Journal de l'année Édition 1998 1998Éd. 1998

La loi Debré sur l'immigration

Utilisant le prétexte de l'affaire des « sans-papiers » de l'église Saint-Bernard au cours de l'été 1996, le ministre de l'Intérieur Jean-Louis Debré a su imposer une nouvelle loi sur l'immigration, plus répressive encore que celle présentée par son prédécesseur, Charles Pasqua.
L'arrivée inattendue de la gauche au pouvoir en juin 1997 remet tout en question.

Moins de quatre ans après la loi Pasqua, voilà la loi Debré « portant diverses dispositions relatives à l'immigration ». En quinze ans, c'est la dixième modification de l'ordonnance de 1945 sur les étrangers ! Objectif avoué du ministre de l'Intérieur : parvenir à l'immigration irrégulière zéro afin de « réussir l'intégration que l'on ne peut mener à bien à frontières ouvertes ». La philosophie gouvernementale en la matière est ainsi exposée : « fermeté » à l'encontre de l'immigration clandestine ; « humanisme » à l'égard de certains sans-papiers. En réalité, à dix-huit mois des législatives que personne, à l'époque, ne soupçonne anticipées, l'objectif est de contrer le Front national sur l'un de ses terrains de prédilection en montrant la détermination en la matière d'un gouvernement déjà mal en point dans les sondages.

L'examen de ce texte au Parlement sera révélateur de l'état d'esprit de la classe politique. D'un côté, une majorité inquiète sur son avenir et qui n'hésitera pas à durcir le texte initial pour tenter de séduire les voix lepénistes ; de l'autre, une gauche, socialiste notamment, étrangement gênée aux entournures. Ainsi, c'est dans un hémicycle quasi déserté par les députés socialistes que l'Assemblée nationale adoptera, en première lecture, et en dépit des efforts méritoires du RPR Pierre Mazeaud, président de la commission des Lois, pour contrer la surenchère sécuritaire, un texte allant au-delà de ce que souhaitait le gouvernement d'Alain Juppé.

Des dispositions contestées

Les principales dispositions de la loi touchent à cinq domaines.

Le certificat d'hébergement : Délivré par les préfets, il est indispensable pour obtenir un visa de visiteur et doit être remis aux autorités de police lors de la sortie du territoire.

Les contrôles de police : Les policiers sont autorisés à effectuer une « visite sommaire » des véhicules non particuliers dans une bande de 20 Km autour des frontières de Schengen.

Le passeport : Il peut être retiré à un étranger en situation irrégulière.

Les empreintes : La loi en autorise le relevé et la mémorisation des étrangers non européens sollicitant un titre de séjour.

Le retrait du titre de séjour : La carte de séjour provisoire d'un an comme celle de résident de dix ans peuvent être retirées par l'autorité administrative à toute personne employant un étranger sans titre de séjour.

La réaction de la rue

Le « sursaut citoyen » viendra de 59 cinéastes. Leur appel à la « désobéissance civique » contre cette loi « liberticide » qu'ils n'hésitent pas à comparer aux lois antijuives de Vichy (notamment à propos de la constitution d'un fichier de demandeurs d'asile et des certificats d'hébergement) sera à l'origine d'une mobilisation sans précédent. Des dizaines de milliers de Français, lycéens, intellectuels, médecins... signeront des pétitions pour réclamer le retrait de ce texte et, le 22 février, ils seront plus de 100 000 à manifester dans les rues de Paris. La gauche tentera de raccrocher les wagons, de réparer ce « loupé » d'abord lors de l'examen du texte par le Sénat en faisant monter au créneau l'une de ses figures emblématiques, l'ancien garde des Sceaux, Robert Badinter ; ensuite, en saisissant le Conseil constitutionnel après l'adoption de la loi par le Parlement, le 26 mars.

Le 23 avril, les neuf « sages » censureront deux dispositions de la loi en rejetant les mesures d'accès des policiers au fichier d'empreintes des demandeurs d'asile et en s'opposant au non-renouvellement de la carte de résident de dix ans en cas de « menace pour l'ordre public ». Jean-Louis Debré saluera dans cette décision un « succès pour le gouvernement », alors que la gauche estimera le texte toujours « contraire aux principes de la République ».