Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

La Corse au rendez-vous de l'Europe des régions

Le processus de négociations engagé huit mois plus tôt par Lionel Jospin avec les élus corses sur le statut futur de l'île donne lieu à un accord conclu le 20 juillet à Matignon et approuvé le 28 par la grande majorité des membres de l'Assemblée territoriale d'Ajaccio.

Jugé « historique » en Corse, y compris par les milieux nationalistes, le plan de Matignon qui prévoit une série de réformes transformant radicalement le paysage institutionnel de Corse à l'horizon 2004, après une période transitoire, suscite des remous dans la classe politique française, comme en témoigne la démission de Jean-Pierre Chevènement.

Il aura fallu un peu moins de huit mois au gouvernement de Lionel Jospin et aux élus corses, engagés depuis décembre 1999 dans un processus de négociations d'un œcuménisme sans précédent, associant presque tous les acteurs politiques de l'île, jusqu'aux nationalistes, pour dégager les termes d'un accord qui ouvre des perspectives radicalement nouvelles pour le statut de la Corse. Un tour de force si l'on considère le climat insulaire délétère – encore marqué par l'assassinat du préfet Claude Erignac – dans lequel ont commencé les discussions à l'Hôtel Matignon ; une sorte de record si l'on se souvient des tâtonnements maladroits, voire des errements auxquels a donné lieu, au cours des vingt dernières années, la recherche par l'État français d'une solution à un problème corse volontiers réduit à sa dimension strictement sécuritaire ; une prouesse, enfin, si l'on prend en compte la résistance des postulats idéologiques qu'il a fallu surmonter pour extraire ce dossier des ornières étroites d'une République résolument jacobine.

« Un vote historique »

Seule la réelle volonté politique animant les 22 élus de toutes tendances de l'Assemblée territoriale de Corse qui négociaient avec les représentants du gouvernement a permis que le processus aboutisse, quoi qu'en disent ses détracteurs, au premier rang desquels Jean-Pierre Chevènement. Ce dernier claquera la porte du gouvernement le 29 août pour ne pas avoir à présenter devant l'Assemblée nationale le projet de loi prévu pour la fin de l'année. Résumant l'opinion des élus corses, José Rossi, le président (DL) de l'Assemblée de Corse, a qualifié ce vote d'« historique », même si toutes les revendications posées par l'Assemblée territoriale lors de la consultation du 12 juillet allant dans le sens de plus larges prérogatives accordées à l'île n'ont pas été retenues dans l'ultime tour de table. Les élus corses y trouvent toutefois davantage matière à satisfaction que le ministre de l'Intérieur, qui n'a pas réussi à convaincre L. Jospin de reculer.

La réforme prévoit la mise en place, à l'horizon 2004, d'une collectivité territoriale unique au lieu des deux départements actuels, où l'Assemblée territoriale verrait ses compétences élargies. « Certaines normes réglementaires, voire certaines dispositions législatives » pourraient en effet être adaptées à la réalité de la Corse en vertu d'un projet de loi qui devra être présenté à l'Assemblée nationale d'ici la fin de l'année. La dévolution à l'Assemblée de Corse, fût-ce à titre expérimental jusqu'en 2004, de pouvoirs législatifs limités, jusqu'alors exercés par le Parlement national, est sans doute le point le plus controversé de la réforme. Celle-ci est considérée par ses détracteurs comme un blanc-seing à ceux, nationalistes surtout, qui ont toujours voulu soustraire l'île à l'autorité de la République.

Ces deux réformes – collectivité territoriale unique et dévolution de pouvoirs législatifs – nécessiteront une révision de la Constitution, qui est renvoyée au lendemain des scrutins législatif et présidentiel de 2002. La Corse bénéficiera d'ici là de larges concessions financières et fiscales prévues par le plan du gouvernement – qui a notamment prolongé de dix ans l'exonération complète des droits de succession –, d'investissements publics sur quinze ans prévus par une loi de programmation, ou encore de la généralisation de l'enseignement de la langue corse. Ces dispositions seront soumises, à court ou moyen terme, au vote du Parlement national.

« Fonder durablement la paix civile »

La poursuite de ce processus dépendra du bilan de ces premières mesures mais aussi de l'aptitude de la réforme à « fonder durablement la paix civile ». Le caractère préalable de cette condition n'aurait pas été énoncé avec clarté selon les opposants à cette réforme qui, à gauche comme à droite, reprochent au gouvernement d'avoir élaboré cet accord sous la pression et le chantage à la violence exercés par les milieux nationalistes et mafieux de l'île. Mais en associant officiellement au processus les nationalistes, interlocuteurs officieux jusque-là, le gouvernement a fait justement le pari d'un retour à la paix garanti par le dialogue, sous l'effet d'une réforme visant à « clarifier les responsabilités dans la gestion des affaires de l'île », à « favoriser son développement économique et social » et à « mieux prendre en compte les spécificités de la Corse dans la République ». C'est au nom de cette spécificité insulaire que le gouvernement, au risque de prêter le flanc aux accusations d'hérésie, a fait le choix de s'écarter de la norme jacobine en mettant en chantier le futur statut de la Corse, apportant ainsi sa pierre à l'édifice d'une Europe des régions en construction. Faute d'avoir restauré l'État de droit par la politique du tout-répressif, c'est une région de droit qui se mettrait en place en Corse. On est encore loin de l'Écosse de Tony Blair mais le grand mot de dévolution est lâché, qui froisse les susceptibilités politiques et pas seulement chez les souverainistes affichés de tous bords. Pour contrer l'offensive des opposants à l'accord, notamment au RPR, malgré l'approbation de Jacques Chirac en Conseil des ministres le 1er août, le gouvernement compte, dans les deux années à venir, sur le large consensus qui s'est fait jour en Corse.

Le plus dur reste à faire

La balle est dans le camp des élus corses à qui il revient d'assurer le suivi de la réforme, si toutefois les différents clans nationalistes et mafieux le permettent. L'assassinat, le 8 août, du nationaliste Jean-Michel Rossi dans un bar de L'Île-Rousse montre que la violence n'a pas disparu de l'île. Quant aux élections municipales partielles d'Ajaccio en septembre, elles seront marquées par la défaite de José Rossi, vite interprétée comme un désaveu du plan de Matignon. Le plus dur reste à faire pour le gouvernement, qui doit aussi surmonter les obstacles constitutionnels qui hérissent le processus corse.