Le bilan de l'année n'est donc guère encourageant ; il témoigne de l'autorité très affaiblie de Gorbatchev sur les pouvoirs républicains et de son isolement. La démission spectaculaire d'Edouard Chevardnadze en décembre est un épisode de l'affrontement entre la volonté centralisatrice de Gorbatchev et les refus d'autorité des Républiques. Ce confit, qui ne date pas de 1990, contribue fortement à la désorganisation de l'économie soviétique. En dépit d'une excellente récolte, l'URSS connaît des zones de pénurie, dans les grandes villes notamment. Les raisons en sont claires : paralysie de toutes les structures en raison de réformes tentées puis abandonnées, qui ont démantelé tout le système existant ; refus des Républiques de participer à une organisation économique commune et rétention de leur production ; décomposition du marché de l'État ; activités parallèles qui font flamber les prix. Incapable d'adopter une réforme économique radicale tant il en craint désormais les violents contrecoups sociaux, le pouvoir soviétique se tourne vers le monde occidental pour tenter avec son aide de parer au plus pressé et pour, dit-il, éviter la guerre civile.

Quelle est la vérité de l'URSS en 1990 ? La puissance de Gorbatchev, prix Nobel de la paix et allié du monde occidental dans la crise du Golfe ? ou l'impuissance de Gorbatchev devant un pays en pleine décomposition ? Un pays en marche lente et hésitante vers la démocratie ? ou un pays guetté par la dictature ? Un pays rongé par la famine ? ou un pays qui dissimule derrière l'Oural une puissance stratégique inentamée ? L'URSS de 1990 combine sans doute toutes ces contradictions, ce qui rend son avenir imprévisible.

Hélène Carrère Dencausse
de l'Académie française
Hélène Carrère d'Encausse vient de publier : la Gloire des nations ou la Fin de l'empire soviétique (Éd. Fayard, 1990).