Policier également, la trame du Grand frère de Francis Girod offre un autre intérêt : celui de découvrir l'univers misérable des bas-fonds marseillais de l'immigration maghrébine. Face à Depardieu, qui pourtant ici crève une fois de plus l'écran, une toute jeune débutante et un extraordinaire garçon de dix ans parviennent à être à la fois drôles et bouleversants, ravissant la vedette à notre monstre sacré.

Trois films très différents ont surtout, en marge de ces productions traditionnelles, mobilisé — et divisé — l'opinion. Les misérables, d'abord, adaptation très fidèle, très classique, sans doute très scolaire, mais aussi très sincère, et passionnée, du roman de Victor Hugo par Robert Hossein. Les bons esprits ont fait la fine bouche, mais le public n'a pas boudé. Truffé de morceaux de bravoure que l'académisme du réalisateur ne parvient pas à trop affadir, cette longue fresque est, en outre, remarquablement interprétée, notamment par Lino Ventura et Michel Bouquet.

La truite, d'après le roman de Roger Vailland, est signée Joseph Losey. Ce qui n'a pas empêché la critique de crier à la trahison, au massacre, à l'échec. Pauvre truite ! Sans doute, Isabelle Huppert n'a pas la sensualité équivoque de l'héroïne du roman, sans doute la transposition dans un Japon moderne et pourtant très cliché irrite-t-elle plus qu'elle ne séduit, mais fallait-il pour autant oublier la beauté des images, l'élégance de la narration, le superbe esthétisme, un peu froid mais fascinant, de cette histoire d'une séductrice-destructrice à l'époque très datée mais que Losey, précisément, a su rendre astucieusement contemporaine ?

Reste Une chambre en ville, l'opéra tragico-mélo de Jacques Demy, qui a repeint en noir ses Parapluies roses de Cherbourg pour conter ici le drame d'un chômeur amoureux d'une bourgeoise, l'épopée d'un piquet de grève aux prises avec les CRS, la tragédie d'un mari trompé et d'une petite amie séduite et abandonnée, sur les airs gentiment sirupeux d'un sous-Michel Legrand. Pas vraiment accueillante, cette Chambre en ville. Seule sa propriétaire, la délicieuse, spirituelle, éternellement jeune Danielle Darrieux, tire, de façon éblouissante, son épingle du jeu, chantant elle-même. Les autres sont, bien sûr, doublés, et notamment Richard Berry, dont il faut signaler ici qu'il est, avec ce rôle d'ouvrier chez Demy, mais aussi de flic chez Bob Swaim, et de journaliste détective dans le film très maniéré de Guy Gilles Crime d'amour, la grande vedette de la saison.

Quoi encore ? Le lot désormais traditionnel de café-cinéma (Le père Noël est une ordure, Le quart d'heure américain), le troisième rôle pied-noir de Roger Hanin dans La baraka. La naissance d'un nouveau réalisateur au nom connu, Denys Granier-Deferre, sur la bonne voie d'un intéressant humour grinçant dans la satire sociale, avec Que les gros salaires lèvent le doigt. L'erreur de Christian de Chalonge qui a cru pouvoir jouer avec la mer et l'aventure dans Les quarantièmes rugissants et n'a réussi qu'à ennuyer. La fidélité de Pierre Schoendoerffer à son univers en uniforme, mais aussi son courage, puisque, en tournant, guêtres toujours impeccables et menton haut levé, L'honneur d'un capitaine, il a osé parler d'un sujet toujours tabou, la guerre d'Algérie. Le naufrage d'Alain Jessua, qui aura eu le triste privilège d'offrir à Patrick Dewaere son dernier rôle, dans Paradis pour tous, une excellente idée de fable grinçante devenue laborieuse historiette raccoleuse. La verve de Coline Serreau, se moquant de la publicité dans Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux ? L'intimisme toujours privilégié par une grande partie de notre cinéma national (mais celui de Charlotte Dubreuilh dans La côte d'amour a l'avantage de nous rendre Danièle Delorme, absente depuis sept ans de l'écran), le maniérisme rétro poussé jusqu'à l'excès de Daniel Schmidt dans Hecate, l'indécrottable optimisme sucré de l'octogénaire Marcel Dassault, si incroyable enfileur de clichés roses dans Jamais avant le mariage (entièrement réalisé par Daniel Ceccaldi sur ses indications) qu'il en devient attendrissant. Un peu de tout, en somme, mais rien, hélas, qui n'annonce la révolution... D'ailleurs, les jurés du Delluc, notre Goncourt du cinéma, ont dû, in fine, chercher du côté du Polonais Wajda (et de son Danton, la voilà, la révolution !) pour trouver un lauréat.

États-Unis

Ils n'ont peut-être plus grand-chose de neuf à dire, les Américains, mais comme ils le disent bien ! C'est, cette fois encore, d'outre-Atlantique que sont venus les films les plus parfaits sur le plan technique, les plus réussis. En tête, bien sûr, ET, triomphe du professionnalisme. La petite grenouille du cosmos est fascinante de laideur attirante, chaque plan est inventif, les ficelles, bien camouflées, fonctionnent. Cela dit, fallait-il en faire l'événement du siècle ? L'histoire est linéaire, ses ressorts gentiment débiles, et ce conte rose, dans son super-emballage cadeau, ne dépasse pas le niveau d'une fable de patronage. Il faut croire que les adultes sont aujourd'hui bien perturbés, pour avoir ici si facilement trempé leurs mouchoirs !