Derrière ces tentatives on retrouve le modèle, Walter Scott, dont l'imitateur français essaie de retrouver le genre – le roman historique -, la manière et le succès financier. Il y a bien peu de Balzac dans tout cela, même si ce qui sera sa manière propre apparaît déjà, trop fugitivement : ainsi, les cinquante premières pages d'Annette et le Criminel valent plus que toute l'histoire d'Argow le Pirate, avec le portrait de M. Gérard, bureaucrate parvenu à l'heure de la retraite et ayant bien du mal, dans son appartement de la vieille rue du Temple, à oublier sa fonction de sous-chef.

En août 1828, au moment même où il liquide son imprimerie sise sur l'emplacement de l'actuel marché Saint-Germain, Balzac envisage de signer d'un énième pseudonyme, Victor Morillon, un roman qui s'intitulerait le Gars. Il paraîtra en mars 1829 sous le titre le Dernier Chouan ou la Bretagne en 1830, et il sera signé « Honore Balzac ». En 1834, il deviendra les Chouans ou la Bretagne en 1799, et l'auteur s'appellera Honoré de Balzac. Toutes ces variations sont significatives, jusqu'au déplacement de date vers l'année de la première naissance.

L'auteur n'a pas renoncé à la manière de Walter Scott (le titre est sur le patron de Waverley ou Il y a cinquante ans), et les vendéens dissidents, « des sauvages qui servaient Dieu et le Roi, à la manière dont les Mohicans font la guerre », ont quelque chose des Indiens de Fenimore Cooper. Mais Balzac a largement dépassé ces deux formules à succès dans une œuvre âpre et forte où des personnages emblématiques sont fortement différenciés (Hulot, qui commande les Bleus, représente la République ; le Gars, c'est-à-dire le marquis de Montauran, défend la noblesse), où Marie de Verneuil échappe aux conventions de la représentation traditionnelle de la femme et de l'espionne, et où tout est dominé par des forces supérieures, qu'elles soient politiques (les manœuvres de Fouché) ou mystérieuses (le génie de la Bretagne, incarné par Marche à Terre). On est parfois aux limites de la fantasmagorie.

Le tournant de 1830

1830 marque un tournant dans la vie et dans la carrière de Balzac. C'est pour lui une année d'intense activité journalistique. Proliférante, déjà, multiple, la presse d'alors, sans atteindre un public aussi vaste qu'aujourd'hui, avait une diffusion plus large que le livre. Elle se proposait, comme les écrivains populaires, de pénétrer jusque dans les chaumières. Balzac, avant d'être lui-même, avait souhaité être, sous des noms divers, un écrivain populaire. Journaliste, il l'avait déjà été, depuis 1824, et, comme l'a écrit Pierre Barbéris, « on ne parvient à la Comédie humaine que par cette infra littérature du journal, de la revue, voix du siècle même ». Mais jamais il n'a été, jamais il ne sera autant journaliste qu'à ce moment-là. Il ne vit plus de l'imprimerie, il ne vit pas encore de ses romans, et le voilà donc pour un an presque exclusivement journaliste.

Le règne de Charles X touche à sa fin. En août 1829, le renvoi de Martignac et le choix comme Premier ministre du prince de Polignac, un ultra intransigeant, n'ont fait que précipiter l'évolution du gouvernement vers une politique impopulaire. À l'ouverture de la session de 1830, la Chambre des députés vote l'adresse des 221 contre le ministère. Le roi dissout la chambre, mais les 221 reviennent 270. Il riposte par les ordonnances du 25 juillet, qui déclenchent l'insurrection dans Paris et l'abdication de Charles X. Les journalistes ont joué un rôle déterminant dans les Trois Glorieuses (27, 28, 29 juillet). Réunis par Adolphe Thiers au National, ils ont dès le 26 protesté contre l'illégalité des ordonnances qui visaient la liberté de la presse et le régime électoral. Du coup, ils se sont déclarés « dispensés d'obéir ». Et c'est encore Thiers qui, dans la nuit du 29, a fait afficher un placard préconisant l'appel à Louis-Philippe d'Orléans.

Balzac, quoique journaliste, n'a jamais voulu faire partie des factieux. Juillet 1830 apparaît comme une parenthèse dans laquelle il n'entre pas. Du 27 mai au 10 septembre, il séjourne en Touraine à la Grenadière avec son égérie, Mme de Berny. Quand elle rentre à Paris, le 21 juillet, il ne la suit pas. Le 25, il se rend à pied au château de Saché (devenu aujourd'hui un haut lieu balzacien), et il s'y replie pendant les trois journées révolutionnaires. En septembre, il écrit dans la première de ses Lettres de Paris qu'il se considère « comme un homme très courageux » d'avouer qu'il voyageait sur les bords de l'Indre « pendant [les] glorieuses journées ». Il n'a été de cœur ni avec les émeutiers ni avec le roi déchu, allant jusqu'à écrire : « Oh ! quand on voit ces beaux cieux, par une belle nuit, on est prêt à se déboutonner pour pisser sur la tête de toutes les royautés. » Il affecte alors méfiance et indifférence à l'égard de la politique.