Journal de l'année Édition 2000 2000Éd. 2000

Tandis que les soldats yougoslaves prennent le chemin de leurs casernes en Serbie, les forces de l'OTAN prennent leurs quartiers dans la province en ruines, suivies, voire précédées, par des dizaines de milliers de réfugiés kosovars impatients de retrouver leurs foyers, mais aussi par des soldats de l'UÇK qui, à défaut d'avoir pu vaincre militairement les Serbes, veulent prendre une option sur l'avenir politique du Kosovo.

L'exode des Serbes

C'est au tour des Serbes – 200 000 sur les 2 millions d'habitants que comptait le Kosovo avant la guerre – de prendre par milliers le chemin de l'exode. En 1987, ils avaient cru Milosevic quand il s'engageait à protéger leur dignité bafouée ; aujourd'hui, ils ne veulent pas croire en la protection de la K-FOR, qui les exhorte à rester, malgré les actes d'intimidation et de violence dont ils sont victimes dans une province où ils se sentent désormais étrangers. Sans doute la « barbarie » a-t-elle été vaincue, et la découverte des nombreux charniers qui renfermeraient les restes de 10 000 Albanais vient confirmer la légitimité de l'intervention militaire, même si elle a aggravé les souffrances endurées par les Kosovars pendant dix mois de répression de leur guérilla : 850 000 d'entre eux ont été déportés et expulsés en quelques semaines ; ils retrouvent un pays où tout est à reconstruire, mais qui a acquis une indépendance de fait sous la protection d'une communauté internationale qui s'engage à l'aider financièrement. La menace serbe semble bien écartée, alors que les rêves d'une Grande Serbie déçus en Croatie et en Bosnie ramènent les autorités de Belgrade à la réalité d'une « petite Yougoslavie » menacée d'éclatement, au Kosovo maintenant et peut-être demain au Monténégro. Une Serbie dont les bombardements ont réduit la capacité économique de 50 %, ramenant des années en arrière un pays qui ne peut espérer aucune aide économique tant que Milosevic, mis au ban de la communauté internationale, restera au pouvoir : mais le chef d'État criminel est peu inquiété par une opposition toujours divisée, dans un pays portant le deuil de 2 500 civils et d'autant de soldats tués dans les bombardements de l'OTAN, et qui en veut à l'Occident pour avoir donné le Kosovo aux Albanais sinon à l'Albanie, en violation de sa souveraineté.

Au-delà des chiffres, le bilan réel de cette guerre dépendra de la capacité des vainqueurs à gérer les précédents qu'ils ont créés en faisant inculper un chef d'État en fonctions et en remettant en cause le principe de la souveraineté des États au nom des droits de l'homme. L'OTAN est ainsi appelée à préserver le caractère pluriethnique du Kosovo, où un mur de haine sépare les Albanais et les Serbes, sans faire porter au peuple serbe le poids des erreurs de ses dirigeants. Et, à l'avenir, l'OTAN, véritable architecte désormais de la sécurité européenne, ne pourra se dérober si le devoir d'ingérence l'appelle ailleurs, au risque d'être accusée une fois encore d'obéir à la règle du « deux poids deux mesures ».

Gary Ulubeyan

L'heure de la reconstruction

Après les destructions de la guerre, évaluées à 40 milliards de dollars, l'heure est à la reconstruction au Kosovo comme dans tous les pays des Balkans dont les économies ont été durement affectées. Le 28 juillet à Bruxelles, la première conférence des donateurs jette les fondations de ce plan Marshall excluant la Serbie, qui trouve son pendant stratégique dans le Pacte de stabilité des Balkans, inauguré le lendemain à Sarajevo. Au Kosovo, c'est Bernard Kouchner, nommé le 2 juillet administrateur civil de l'ONU, qui est chargé de gérer la manne financière ; une mission délicate, tant les tensions sont vives entre communautés, mais aussi parmi les Albanais, entre l'UÇK et les partisans de Rugova, finalement réunis au sein d'un Conseil intérimaire. C'est à lui qu'il revient de réconcilier les habitants du Kosovo et d'assurer leur sécurité par la création d'une police et l'intégration de l'UÇK, officiellement désarmée le 20 septembre, bref de mettre en place les rouages de la démocratie et de donner tout son sens à cette guerre.