Alain Dubresson

Amérique du nord

1991 ne restera sans doute pas comme une grande année d'enthousiasme collectif pour le Canada. Avec une économie morose, un gouvernement en sérieuse baisse de popularité, le pays tout entier continue de se poser la lancinante question de son identité.

La famille canadienne

En juin 1990, lorsqu'avait été consommé l'échec de l'accord du lac Meech, passé entre les autorités fédérales et les autorités québécoises, le Premier ministre canadien, M. Brian Mulroney, avait créé une commission chargée de sonder la population sur sa vision de l'avenir de la nation. Un an plus tard, son président, M. Keith Spicer, a donné un avis mitigé. Il estime qu'il faut bel et bien « réinventer le Canada » et que cela passe par une réévaluation du statut du Québec.

Ces propos ont pu sembler optimistes : en effet, quelques semaines auparavant, la Commission avait fait savoir que « les anglophones préféreraient se séparer du Québec plutôt que de lui accorder un statut spécial ». La politique du bilinguisme leur semblerait « coûteuse et inutile » ; ils rejetteraient même la notion de « deux peuples fondateurs » – les anglophones et les francophones –, puisqu'elle nierait l'existence antérieure des Amérindiens, qui représentent 700 000 personnes sur un total de 26 millions.

Les autorités et la population québécoises pensent exactement le contraire. Pour reprendre l'initiative, le Premier ministre de la Belle Province a annoncé en mai l'organisation d'un référendum sur la souveraineté politique du Québec d'ici au 26 octobre 1992. Cette annonce a pour objet de placer le gouvernement fédéral face à un choix inévitable : soit la souveraineté du Québec, soit son maintien dans l'ensemble fédéral, mais à la condition que celui-ci soit profondément renouvelé et décentralisé.

M. Mulroney a donc reconnu en septembre le « caractère distinct » du Québec, qu'il entend cependant « ramener dans la famille canadienne ». Mais le Premier ministre a d'autres soucis : en tout premier lieu, une récession économique jugée la plus grave depuis la crise de 1929. Pour ne rien arranger, les organisations internationales ont critiqué la politique monétaire du gouvernement, jugée trop restrictive et responsable de la montée du chômage.

La langueur américaine

Pour George Bush, l'année 1991 ressemble à un toboggan. Elle a commencé par un triomphe extérieur et une popularité au zénith ; elle se termine dans le doute et sur un sérieux repli autour des problèmes internes du pays.

Après les succès dans le Golfe, le président pouvait déclarer « Nous nous sommes débarrassés du syndrome vietnamien une fois pour toutes », et engranger à son propre crédit cette victoire collective sur les années noires. Les incessantes tournées de James Baker au Proche-Orient et la décision des États-Unis de procéder à un désarmement nucléaire unilatéral confirmaient la grande capacité diplomatique de l'administration républicaine. Vu de l'étranger, George Bush commençait à prendre ses galons de grand président.

Mais, à l'intérieur, les choses se gâtaient. Les difficultés économiques et sociales, jusque-là largement occultées, refaisaient surface. Avec ce « retour du refoulé », les premières critiques sérieuses se faisaient entendre à rencontre de ce président toujours en voyage. « Come home, George » est un slogan démocrate qui fait mouche.

De fait, l'économie américaine connaît une langueur durable ; on enregistre même un recul de 0,5 % de l'activité au deuxième trimestre. Les pays européens, qui escomptaient une reprise sérieuse des affaires aux États-Unis, sont préoccupés, mais l'opinion américaine aussi, qui compare ce bilan de l'administration Bush avec celui de l'ère Reagan, quand l'expansion dépassait régulièrement les 5 % annuels.

Le chômage et la pauvreté sont les conséquences directes de la stagnation économique. L'un et l'autre progressent, et l'on ne compte pas moins de 33 millions de pauvres aux États-Unis, soit 13,5 % de la population. On a certes connu des chiffres équivalents quelques années auparavant, mais, aujourd'hui, ce sont les classes moyennes qui sont touchées. Trop aisées pour bénéficier des aides sociales, elles subissent de plein fouet le renchérissement des coûts, et notamment des coûts médicaux.