Dans l'œuvre de Hockney, la chaise permet de jouer avec un système de « perspective inverse » qui projette le point de fuite de la composition derrière le spectateur ; la construction en trompe-l'œil est un piège optique qui se referme sur le spectateur : « Ce qui m'importe par-dessus tout, c'est l'attitude par rapport à l'espace. Je m'intéresse beaucoup aux recherches que la science a faites dans ce domaine. La question, passionnante, est de savoir si l'espace est totalement séparé de nous-mêmes ou s'il est fabriqué par notre conscience. » (Hockney, janvier 1999.)

La photographie composite et le démantèlement de la perspective

C'est cette même volonté d'embrasser le champ visuel du spectateur qui anime les projets de grands panoramas. Pour l'exposition, Hockney a conçu deux immenses panoramas du Grand Canyon américain, le plus grand se déployant sur plus de vingt mètres carrés. On pourrait y retrouver cette conception sublime du paysage, associant l'esprit américain des vastes terres et la tradition romantique anglaise du territoire, si cette même tradition du sublime n'était ici détournée. C'est à un philosophe anglais du xviiie siècle, Edmond Burke, que l'on doit cette conception romantique de la beauté « grandiose » et « terrifiante » des grands espaces. Hockney ne l'a probablement pas oublié et tourne en dérision cette frayeur au moyen de couleurs joyeuses et familières qui estompent totalement l'effet d'étrangeté surnaturelle. C'est cependant l'effet de choc de l'image qui prime ici : nous sommes bien à l'ère des écrans géants. Les couleurs sont criardes pour obliger le spectateur au recul ; elles refusent d'être légères et atmosphériques pour mieux avancer vers lui.

Hockney augmente l'envergure de l'espace en multipliant les points de fuite. Ses divers Grand Canyon sont construits sur un espace « polyfocal » dont il emprunte les artifices aux recherches d'un autre de ses compatriotes, le peintre anglais Thomas Moran (1837-1926), mais aussi à ses propres expériences en matière de décor d'opéra-activité qui constitue peut-être la part la plus inventive de sa carrière.

C'est dans les travaux photographiques que cette réflexion sur le démantèlement de l'espace de la représentation est encore plus redevable aux leçons du cubisme. Hockney, qui aime à rappeler combien il reste un homme de l'image, utilise la photographie pour décomposer le paysage. Prenant à contre-pied les limites de son passage dans l'hyperréalisme, il adopte le Polaroid à partir de 1982. Avec ses clichés de petit format, il crée des mosaïques dans lesquelles il recompose, tout en les fragmentant, des intérieurs, des paysages, des natures mortes ou des portraits. Ces assemblages de Polaroids le conduisent rapidement vers des photocollages où l'amalgame de multiples points de vue sur un paysage de grand angle dresse une véritable leçon de perception. C'est là, avant de les appliquer à la peinture, qu'il pousse ses recherches sur l'éclatement des points de fuite optiques et la difficulté du spectateur à gérer la complexité de données visuelles simultanées. Les cubistes appelaient cela la « synthèse optique ». Hockney est-il en cela très novateur ? On en doute. L'application de ces principes de décomposition à la peinture monumentale reste cependant un bel exercice de virtuosité. Depuis deux ans, Hockney peint de très vastes paysages du Yorkshire et de l'Arizona selon les principes de la perspective brisée, inversée ou basculée. Après avoir réalisé sur le motif des dessins, des photos et divers relevés, suivis de pastels, de photocopies et d'agrandissements à diverses échelles, Hockney assemble ces éléments épars pour en faire de grands tableaux composites. Dans A Closer Grand Canyon, la réunion de quatre-vingt-seize petites toiles forme une composition de plus de vingt mètres carrés. Le gigantisme est appuyé par les couleurs, à la limite du kitsch dans sa facture. Pompiérisme ? Hockney ne joue pas seulement avec le genre, il joue aussi avec le style. Pour cela, il dialogue, on l'a vu, avec certains grands maîtres de la peinture moderne, avec Picasso notamment. La comparaison n'est pas forcément à l'avantage de l'artiste pop.

Pascal Rousseau,
critique d'art