Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

L'embarrassante « cagnotte » de Bercy

Que fait Bercy de ces rentrées d'argent engrangées grâce aux impôts et aux taxes diverses qui surfent sur la croissance ? Une question embarrassante pour Christian Sautter, dont l'une des tâches principales sera de reconnaître l'existence d'une « cagnotte », puis d'en suggérer le volume, constamment révisé à la hausse, et enfin d'en annoncer l'utilisation, avant de céder la place à Laurent Fabius.

Quel est le montant exact des recettes fiscales de l'État ? La question revient avec d'autant plus d'insistance sur la scène politique française depuis ce 14 juillet 1999 où Jacques Chirac a accusé le ministère de l'Économie et des Finances d'user de « tout son talent pour masquer » l'ampleur des rentrées d'argent dans les caisses de l'État.

Harpagon

Les spéculations sur l'existence d'une « cagnotte » embarrassent le gouvernement de la gauche plurielle, apôtre de la redistribution, surpris en flagrant délit d'avarice. Elles réveillent le spectre de l'État-vampire qui se constituerait un trésor de guerre sur le dos des citoyens-contribuables à l'heure où la croissance économique porte ses fruits. Des fruits plutôt empoisonnés pour Christian Sautter qui, à peine installé à Bercy où il a remplacé Dominique Strauss-Kahn en novembre 1999, doit rendre des comptes sur cette « caisse noire » de l'État, une aubaine pour la droite qui trouve matière à s'indigner des cachotteries du gouvernement et qui revient à la charge sur la nécessité d'une baisse des impôts. Digne de Molière, le feuilleton de la « cagnotte » hantera pendant toute la durée de son mandat C. Sautter, figé dans la posture d'un Harpagon crispé sur sa « cassette » dont il ne consent à livrer le contenu qu'au compte-gouttes. Le ministre n'a pourtant qu'une responsabilité limitée dans cette affaire.

En septembre 1999, lorsqu'il avait présenté le projet de budget 2000, DSK n'avait concédé un excédent fiscal que d'« une dizaine de milliards ». Dans le collectif budgétaire de fin d'année – le projet de loi de finances rectificative pour 1999 – proposé au Conseil des ministres le 24 novembre, son successeur inscrit un surplus de recettes fiscales, par rapport à la loi de finances initiale, de 13 milliards de francs. Cette évaluation, dont le ministère affirme qu'elle a été calculée sur les prévisions les plus optimistes du volume global des impôts, indigne la droite, qui la juge inférieure à la réalité. Tandis que le ministre admet que cette évaluation pourrait être révisée à la hausse avec les chiffres définitifs à venir et promet une baisse de certains impôts, commence une véritable surenchère qui voit passer la « cagnotte » à 24,3 milliards de francs en décembre et à 30,7 milliards de francs le 9 février, si l'on en croit l'exécution budgétaire présentée par C. Sautter et Florence Parly, secrétaire d'État au Budget, devant la commission des finances de l'Assemblée nationale.

Révélant l'ampleur des sommes soustraites au débat parlementaire, ce nouveau chiffre, établi par rapport à un déficit budgétaire révisé à la baisse, entraîne aussi la suspicion à l'égard de Bercy des membres socialistes de la commission des finances. Matignon intervient alors pour doubler la mise, annonçant le 14 mars que la cagnotte est de 50 milliards de francs, qui seront affectés à une réduction d'impôts. Dans ce jeu de quitte ou double, C. Sautter a perdu. Il démissionne quelques jours plus tard, sous la pression de la rue où les employés de son ministère manifestent contre la réforme de l'administration des finances, qu'il n'a pas su mener à bien.

U. G.

Christian Sautter : un fusible ?

Remplaçant DSK à Bercy en novembre 1999, Christian Sautter, secrétaire d'État au Budget, n'avait pas voulu emménager dans le bureau de son illustre prédécesseur, censé reprendre sa place une fois réglés ses problèmes judiciaires. Quand il démissionne le 20 mars, c'est pour laisser la place à une autre pointure du Parti socialiste, Laurent Fabius. En cinq mois, il aura donné l'impression d'assurer l'intérim, sans avoir pu mener à bien la réforme de l'administration des finances lancée par DSK, ce qui lui vaudra le mécontentement des employés de Bercy. L'affaire de la « cagnotte » a montré que le courant ne passait pas entre Bercy et Matignon. Outre le montant de la cagnotte, l'utilisation de celle-ci est sujet de désaccord : alors que C. Sautter défend une cagnotte de 25 milliards qui servirait à baisser la taxe d'habitation et à réduire le déficit budgétaire, L. Jospin annonce un montant de 50 milliards, dont 40 serviront à baisser les impôts et 10 à de nouvelles dépenses. Sans informer Bercy, Matignon décide de baisser la TVA de 20,6 % à 19,6 %.