L'imbroglio des régionales

Si, avec 851 listes, dont 797 dans l'Hexagone, l'offre électorale pour les élections régionales du 15 mars 1998 est stable par rapport à celles de 1992, la situation politique est radicalement différente. À l'inverse de la précédente consultation, qui intervenait dans un climat de rejet de la gauche au pouvoir – rejet qui avait profité aux écologistes et au Front national et permis ainsi au RPR et à l'UDF de conserver 20 des 22 Régions métropolitaines –, cette fois, c'est à la droite républicaine de connaître ce désamour.

Encore sous le choc de sa très nette défaite aux élections législatives anticipées de juin 1997, divisée par des querelles personnelles et face à une gauche offensive bénéficiant toujours d'une popularité d'« état de grâce », la majorité régionale avait tout à redouter de cette échéance. D'abord, parce que le redressement électoral des socialistes était prévisible après leur score catastrophique de 1992, ensuite, parce que ces derniers s'étaient alliés avec les Verts, enfin parce que ces élections intermédiaires se déroulaient trop peu de temps après l'arrivée de la gauche au pouvoir pur qu'on la juge sur son Bilan alors que les électeurs avaient toujours en tête celui du gouvernement Juppé, qu'ils estimaient « négatif ».

Mais ces élections d'enjeu local, aux résultats plus ou moins attendus, auront des conséquences nationales sans précédent. Le scrutin à la proportionnelle ne permettant pas de dégager des majorités stables, lors de l'élection des présidents des exécutifs régionaux, une partie de la droite, en dépit des consignes formelles de ses états-majors, va passer des accords avec le Front national pour conserver ou conquérir certaines régions. Le séisme est assuré pour une droite en mal d identité et de projets.

Des majorités introuvables

Même si l'union RPR-UDF constitue la règle, en dépit de quelques listes dissidentes, la campagne sera dominée par une gauche offensive, galvanisée par sa victoire inattendue de juin 1997 et les premiers résultats d'un gouvernement qui s'appuie sur la reprise économique. La majorité monopolisera les thèmes du changement, au détriment d'une opposition, peu confiante dans ses structures et dans sa stratégie, qui privilégiera la défense de son bilan régional. Les déclarations de certains leaders locaux du RPR et de l'UDF (Philippe Vasseur dans le Nord ou Jean-François Mancel dans l'Oise), n'excluant pas des alliances avec le FN, jetteront le trouble dans l'électorat. Au soir du 15 mars, avec 58 % de votants, la participation est en recul de 10,7 points sur celle de mars 1992. Une abstention qui s'explique en partie par le fait que ce scrutin intervient à peine dix mois après les élections législatives. À l'issue du vote, seules trois Régions ont des majorités absolues : le Limousin pour la gauche, la Basse-Normandie et les Pays de la Loire pour la droite. Dans dix autres (Aquitaine, Bourgogne, Centre, Île-de-France, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Haute-Normandie, Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Provence-Alpes-Côte d'Azur), la gauche obtient une majorité relative face à l'union RPR-UDF et au FN ; dans six autres (Alsace, Auvergne, Bretagne, Champagne-Ardenne, Lorraine et Poitou-Charentes), l'union UDF-RPR détient la majorité relative ; enfin, dans deux autres (Franche-Comté et Rhône-Alpes), gauche et droite républicaine sont à égalité. Quant aux élections des présidents de Région, elles vont donner lieu à un véritable séisme politique.

Les élections des présidents

Une partie de la droite républicaine va se fracasser sur l'écueil du Front national. Arbitre du scrutin dans la majorité des Régions de la métropole, le parti de Jean-Marie Le Pen va faire exploser une partie du RPR et de l'UDF et consommer le divorce entre les états-majors parisiens et les leaders locaux de la droite.

Si, dans les trois Régions (Limousin, Aquitaine et Nord-Pas-de-Calais) où la gauche a plus de sièges que le total RPR-UDF et FN, et, dans les huit Régions où la droite républicaine obtient la majorité absolue ou relative, il n'y a pas de problèmes pour élire l'exécutif régional, il n'en va pas de même pour les autres Régions. Le 20 mars, jour du scrutin, un « vendredi noir » pour la droite modérée, six présidents de conseil régional UDF se font élire ou réélire grâce aux voix du Front national, en Bourgogne, Centre, Languedoc-Roussillon, Rhône-Alpes, Picardie et Franche-Comté ; si, dans cette dernière Région, le nouvel élu démissionne aussitôt, son exemple n'est pas suivi par les autres et notamment par Charles Millon, l'ancien ministre de la Défense du gouvernement Juppé. Face à cette fronde d'une partie des ténors locaux de l'opposition, le scrutin pour les autres exécutifs sera repoussé de plusieurs jours, afin de faire entendre raison à ceux qui ont ou seraient tentés de pactiser avec le FN. Le 22 mars, lors du second tour des cantonales, l'électorat de droite sanctionnera par son vote ceux qui semblent incapables de résister à la courte échelle du parti lepéniste. Le lendemain, pour renforcer les rappels à l'ordre des états-majors parisiens, le chef de l'État sortira de sa réserve pour exprimer fermement son hostilité à toute alliance avec le FN, un « parti de nature raciste et xénophobe ». Une intervention décisive qui permettra à la droite, après plusieurs jours de totale confusion et parfois d'obstruction, de se ressaisir partiellement en rejetant cette main tendue de l'extrême droite. Des Régions phares, symboliques, reviendront ainsi à la gauche : l'Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Midi-Pyrénées. Au total, les socialistes présideront 8 Régions, le RPR 3 et l'UDF 7.

Le piège du Front national

Mais le compte n'est pas bon dans 4 Régions, toutes présidées par un UDF ou apparenté : le nouvel exécutif n'a pu être élu qu'avec l'appoint des voix du FN. Il s'agit de la Picardie, avec Charles Baur, de la Bourgogne, avec Jean-Pierre Soisson, du Languedoc-Roussillon, avec Jacques Blanc, et de Rhône-Alpes, avec Charles Millon.