Journal de l'année Édition 1999 1999Éd. 1999

Nigeria : Perestroïka sous les Tropiques ?

Après cinq ans d'une implacable dictature militaire, le Nigeria a renoué avec l'espoir. La disparition de Sani Abacha, l'un de ses dirigeants les plus brutaux depuis l'indépendance, et son remplacement par le général Abdulsalam Abubakar ont ouvert la voie à un retour du pouvoir aux civils. En libérant les prisonniers politiques et en promettant des élections libres et démocratiques, le nouveau chef de l'État a offert le gage de sa bonne volonté. Le géant de l'Afrique subsaharienne tient là une chance de jouer un rôle à sa mesure dans cette partie du continent.

En quelques mois à peine, le Nigeria a connu un bouleversement complet de son paysage politique. La disparition brutale du général Sani Abacha, mort d'un arrêt cardiaque le 8 juin, alors qu'il s'apprêtait à se succéder à lui-même au cours d'une parodie de processus, démocratique, a mis fin à cinq années de dictature. Arrivé à la tête du pays par un putsch, le 17 novembre 1993, cet homme de fer, prototype de l'oligarchie militaire du Nord, avait considérablement durci le régime. L'une de ses premières décisions fut d'emprisonner Moshood Abiola, vainqueur présumé de l'élection présidentielle du 12 juin 1993. Son passage au pouvoir a été émaillé de multiples autres atteintes aux droits de l'homme, dont la plus choquante fut l'exécution de l'écrivain Ken Saro Wiwa et de huit autres militants de la cause de la minorité ogoni, fin 1995. La corruption catastrophique, qu'illustre parfaitement la pénurie d'essence frappant depuis plusieurs mois ce pays producteur de pétrole, avait achevé de ternir l'image d'un État fortement isolé sur le plan international. Sani Abacha avait pourtant finalement promis de rendre le pouvoir aux civils, sauf que le civil en question n'était autre que lui-même, l'uniforme en moins. De fait, les cinq partis politiques qu'il avait préalablement autorisés l'avaient tous choisi comme candidat. Bref, l'inflexible général était devenu le maître absolu du pays le plus peuplé d'Afrique.

Les premières mesures d'apaisement

Sa disparition a été accueillie avec soulagement, mais aussi avec une inquiétude évidente sur l'avenir d'un géant de plus de 100 millions d'habitants, premier producteur de pétrole d'Afrique subsaharienne et doté, de surcroît, d'une armée parmi les plus puissantes du continent noir. Avec la désignation immédiate de son successeur, le général Abdulsalam Abubakar, les Nigérians, pourtant habitués aux révolutions de palais, n'étaient pas au bout de leurs surprises. Après avoir annoncé la poursuite de la transition vers un régime civil, le nouvel homme fort du Nigeria a pris le contre-pied de son prédécesseur.

Une semaine, jour pour jour, après son arrivée aux affaires, neuf prisonniers politiques – dont des personnalités de premier plan comme l'ancien président Olosegun Obasanjo, l'avocat Beko Ransome Kuti ou la journaliste Christina Anyanwu – étaient libérés. Dans les jours suivants, Abdulsalam Abubakar a laissé entendre que le plus célèbre d'entre eux, Moshood Abiola, pourrait lui aussi être élargi. Mais, deuxième coup de théâtre en cette année mouvementée, l'opposant a succombé à une crise cardiaque, le 7 juillet, au cours d'une réunion avec des responsables nigérians et américains. L'annonce de sa mort a provoqué de violentes manifestations à Lagos, la capitale économique, et dans d'autres villes du Sud-Ouest, sa région d'origine, alors que ses supporters criaient à l'empoisonnement. Hypothèse d'autant plus crédible à leurs yeux que la majorité des caciques de l'armée lui était profondément hostile. Concluant à une mort naturelle, l'autopsie menée par une équipe indépendante constituée de médecins étrangers, faute de convaincre tout le monde, a quand même permis un retour progressif au calme.

La transition vers un régime civil

Le chef de l'État a rapidement repris l'initiative, le 20 juillet suivant, en annonçant son programme de transition. Contrairement au vœu de l'opposition, le général Abubakar a refusé la solution d'une conférence nationale ou d'un gouvernement d'union. En revanche, il a proposé une courte transition devant s'achever le 29 mai 1999, avec la prestation de serment d'un président démocratiquement élu, au début de la même année, dans un contexte de multipartisme. Malgré la méfiance de la frange la plus radicale de l'opposition, dans un pays habitué aux promesses non tenues des militaires, Abdulsalam Abubakar a tenu ses premiers engagements. Au mois de septembre, la plupart des prisonniers politiques ont été libérés, dont vingt militants de la cause ogonie, accusés de meurtres et emprisonnés sans jugement depuis 1994.