les Sabines, leurs enfants dans les bras, s'interposent entre leurs nouveaux époux et leurs parents, les suppliant, les uns et les autres, de mettre un terme à leurs hostilités. Romulus et Titus Tatius, le roi sabin, concluent la paix et, ensemble, décrètent que les deux peuples, à l'avenir, n'en formeront qu'un seul. Cette alliance est décidée sur la place appelée Comitium, « Alliance ». Leur ville s'appellera Rome, du nom de Romulus, et les habitants Quirites, du nom de Cures, la patrie de Tatius.

La ville double d'importance. Les deux rois la dotent en commun de lois, d'institutions – de tout ce dont une cité a besoin pour durer.

Règne et mort de Romulus

Titus Tatius, après cinq années de règne partagé, meurt assassiné. Seul aux commandes, Romulus accroît son prestige : il assujettit Fidènes, qu'il purifie, ainsi que Laurente, d'une épidémie. Cameria, qui s'attaque à Rome, est également soumise après avoir perdu six mille hommes au combat. Véies, autre cité, voit d'un mauvais œil grandir la puissance de Rome : il faut y mettre un terme. Là encore, et ce sera sa dernière bataille, Romulus prouve, en domptant l'attaque des Véiens, que Rome est la plus forte.

Cependant Romulus se montre de plus en plus autoritaire. Commandant en monarque, il s'éloigne du peuple par le faste dont il s'entoure. Si bien qu'à sa mort on peut conjecturer qu'il a été assassiné par quelques sénateurs, révoltés qu'il ait pris des décisions sans les consulter.

Romulus meurt à cinquante-quatre ans, après trente-sept ans de règne, dans des circonstances étranges ; en fait, il disparaît. Et sur l'origine de cette disparition également les commentaires vont bon train. Les sénateurs précités l'ont assassiné dans le temple de Vulcain ; puis ils ont découpé son cadavre en morceaux, et chacun des meurtriers en a caché un sous sa robe avant de sortir ; l'autre version avance que Romulus tenait une assemblée en dehors de la ville – peut-être passait-il ses troupes en revue au Champ de Mars – quand un orage violent éclate, accompagné de coups de tonnerre tonitruants, d'éclairs aveuglants et, peut-être, d'une éclipse de Soleil. Le calme revenu, Romulus n'est plus là. Le même phénomène astronomique s'est produit, dit-on, à sa naissance.

La plupart des auteurs mentionnent le 7 juillet (Nonae Caprotinae) comme jour de la disparition de Romulus ; Ovide indique, lui, le 17 février (Quirinalia).

Succession et divinisation de Romulus

Quelque temps plus tard, un patricien, nommé Julius Proculus s'avance sur le Forum et, sous la foi du serment, proclame que Romulus lui est apparu. Voici ce que le roi a répondu à son étonnement : c'est la volonté des dieux, et notamment celle de Mars et de Jupiter, qu'après avoir fondé une cité promise à la plus belle des gloires il retourne dans le ciel ; que les Romains soient courageux et mesurés, et la grandeur d'un empire leur sera assurée. Le dieu Romulus les protégera et se fera appeler Quirinus.

Ce récit satisfait les Romains ; ils honorent Quirinus comme un dieu et lui élèvent un temple.

Après Romulus, six rois se succèdent : Numa Pompilius (715-673), Tullus Hostilius (673-642), Ancus Martius (642-616), Tarquin l'Ancien [Priscus] (616-579), Servius Tullius (579-534), Tarquin le Superbe (534-510). Le départ de ce dernier, chassé en 509 av. J.-C. à la suite du viol de Lucrèce, marque la fin de la monarchie et ouvre l'ère républicaine.

Variante : L'enfance des jumeaux

Obéissant à Amulius, les serviteurs emportent les nouveau-nés dans une corbeille pour les jeter dans le Tibre. Comme le fleuve est en crue, ils descendent jusqu'au Palatin, et s'approchent le plus près possible de l'eau. Ils y déposent la corbeille puis s'en retournent. La corbeille flotte un instant, heurte un rocher, puis se retourne, tandis que le fleuve reflue. Les bébés se débattent dans la boue lorsqu'une louve survient. Elle leur présente ses mamelles pleines de lait, tout en les nettoyant de leur boue à coups de langue répétés. Mais c'est aussi à ce moment que des bergers arrivent. En les apercevant, la louve s'éloigne gentiment et se réfugie dans un bois consacré au dieu Pan. Les bergers recueillent les enfants, qu'ils traitent avec la plus grande sollicitude, estimant qu'ils doivent d'être en vie grâce à la volonté divine. L'un d'eux, Faustulus, prend avec lui les nouveau-nés et les confie à sa femme qui vient d'accoucher d'un bébé mort-né. Ces enfants, pense-t-il, la consoleront quelque peu.

Variantes : La querelle entre les deux frères

I. Une rixe s'élève entre les partisans de chacun des frères et, dans la confusion, Remus perd la vie frappé ou par son frère ou par un certain Celer (il est probable que l'« invention » de Celer n'a pas eu d'autre but que de laver Romulus d'un fratricide, qui entacherait la naissance de la plus glorieuse des villes).

II. Quoique ayant la conviction d'avoir été floué par son frère, et certain de ne pas devenir le roi de la nouvelle ville, Remus ne montre aucun sentiment d'hostilité envers Romulus.

III. Après avoir établi les fondations, Romulus commande à Celer, l'un de ses gardes, de tuer quiconque passera les murs. Remus, qui ignore ces consignes, se moque de la petitesse des remparts et, par léger dédain, les franchit. D'un coup de pelle, Celer le tue. Romulus en éprouve un chagrin immense. Cette version rapportée par Ovide, par Denys d'Halicamasse, par Diodore, évoquée par Festus et Dion Cassius, tente de minimiser et le mépris de Remus à l'égard de Romulus et la responsabilité de ce dernier dans la mort de son frère. Chez Tite-Live, c'est par défi que Remus saute par-dessus les murailles.

IV. Pour Cicéron, Romulus se laisse séduire par la seule apparence de l'utilité, et il ne tue son frère que parce qu'il lui convient de régner seul. Ce qui lui paraît utile, quoiqu'il ne le soit point, lui fait donc oublier l'humanité et la tendresse qu'on doit à ses proches. Il est vrai qu'il cherche à couvrir son action de quelque apparence d'honnêteté, en alléguant que sa muraille a été franchie, prétexte frivole et insuffisant. Il fait donc mal – cela étant dit « sans offenser Quirinus et Romulus ».

Quelle qu'elle soit, cette scène a lieu, suivant la tradition la mieux établie, le 21 avril 753 av. J.-C. ; cette date, à partir de laquelle on compte dès lors les années, ab urbe condita, marque le début de l'histoire romaine. Denys d'Halicarnasse place la date de la fondation de Rome en 751 av. J.-C.

Considérations générales

Rappelons qu'il s'agit ici des données mythologiques de la fondation de Rome. Le débat reste toujours ouvert entre les « bienveillants » qui accordent à ce récit quelque crédit, et les puristes qui lui refusent toute autorité historique, pour au moins une raison, mais non des moindres : aucun « signe » archéologique ne vient (pour l'instant) étayer la légende.

Variante

Denys d'Halicarnasse mentionne d'ailleurs la version « rationaliste » qui ne fait aucune place au fabuleux dans l'histoire des jumeaux. Ainsi, quand Numitor a appris que sa fille Rhea Silvia est enceinte, il remplace par deux nouveau-nés inconnus, qu'Amulius tue, ses petits-enfants qu'il confie à Faustulus. Laurentia (ou Larentia), la femme de Faustulus, donne le sein aux jumeaux ; comme, par le passé, elle a été une prostituée, elle a reçu le surnom de lupa (à la fois « louve » et « prostituée »). Les deux frères reçoivent par la suite une éducation grecque (en conformité avec leur ascendance) à Gabies, ville voisine de Rome. Et c'est à leur retour qu'a lieu l'incident qui mène Remus devant Numitor.

Naissance de Rome

Celui qui le premier jeta les fondements de Rome et de l'Empire fut Romulus, né de Mars et de Rhea Silvia : cette vestale avoua elle-même ce mystère pendant sa grossesse. On n'en douta bientôt plus, lorsque ayant été jeté dans le courant du Tibre avec Remus, son frère, par l'ordre d'Amulius, il ne put y trouver la mort : le dieu du fleuve suspendit le cours de ses eaux, et abandonnant ses petits, une louve attirée par les cris de ces enfants, leur présenta ses mamelles, et leur tint lieu de mère. C'est ainsi qu'un berger du roi les trouva au pied d'un arbre : il les porta dans sa cabane, et les éleva. Albe était alors la capitale du Latium ; elle avait été fondée par Iule, qui dédaigna le séjour de Lavinium, bâti par son père Énée. Amulius, quatorzième descendant de ces rois, régnait, après avoir chassé son frère Numitor, dont la fille était mère de Romulus. Celui-ci, dans le premier feu de sa jeunesse, renverse son oncle Amulius du trône, et rétablit son aïeul. Comme il chérissait le fleuve et les montagnes qui l'avaient vu élever, il y méditait la fondation d'une nouvelle ville. Romulus et Remus étaient jumeaux : pour décider sous les auspices et les lois duquel des deux elle serait fondée, ils convinrent de s'en rapporter aux dieux. Remus se place sur le mont Aventin, Romulus sur le mont Palatin. Remus aperçoit le premier six vautours ; mais son frère en voit ensuite douze. Vainqueur par cet augure, Romulus presse les travaux de sa ville, plein de l'espoir qu'elle sera belliqueuse. C'est ce que lui promettaient des oiseaux de proie accoutumés au carnage. Pour la défense de sa nouvelle ville, un retranchement semblait suffire. Remus se moque de son peu de largeur, et par dérision, le franchit d'un saut : il est tué ; et l'on doute si ce n'est point par l'ordre de son frère. Il est certain du moins qu'il fut la première victime dont le sang consacra les remparts de la nouvelle ville.

Florus

La ville de Rome

Cette ville que tu vois, cette grande et superbe Rome, avant le Phrygien Énée, n'était que collines et pâturages. Sur ce sommet du Palatin, où s'élève la demeure du Dieu qui nous fit vaincre à Actium, s'arrêtèrent les bœufs du fugitif Évandre. C'est pour des dieux d'argile que furent construits ces temples que nous avons dorés, ces temples, simples chaumières alors, que ne dédaignait point la divinité. La roche Tarpéienne était encore nue ; mais Jupiter y tonnait déjà... Il fut un temps où les bords du Tibre étaient pour nos troupeaux des bords étrangers..., où dans cette cabane de Remus un étroit foyer était tout le royaume que se partageaient les deux frères... Aux lieux où brille maintenant la pourpre de nos pères conscrits, siégeaient, vêtus de peaux de bêtes, de rustiques chasseurs. La trompette appelait à l'assemblée les citoyens de Rome naissante. Cent vieillards dans un pré, c'était là leur sénat. Point de ces théâtres aux voiles flottants sur les gradins, à la scène inondée de parfums. Point de ces dieux étrangers que nous allons chercher si loin, alors qu'une foule pieuse se prosternait en tremblant devant les antiques autels de la patrie.

Properce

Les Sabines entre pères et maris

On se préparait à renouveler le combat, quand tout s'arrête devant un spectacle étrange, impossible à décrire. Les filles enlevées des Sabins s'offrent de tous côtés aux regards avec des cris et des pleurs, s'élancent à travers les armes et les cadavres, et, comme possédées d'une divinité, se jettent entre leurs maris et leurs pères, les unes portant leurs enfants dans leurs bras, les autres les cheveux épars, toutes donnant les noms les plus chers tantôt aux Sabins, tantôt aux Romains. L'attendrissement gagne des deux parts ; on leur fait place entre les deux armées ; leurs cris lamentables percent jusqu'aux derniers rangs : leur aspect remplit tous les cœurs d'une pitié qui s'accroît encore quand, après des reproches aussi libres que justes, elles finissent par des prières et des instances. « Mais qu'est-ce donc, s'écrient-elles, que nous vous avons fait de fâcheux et de pénible, pour nous avoir condamnées, pour nous condamner encore à des maux si cruels ? Ravies de force et contre toute justice par ceux à qui nous sommes aujourd'hui, nous avons été oubliées de nos frères, de nos pères, de nos parents, jusqu'au jour où le temps nous a unies à nos plus grands ennemis par des liens si étroits, que nous voilà contraintes à trembler pour ceux qui nous ont fait injustice et violence, et à pleurer leur trépas. Eh quoi ! vous n'êtes pas venus nous venger de leur oppression quand nous étions encore vierges, et vous arrachez aujourd'hui des maris à leurs femmes, des enfants à leurs mères ! Secours à notre infortune plus triste que ne le fut jadis votre abandon et votre oubli ! Voilà comme on nous a aimées, et comment vous nous avez prises en pitié ! Si vous combattiez pour tout autre motif, il faudrait encore vous arrêter pour l'amour de nous, qui vous avons fait gendres, grands-pères et alliés ; mais si c'est à cause de nous que vous êtes en guerre, emmenez-nous avec vos gendres et vos petits-fils ; rendez-nous nos pères et nos proches ; ne nous enlevez point nos enfants et nos maris. Nous vous en conjurons, sauvez-nous d'un second esclavage. »

Telles étaient, avec d'autres encore, les paroles d'Hersilie et les prières de ses compagnes.

Plutarque