Mais il faut aussi pour ce malade apprendre à gérer l'espoir nouvellement redonné. L'avancée thérapeutique bouleverse l'existence de beaucoup de patients : il s'agit moins désormais de se préparer à l'idée de mourir du virus que de se faire à celle de vivre avec. De composer avec. De supporter l'injustice biologique qui fait que certains, parmi des enfants, des amis, des proches atteints eux aussi par la maladie, ne réagissent pas suffisamment aux traitements actuels (ils sont entre 10 et 30 %) : ceux chez lesquels les résultats sont évidents supportent souvent mal une amélioration vécue comme quasi miraculeuse par rapport à ceux qui se voient précipités vers la mort. Beaucoup de malades, affaiblis et déprimés, ont progressivement abandonné toute activité salariée, vivant de l'allocation pour adulte handicapé. Nombre d'entre eux, recouvrant de façon inespérée des forces et une espérance nouvelle, aimeraient retrouver un travail : mais comment réintégrer des personnes qui ont longtemps perdu contact avec l'entreprise ? Comment justifier auprès d'un employeur un vide de quatre, cinq ou six ans dans un curriculum vitae ? L'association Act Up va jusqu'à craindre qu'un sida considéré comme maladie chronique n'ait plus le même impact médiatique et ne parvienne plus à mobiliser les volontés politiques, les responsables de la santé publique ou l'industrie pharmaceutique.

Pire : le sentiment que le danger est écarté incline certaines personnes, des homosexuels essentiellement, à ne plus prendre les précautions élémentaires. Alors même que les mesures prophylactiques ne s'étaient mises en place que trop lentement dans la communauté gay française, face au lobby que représentait au début des années 80 l'ensemble des activités centrées sur l'homosexualité (discothèques, saunas, bars et restaurants, médias, etc.), beaucoup ne songent déjà plus à utiliser systématiquement un préservatif. Le safe sex (sexe « sans risque », un concept popularisé aux États-Unis il y a déjà quinze ans qui invite à une pratique préférant la masturbation à la pénétration) n'est plus privilégié de façon aussi rigoureuse dans tous les établissements fréquentés par la communauté homosexuelle.

Denis Richard, pharmacien des hôpitaux, Université, centre hospitalier Henri-Laborit, Poitiers.