Voyant son avenir bouché, Rose tente de se suicider. Jack la voit et la sauve. Pour le récompenser, Cal – qui pense que sa fiancée a simplement fait un faux pas – invite Jack à un repas dans le salon des premières classes. À l'exception d'une riche parvenue, Molly Brown, qu'on tolère à cause de sa fortune, tous se montrent assez méprisants envers l'intrus. Bien que plus naturelle, Rose est d'abord réservée. Après un rendez-vous difficilement arraché, la jeune fille se rend avec Jack dans les troisièmes classes, où la vie est exubérante et dionysiaque : elle danse sans retenue comme elle ne l'avait jamais fait auparavant. Intriguée par le dossier de croquis de femmes nues que Jack lui montre, Rose décide de poser pour lui. Quoique chaste, cette séquence sera d'une rare sensualité : Rose se pare du diamant que Cal lui a offert, se dévêt et pose longuement. Se doutant de quelque chose, le fiancé cache le diamant et fait arrêter Jack pour vol. C'est à ce moment – le film est presque à mi-parcours – que le navire heurte l'iceberg. Tragédies humaine, technologique et naturelle se mêlent alors dans une espèce d'apocalypse wagnérienne. Cameron fait constamment l'aller retour entre le sort des divers passagers et celui du couple, mélangeant faits documentaires et rebondissements romanesques. Rose refusera de suivre les femmes de sa classe et restera avec Jack jusqu'au naufrage. Cependant, elle seule survivra, car la planche qui leur sert de bouée est trop étroite pour contenir les deux corps – Jack nagera à côté dans l'eau glacée. La réussite de Titanic (couvert à juste titre de nombreux oscars) tient au fait que Cameron a su réinventer les codes du film romanesque à costumes. La précision documentaire avec laquelle il a tout reconstitué – proche méthodologiquement de ce que Roberto Rossellini avait tenté il y a plus de trente ans avec la Prise du pouvoir par Louis XIV – donne une forte assise matérielle à la fiction, qui rompt avec tous les produits contemporains du genre basés sur des clichés absolument exsangues. Le film de reconstitution historique avait connu un certain âge d'or entre les années 30 et 60 grâce à la mise sur pied de codes stylistiques et expressifs fondés sur une conception romanesque de l'histoire puisée dans la littérature du xixe siècle qui reformatait les principaux événements et personnages du passé aux normes de la société bourgeoise en pleine expansion. Cette méthode, devenue obsolète avec l'apparition des nouvelles vagues et la crise du cinéma de genre, est réinventée par Cameron qui a su mélanger reconstitution réaliste et pratique dynamique de construction cinématographique issue du plus vivant des genres actuels : la science-fiction. Car dire en 1912 que le Titanic allait couler ne relevait-il pas de la science-fiction ?

Raphaël Bassan