Lionel Jospin a passé avec succès le cap des deux années d'une cohabitation qui a d'ores et déjà battu le record de la durée ; vingt-sept mois après sa nomination, le Premier ministre est au zénith de sondages récompensant une politique qui a porté ses fruits, du moins dans le domaine économique et sur le front de la lutte contre le chômage. Au diapason des sondages, les élections européennes du 13 juin ont confirmé la prééminence du PS (21,96 %) dans une majorité plurielle où elles ont dessiné, il est vrai, un nouveau rapport des forces entre ses partenaires.

L'« université d'été »

C'est donc avec une confiance teintée de satisfaction que M. Jospin fait sa rentrée politique le 29 août, à l'occasion du rendez-vous désormais traditionnel de l'université d'été de La Rochelle, où il dresse avec emphase devant les militants socialistes le bilan d'une action gouvernementale autorisant de nouvelles perspectives et de nouveaux chantiers. Un an avant, toujours à La Rochelle, il appelait de ses vœux une « synthèse politique nouvelle » entre les composantes de la gauche plurielle ; préférant ne pas se risquer sur un terrain rendu glissant depuis le scrutin européen qui a conduit les Verts à exiger un rééquilibrage des forces au détriment du PC, M. Jospin parlera cette fois d'une « nouvelle alliance » entre les exclus, les classes populaires et les classes moyennes, associés dans cette « société de plein-emploi » qu'il se donne pour objectif de reconquérir. Mais ce cours très théorique, qui s'inscrit dans l'horizon des législatives, sinon ouvertement de la présidentielle de 2002, n'exonère pas d'exercices pratiques le chef du gouvernement, brusquement ramené à la réalité sociale par les 7 500 suppressions d'emploi annoncées quelques jours après par Michelin. Pris de court par l'« effet Michelin », qui galvanise au contraire le PC – celui-ci appelle la gauche à manifester pour l'emploi le 16 octobre –, M. Jospin ratera une rentrée qui s'annonçait routinière : dans son intervention du 13 septembre sur France 2, où il devait dévoiler les contours de sa « deuxième étape », il poursuit son exposé théorique, en porte-à-faux avec le climat social et politique. Comme s'il prenait acte de l'impuissance de l'État face à la série de fusions qui a remodelé cet été le visage du capitalisme français et aujourd'hui face à Michelin, il rappelle que « ce n'est pas par l'administration qu'on va réguler l'économie », jetant la balle dans le camp de l'opinion et des salariés, appelés à se mobiliser. Ses partenaires de la gauche plurielle prendront la balle au bond après cette évidente erreur de communication qui contraindra le Premier ministre à se livrer à un pas de deux pour ne pas perdre l'initiative sur un terrain social déjà miné par le débat sur les 35 heures. Les journées parlementaires socialistes le 27 septembre à Strasbourg seront l'occasion d'un oral de rattrapage pour M. Jospin qui renouera avec une fibre militante et sociale pour réaffirmer avec plus de netteté son identité politique de gauche.

G. U.

Le retour au social

Réparant les dégâts de son intervention télévisée du 13 septembre, qui avait attisé les soupçons d'immobilisme, Lionel Jospin prononce quinze jours plus tard à Strasbourg un véritable discours de politique générale censé dessiner les contours d'un deuxième programme de gouvernement aux tonalités sociales plus marquées et traduire la volonté de poursuivre les réformes engagées depuis deux ans, notamment dans la politique de la ville qui se voit définir 50 « grands projets » avant la fin de l'année. Surtout, conséquence de l'« effet Michelin », il s'engage à lutter contre les « licenciements abusifs », les entreprises qui licencient alors qu'elles font des bénéfices ou qui abusent du travail précaire pour éviter de payer des cotisations sociales plus lourdes. Il s'agit moins désormais de subir le capitalisme moderne que de se doter de nouveaux instruments de régulation adaptés à la réalité d'une mondialisation qui « ne rend pas les États impuissants ».

Le « petit écart » du PCF

Alors que les européennes du 13 juin ont confirmé l'érosion de l'électorat communiste, le PC est dopé en septembre par l' « effet Michelin ». Robert Hue entend reprendre l'initiative sur un terrain social dominé par le débat sur les 35 heures, en rassemblant les forces de gauche le 16 octobre à Paris à l'occasion d'une vaste manifestation pour l'emploi tout en évitant de menacer la cohésion du gouvernement. Un exercice difficile, mais qui accorde au dirigeant communiste un répit à l'approche du XXXe congrès.