Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

Environnement : l'Amérique fait cavalier seul

Pour George W. Bush, les accords internationaux, comme celui signé par son pays à Kyoto en 1997, ne sont bons que s'ils servent les intérêts américains, et plus particulièrement ceux des lobbies du pétrole et du charbon qui ont largement financé sa campagne électorale.

« Le mode de vie américain n'est pas négociable ! » avait prévenu Bill Clinton alors qu'il était encore président des États-Unis. Cet axiome reflète une réalité : un citoyen américain « émet » chaque année 5,4 tonnes de dioxyde de carbone (CO2), principal gaz à effet de serre. Tout en ne représentant que 5 % de la population mondiale, l'Amérique du Nord rejette le quart du total mondial de ces gaz et participe largement au réchauffement climatique que la communauté scientifique, désormais quasi unanime, attribue à l'utilisation massive des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz). Cela n'a pourtant pas empêché le nouveau locataire de la Maison-Blanche, George W. Bush, d'annoncer, à la mi-mars, qu'il renonçait à limiter les émissions de CO2 américaines et que Washington ne ratifierait pas le protocole de Kyoto, qui impose aux pays industrialisés de réduire leurs émissions de 5,2 % en moyenne par rapport à leur niveau de 1990 (d'ici à 2012).

L'heure de rembourser

Cette bravade vient menacer la viabilité d'un accord déjà mis à mal par le différend américano-européen qui a conduit à l'échec de la conférence de La Haye en novembre 2000. Elle était néanmoins prévisible. En prenant cette décision, M. Bush, qui s'était pourtant engagé, pendant sa campagne, à réglementer les émissions de CO2, a trahi une promesse électorale. De l'avis des commentateurs, cependant, ce revirement ne fait que confirmer « les liens qui unissent [le nouveau président] avec les milieux d'affaires qui ont financé sa campagne ». Greenpeace USA a ainsi rappelé qu'« une grande partie des 32 millions de dollars investis par le secteur gazier et pétrolier dans les dernières élections est allée au camp républicain ». Et le démocrate Dick Gephardt d'assurer que « l'heure de rembourser » avait sonné pour l'équipe Bush. Par exemple, en concoctant un plan énergétique qui prévoit un effort massif en faveur du pétrole, du gaz naturel et du nucléaire.

En outre, « W » n'a jamais caché son opposition à un processus qu'il juge « injuste », affirmant qu'il ne laisserait pas les États-Unis « porter le fardeau de nettoyer tout seuls l'air, comme le protocole de Kyoto l'exige ». Le président américain refuse que les pays en développement (PED), en particulier la Chine, « deuxième émetteur de gaz à effet de serre au monde », soient exemptés de tout objectif chiffré de réduction de leurs émissions. Si l'efficacité d'une lutte mondiale contre l'effet de serre nécessite d'impliquer le Sud, à terme (l'Asie en développement émet aujourd'hui presque autant de CO2 que les États-Unis), cet argument paraît d'autant plus spécieux que « les émissions américaines, rapportées au nombre d'habitants, restent dix fois supérieures à celles des PED ». Et comme le souligne le président de la Commission européenne Romano Prodi, c'est aux « pays industrialisés qui [ont] le plus contribué à créer le problème » de montrer la voie, l'Amérique en tête, qui a vu depuis 1990 croître son PIB de 16 % et ses émissions de plus de 11 %. Or, pour appliquer le protocole de Kyoto, les Américains devraient, en réalité, réduire leurs rejets de CO2 de plus de 17 % et non de 7 %. Un effort que M. Bush ne veut pas faire supporter à son pays. Aussi a-t-il également justifié le retrait américain par l'existence d'une crise énergétique outre-Atlantique, symbolisée par les coupures d'électricité californiennes, et en se basant sur une étude du Département de l'énergie concluant qu'une réglementation inspirée du protocole hâterait le déclin des centrales au charbon (qui fournissent la moitié de l'électricité américaine) et alourdirait la facture énergétique pour les entreprises. D'où le message sans ambiguïté adressé par le secrétaire d'État américain Colin Powell à toutes les ambassades du pays : « Les États-Unis s'opposeront au protocole de Kyoto quelles que soient les circonstances [...] parce qu'il causerait de sérieux dommages à l'économie américaine. » M. Bush, poussant le cynisme jusqu'à qualifier l'indignation suscitée par sa volte-face, de plus « émotionnelle que scientifique », ne peut, pour autant, méconnaître ces fameuses « circonstances », encore assombries par le dernier rapport sur les conséquences du réchauffement planétaire, publié en février par les chercheurs du Groupement international pour l'étude du climat (GIEC).

Le plus gros pollueur de la planète

La décision de « W » ne semble pas avoir entamé sa crédibilité auprès de l'opinion publique américaine. Même les écologistes locaux ont protesté mollement, Phil Clapp, président du National Environment Trust, se contentant de dénoncer « l'indécence d'un président qui fait la sourde oreille aux questions environnementales ». Toutefois, un membre du Earth Policy Institute de Washington, Lester Brown, a pris à contre-pied les craintes bushiennes, en remarquant que « [l'Amérique] devrait conduire le monde vers une économie des énergies nouvelles, au lieu de stagner au xxe siècle, à l'ère de la houille et du pétrole ». En clair, le développement des énergies renouvelables pourrait agir comme un moteur de l'économie américaine, de la même façon que l'informatique et Internet dans les années 1980 et 1990. En tirant un trait sur un long processus diplomatique qui a accouché d'une esquisse de politique mondiale de l'environnement au nom de la défense de ses seuls intérêts nationaux, l'Amérique de George W. Bush pourrait bien perdre sur tous les plans. Économique d'abord, en se privant d'investir dans des technologies respectueuses de l'environnement. Politique ensuite, en prenant le risque d'être complètement marginalisée par les autres pays, qui pourraient décider d'en accélérer la mise en œuvre au cours de la conférence de Bonn. Gageons que les nations industrialisées auront assez de sagesse pour choisir d'avancer, malgré la défection du plus gros « pollueur » de la planète.