Dans les trésors de la littérature mondiale des origines, nous disposons enfin d'une version presque intégrale du Mahâbhârata, qui représente pour la traductrice érudite, Madeleine Biardeau, le travail d'une vie avec ses 2 000 pages d'épopée, et ses 400 000 vers. Postérieurs de près de deux siècles à l'œuvre d'Homère, ces manuscrits en sanskrit racontent la lutte des deux clans, les Kaurava et les Pândava, à laquelle, comme chez Homère, les Dieux prennent part. Une nouvelle publication du Guerre et Paix de Tolstoï nous rappelle que l'écrivain russe entretenait un rêve comparable, tout au moins celui de la restauration de la paix entre les hommes et de la disparition de la folie meurtrière. Toujours dans ce domaine des grands classiques, la republication revue de l'œuvre de Dos Passos, sa célèbre trilogie USA, qui non seulement inspira l'œuvre romanesque de Sartre, mais décrit les méfaits d'une société capitaliste. Violences collectives ou individuelles, le grand désarroi du monde est encore présent dans de nombreux ouvrages d'origines diverses. L'Albanais Fatos Kongoli (le Rêve de Damoclès, 2000), instaurant un dialogue avec l'enfant qu'il fut, retrace l'écrasement de l'individu dans le chaos de sa société. Le Roumain Augustin Buzara (Requiem pour salauds et fous, 2001) ne mâche pas ses mots pour décrire un pays et une histoire en déroute. Ce cadavre n'est pas un enfant (posthume, 1999) de Tony Cade Bambara renvoie aux luttes des Noirs aux États-Unis. Par l'entremise d'une mère attendant son enfant, l'auteur dénonce les assassinats d'Atlanta en 1979. L'Hispano-Péruvien Mario Vargas Llosa, avec la Fête au bouc (2000), s'intéresse à la mort du dictateur Trujillo de la République dominicaine. L'œuvre se veut plus littéraire en proposant trois miroirs successifs, la vision d'une femme, celle du dictateur lui-même, celle enfin des conspirateurs, mais la conclusion reste pessimiste.

D'autres romans récents, œuvres de jeunes auteurs, s'intéressent à la violence individuelle, entre autres l'Ange boiteux (2000) de Rodrigo Rey Rosa (Guatemala), qui se rapproche de la fable. Dans ce livre, le héros, kidnappé, rançonné, perd dans l'aventure un orteil puis un pied. Cette amputation le rendra, symboliquement, incapable à la fois de se venger et d'engendrer.

Dans les repères donnés, cette année, le Salon du livre avait mis l'accent sur l'Italie, qui semblait beaucoup moins présente depuis quelques années. Ainsi apparaissait une intéressante revue de différentes tendances anciennes ou présentes. Depuis l'hédonisme érudit de Vitaliano Brancati (mort en 1954) avec son approche sensuelle dans les Plaisirs (1952), à la tentative de représenter la variété infinie de la vie dans ces nouvelles inédites d'Alberto Moravia : Histoires de guerre et d'intimité (1944). Puis le troisième tome des Œuvres complètes (1984-1989) de Leonardo Sciascia, acharné à décrire la violence politique et dessinant une représentation de l'homme comme meurtrier. À quoi opposer le livre récent d'Antonio Tabucchi, Il se fait tard, de plus en plus tard, un recueil de dix-sept lettres d'amour mystérieuses, figures voilées et lieux précis, toutes de sensibilité et de nostalgie.

Bruno Arpaia, quant à lui, n'hésite pas à mettre en scène Walter Benjamin dans son Dernière Frontière (2000), qui, face à un républicain espagnol amoureux de la vie, n'a que son désarroi à offrir devant la tragédie de la guerre d'Espagne.

Américains ou anglais, ou écrits dans cette langue, les livres sont trop nombreux pour pouvoir être tous examinés. Nous nous contenterons de signaler quelques ténors comme William Boyd, dont À livre ouvert se veut le journal d'un romancier fictif avec sept décennies d'un journal intime où apparaissent des personnages célèbres, tels T.S. Eliot ou Churchill. L'entreprise est ambitieuse et propose une lecture personnelle du xxe siècle. John Updike est toujours présent, avec son écrivain raté Bech aux abois, constitué d'un assemblage de nouvelles où éclate l'allégresse sadique du personnage. Voir encore le Ravelstein (2000) de Saul Bellow, qui propose la biographie en miettes d'un universitaire de Chicago conseillant les puissants du monde américain, et qui permet à l'auteur de poursuivre sa querelle avec le siècle.

Imre Kertész

Né le 9 novembre 1929 à Budapest, dans une famille juive, il est déporté à quinze ans au camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau, puis à Buchenwald. Il sera libéré en 1945.