Du 7 au 25 septembre 1995, Cameron et son équipe réussiront douze doubles plongées et ramèneront un matériel visuel dont certains plans se retrouvent dans le film – les autres serviront à ébaucher les maquettes du navire, dont la principale aura presque la même taille que le Titanic lui-même. Ce type de studio gigantesque ne s'était pas vu à Hollywood depuis les années 30, époque où officiait Cecil B. De Mille.

Pour transmettre une vision polysémique de la tragédie qui frappa dans la nuit du 14 au 15 avril 1912, entre 23 h 40 et 2 h 30, la merveille de la technologie anglaise, un colosse maritime réputé insubmersible, James Cameron table, d'une part, sur l'exactitude hyperréaliste du rendu des architectures, des costumes, des mœurs de l'époque, et, d'autre part, sur une trame romanesque : l'amour de la passagère de première classe Rose (Kate Winslet) pour un occupant de troisième classe, Jack (Leonardo DiCaprio, que le film a rendu mondialement célèbre), seule manière pour lui de toucher émotionnellement le spectateur. Pour obtenir ces résultats, la technologie la plus poussée est mise à contribution : utilisation d'images de synthèse pour mixer décors et personnages et fondre sur une même échelle de grandeurs les différentes maquettes, mélanges sonores de chutes d'eau et d'explosions pour donner l'illusion des trombes fracassantes qui envahissent le navire... Pour faire plus vrai, Cameron fait également appel à des artisans : les brodeurs de tapis, par exemple, viennent de la même fabrique que ceux qui firent l'original. L'auteur démiurge voulait que tout soit conforme à la réalité : il demandait à ses conseillers historiques si tel bijou ou tel vêtement étaient portés en 1912. Même chose pour le comportement, les mœurs des passagers, la répartition des classes sociales à l'époque.

Contrairement aux autres films de l'auteur, la technologie n'apparaît pas en tant que telle dans la fiction romanesque. On ne l'aperçoit qu'au début, lors des séquences contemporaines, et à de rares reprises lorsque la vieille Rose – une survivante fictive qui permet de relier la tragédie du Titanic au présent – interrompt son récit. Les séquences d'ouverture où l'on voit l'aventurier Brock Lovett (métaphore de Cameron lui-même ?) à la tête d'une expédition venue explorer l'épave du vaisseau sont visuellement les plus pauvres, filmées comme un simple reportage. Les yeux de Lovett s'arrêtent sur le croquis d'une jeune fille nue portant à son cou un fabuleux diamant qui excite la convoitise de l'aventurier. Il alerte les médias. Une centenaire arrive et dit être la femme du portrait. Son récit sera l'aventure du Titanic.

Une synthèse réussie

« L'aube des temps. Les films de Cameron rêvent de la contempler, la projetant dans le futur ou au fond des mers. Prologue et épilogue de Titanic rattachent l'histoire centrale au présent. L'esthétique du film de science-fiction, celle d'Abyss déborde sur celle du film romantique. Et la transforme de l'intérieur car le récit central sera filmé avec une caméra dynamique, des effets visuels importés de la fiction technologique et fondus avec fluidité dans le récit romanesque. La fresque en costumes s'assemble avec l'image de science-fiction, l'écran d'ordinateur : Cameron tente une synthèse. Il travaille dans la convention du genre, une lisibilité immédiate qui donne au film sa force, et il ambitionne le nouveau dans l'ancien, l'ancien dans le nouveau. Le mariage des esthétiques, dans l'image comme dans la musique, avec son orchestre symphonique et ses synthétiseurs, fait de Titanic à la fois un film du xixe siècle, un film de l'âge d'or hollywoodien et un film technologique contemporain, voire futuriste. » Pierre Berthomieu (Positif no 443, janvier 1998)

Le romanesque comme boussole

En 1912, Rose Dewitt Bukater a dix-sept ans, elle rentre aux États-Unis pour y épouser, sur les injonctions de sa mère qui se trouve à court d'argent, le milliardaire Cal Hockley, également du voyage. Dans un bouge, le jeune peintre Jack Dawson gagne aux cartes son billet de retour. Rien, a priori, à cette époque où une cloison étanche sépare les classes, ne disposait ces deux passagers à se rencontrer. Cameron l'a voulu afin d'établir un parallèle avec une humanité en crise, assoiffée d'un côté de progrès technologique et férocement attachée par ailleurs aux anciennes valeurs ségrégationnistes. La tragédie va amplifier le malaise. Les canots de sauvetage, en nombre nettement insuffisant – la croyance en l'infaillibilité du géant a fait négliger cet aspect des choses – seront destinés en priorité aux femmes et aux enfants des premières classes, cependant que les passagers des troisièmes classes seront tout bonnement empêchés d'accéder au pont, les issues étant barricadées. « Une étude a révélé ces détails saisissants, précise James Cameron : un homme voyageant en troisième classe sur le Titanic avait une chance sur dix de survivre au naufrage ; un passager de première classe, une chance sur deux ; une voyageuse de première classe, virtuellement 100 % de chances de se tirer d'affaire, et une femme de troisième classe, environ 25 %. En bref, votre salut dépendait de deux paramètres : le sexe et l'origine sociale. C'est la première fois que la classe sociale était aussi clairement un facteur de survie. »