Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

Le retour de Bernard Kouchner aux affaires

Remplacé à la tête de la mission de l'ONU pour le Kosovo par le ministre danois de la Défense lions Huekkenrup, Bernard Kouchner ne cache pas, dès la fin de 2000, son désir de reprendre place dans le gouvernement Jospin.

À soixante et un ans, l'ancien secrétaire d'État à la Santé (1997-1999) fait très vite savoir qu'il souhaite prendre la tête d'un ministère de plein exercice. Comme administrateur civil de l'ONU au Kosovo, poste qu'il occupait depuis juillet 1999, il peut se targuer d'un bilan honorable. « Il a accompli un travail remarquable », a tenu à saluer le Premier ministre Lionel Jospin.

Bilan honorable au Kosovo

Au moment où la direction du Haut-Commissariat aux réfugiés (un vieux rêve) lui passe sous le nez, après avoir décliné le poste d'envoyé spécial de l'ONU pour le sida que lui proposait Kofi Annan, sa décision est prise de revenir en France. En pleine crise de la vache folle, le Premier ministre est conscient des faiblesses de son dispositif en matière de santé publique, mais doit composer avec les réticences de certains ministres à voir leurs portefeuilles allégés. Élisabeth Guigou, notamment, est réticente à un redécoupage de son propre ministère. D'autres ministres au contraire appellent à un rapide retour de « BK » au gouvernement, comme Claude Bartolone, le ministre délégué à la Ville. Des rumeurs ont filtré. On le pressentait successeur de Pierre Moscovici aux Affaires européennes, on le voyait remplacer un Pierre Joxe à la Cour des comptes, ou même prendre la tête du ministère de la Défense. Lionel Jospin le nomme, le 6 février, ministre délégué à la Santé auprès d'Élisabeth Guigou. Une victoire en demi-teinte.

Revendications des infirmières et des sages-femmes en colère, fièvre aphteuse, légionellose, le nouveau ministre trouve des dossiers délicats. L'épidémie de fièvre aphteuse lui donne l'occasion de redéfinir les frontières de son ministère. Contrairement à Dominique Gillot, sa remplaçante (qui, secrétaire d'État, récupère le dossier des handicapés et des personnes âgées) qui laissait au ministre de l'Agriculture Jean Glavany le monopole de la gestion des crises sanitaires, il souligne : « ce dernier ministère ne peut pas être le seul interlocuteur de l'opinion publique. » Le temps de l'installation des toutes nouvelles agences sanitaires est révolu, il s'agit désormais d'intégrer de façon systématique le risque sanitaire. Bref, de développer une « pédagogie du risque » relayée par une forte politique de communication. Il plaide pour plus d'Europe et en appelle à la création d'une « Agence sanitaire européenne ». Pour lui, « l'affaire de la vache folle est avant tout l'affaire d'une humanité folle, » obsédée par la dérive productiviste.

Coupant court aux critiques selon lesquelles le ministère de la Santé et le ministère de l'Agriculture n'auraient pas assez coopéré pendant la crise de la vache folle, Bernard Kouchner rappelle que c'est son ministère qui est à l'origine du principe de précaution et que le principe de responsabilité est là pour le compléter. Il s'attaque à d'autres dossiers d'envergure : la révision des lois sur la bioéthique (qui prévoit notamment d'élargir le champ des donneurs) et la loi sur les droits des malades. Quasi bouclés, ces textes doivent être intégrés au calendrier parlementaire.

« Développer une culture de santé publique »

Mardi 27 mars, un mois et demi après son retour au gouvernement, le nouveau ministre délégué à la Santé présente son programme au cours de la conférence nationale de la Santé.

Jusqu'alors, la « gestion d'un système de soins » était l'objectif prioritaire. L'ancien gastro-entérologue de Cochin souhaite désormais développer une véritable « culture de santé publique » déclinée en plusieurs volets : lutte contre le cancer (dépistage des cancers du sein [généralisé] et du côlon [expérimental], ouverture de postes supplémentaires de cancérologues, mise en place d'une consultation spécialisée), programmes d'action spécifiques envers les jeunes, les femmes et les précaires, combat contre les maladies infectieuses. Un comité de suivi, créé au sein du ministère, s'assurera tous les quinze jours de la mise en œuvre de ces différents champs d'action et une réunion publique d'information se tiendra tous les deux mois. Dès le mois d'avril, un dépistage du cancer colorectal sera lancé dans onze départements. Rappelant qu'en 2000 la France a dépensé plus de 900 milliards de francs pour la santé, Bernard Kouchner n'exclut pas une éventuelle hausse des dépenses de santé, rationalisée, notamment pour tout ce qui touche aux médicaments. Il se dit par ailleurs favorable à un développement plus rapide de la consommation de génériques. Le rapport préparatoire à la conférence nationale concocté par le Haut Comité de santé publique préconise par ailleurs « un panier de biens et de services ». Pour faire tomber les barrières entre les différents corps, l'ancien médecin se dit favorable à la création d'un DEUG de santé publique commun, au moins pour la première année, aux médecins, pharmaciens, infirmières, kinés. Celui qui se surnomme lui-même « le ministre des malades » connaît parfaitement le monde de la santé et sait se faire entendre des médecins. Il devra également remobiliser son administration. Le règlement en avril du conflit des sages-femmes, après cinq semaines de grève, est pour lui une première victoire.