Les rechercher à gauche sur la base de la défense de la laïcité et des libertés syndicales paraît conforme à la tradition. C'est en tout cas la position de Jean Poperen, qui propose de rassembler sur ces valeurs communes toutes les forces issues de la défunte union de la gauche en y englobant des courants nouveaux contestataires de l'ordre établi, tels les écologistes. Mais est-ce réaliste ? Le Parti communiste trop émietté en de multiples composantes dont le reclassement n'est pas encore achevé, les Écologistes sonnés par la défaite électorale de mars et de plus en plus divisés à l'intérieur même de leurs deux composantes, Verts et Génération Écologie, peuvent-ils apporter au Parti socialiste un apport de voix suffisant pour reconstituer une majorité parlementaire ? Ne conviendrait-il pas, au contraire, de les chercher aux confins de la droite par un débauchage, toujours évoqué mais jamais réalisé, de centristes de « bonne volonté », allergiques à une droite trop dominée par le RPR ?

Le marasme

De telles interrogations empêchaient le PS de s'affirmer nettement comme une force d'opposition, d'autant plus que l'attitude cohabitationniste de François Mitterrand ne lui permettait pas de critiquer avec toute la vigueur souhaitée la politique du gouvernement en place et qu'accepte, tacitement ou non, le chef de l'État : remise en cause de facto de la retraite à 60 ans, limitation du droit d'asile, etc. L'échec électoral du rocardien Claude Évin lors de la législative partielle de Saint-Nazaire en septembre sanctionnait les difficultés du PS à proposer une réelle politique alternative à celle de la majorité.

Le sursaut

Pour tenter d'inverser le courant, Pierre Mauroy invitait alors les dirigeants socialistes à soutenir l'action de Michel Rocard et demandait à celui-ci de renoncer à toute rupture avec le « mitterrandisme » pour inscrire son action dans la continuité. C'était répondre en fait à l'attente unitaire des militants qui plébiscitent la motion A présentée conjointement par Michel Rocard, Lionel Jospin et Laurent Fabius, lors des congrès fédéraux réunis les 17 et 18 octobre en vue du congrès « constituant » du Bourget des 22, 23 et 24 octobre. Fort de 82,27 % des suffrages exprimés (contre 11,14 % à la motion Poperen et 5,6 % à la motion Mermaz), l'homme du big-bang était assuré d'être élu premier secrétaire du PS à l'issue des débats. 11 l'était effectivement avec 80,9 % des voix, à l'issue d'un scrutin qui, pour la première fois, se déroulait à bulletins secrets. En annonçant aussitôt sa décision de conduire la liste socialiste aux élections européennes de 1994 et d'y faire alterner un homme et une femme, Michel Rocard marquait sa volonté d'assurer la relance d'un parti qu'il souhaitait, par ailleurs, prémunir des dangers de l'affairisme par la constitution d'un comité d'éthique. Un parti qu'il voulait également porteur d'espoir par l'élaboration annoncée d'une « charte de l'égalité continue des chances ». Et donc porteur de succès électoraux à venir.

Mais ceux-ci ne seront-ils pas difficiles à obtenir, alors que François Mitterrand, dans son « amical message » au congrès du Bourget (le premier depuis l'arrivée de Michel Rocard à la tête du Parti), enfermait l'action des socialistes dans « le choix qui fut et demeure le nôtre depuis Epinay-sur-Seine » (le congrès constitutif du nouveau PS de François Mitterrand en 1971). Le parti de Michel Rocard n'est-il pas ainsi contraint à rechercher uniquement dans une gauche en miettes les alliances sans lesquelles il lui serait impossible de reprendre le pouvoir ? Les échéances à venir s'annoncent d'autant plus délicates que les congressistes du Bourget n'ont pas encore réussi à s'entendre sur les mesures propres à réduire le chômage, les partisans de la réduction de la semaine à 35 heures de travail sans diminution des salaires (Henri Emmanuelli) s'opposant à ceux qui proposent une semaine de quatre jours et 32 heures de travail accompagnée d'une baisse des revenus, au moins pour les plus gros salaires (Michel Rocard). Dans le même temps, 71 % des Français estimaient que le PS n'a pas de « politique de rechange », puisque majorité et opposition connaissent pratiquement les mêmes clivages sur le problème crucial de l'emploi.

Jean-Claude Milner, l'Archéologie d'un échec, Le Seuil, 1993.

Pierre Thibault