Moins de dix ans après cette mise au point qui peut être considérée comme prophétique, les solutions trouvées à ces problèmes allaient permettre de réaliser les premières transplantations suivies d'un succès définitif.

Le 24 décembre 1954, Joseph Murray et son équipe (Merril, Harrison et Hume) du Peter Bent Brigham Hospital de Boston pratiquent une greffe de reins entre frères jumeaux homozygotes (jumeaux vrais, issus du même œuf) ayant donc une structure antigénique génétiquement identique. En l'absence d'obstacles immunologiques, le succès est définitif.

Le 23 janvier 1959, Murray réalise à Boston une greffe de reins entre deux frères jumeaux dizygotes (faux jumeaux, issus de deux œufs différents) ayant donc des structures antigéniques différentes. Pour éviter la réaction de rejet, le receveur était préparé par une irradiation totale destinée à déprimer ses défenses immunitaires.

Quelques mois plus tard (29 juin 1959), une greffe analogue est pratiquée avec le même succès par Jean Hamburger à l'hôpital Necker à Paris. (En 1952, la greffe qu'il avait réalisée chez le jeune Marius Renard avec le rein de sa mère fut rejetée au bout de quelques semaines en l'absence de traitement immunosuppresseur). Que ce soit aux États-Unis ou en France, les malades ont vécu de nombreuses années avec leur greffon.

Au début des années 60, Murray à Boston et Hamburger à Paris réalisent avec succès des greffes rénales dans lesquelles le donneur (vivant) n'est pas apparenté au receveur. L'irradiation totale du receveur, qui est en traitement préventif agressif exposant à des complications infectieuses, est abandonnée. Le « conditionnement » du receveur (pour éviter le rejet) est effectué par l'administration d'une chimiothérapie immunodépressive.

Le 19 octobre 1964, est réalisée à Paris par Jean Hamburger et son équipe la première greffe de rein de cadavre, provenant donc d'un donneur non apparenté. Avec un transplant fonctionnel, la receveuse est toujours en vie près de trente ans après. L'utilisation de reins prélevés sur les cadavres (sujets en état de « mort cérébrale ») permet le prodigieux essor des greffes à partir de 1967. Chaque année, plus de 20 000 greffes rénales sont pratiquées dans le monde, dont près de 4 000 en France, 90 % d'entre elles l'étant avec des organes prélevés sur des cadavres.

Tout au long des travaux qui ont abouti au plein succès des transplantations apparaît le rôle éminent de Joseph Murray et de Jean Hamburger. On peut s'étonner et regretter que seul le clinicien américain ait été récompensé par le Nobel.

Les transplantations

Le deuxième lauréat du prix Nobel, E. Donnall Thomas, est le premier médecin ayant réussi à transplanter la moelle osseuse d'un individu à un autre. Il réalise la première greffe de moelle osseuse chez l'homme en 1956 à Cooperstown (New York). C'est ce traitement, encore expérimental, qu'utilise avec succès Georges Mathé à Villejuif, en novembre 1958, chez cinq techniciens atomistes yougoslaves ayant reçu accidentellement une irradiation à des doses considérées comme mortelles.

La greffe se limite à une transfusion de la moelle prélevée par ponction osseuse chez un donneur. C'est donc la plus facile des greffes à réaliser sur le plan chirurgical. Mais c'est elle qui pose le plus de problèmes sur le plan immunologique. Dans les autres greffes, l'obstacle majeur est le rejet par l'hôte de l'organe greffé. Dans le cas de la greffe de la moelle osseuse, le système immunitaire du receveur étant déficient, c'est au contraire l'introduction chez le receveur de cellules immunitaires de la moelle du donneur qui peut provoquer une destruction des cellules de l'hôte reconnues comme étrangères. Cette réaction dite « réaction du greffon contre l'hôte » (graft versus host reaction, ou GVH) est l'obstacle majeur au plein succès des greffes de moelle ; si elle n'est pas jugulée, elle peut entraîner la mort du receveur.

Donnall Thomas a eu le grand mérite de définir le meilleur conditionnement du receveur pour éviter la réaction du greffon contre l'hôte en précisant le protocole de radiothérapie et de chimiothérapie qu'il fallait appliquer. La découverte du système HLA des antigènes d'histocompatibilité par Jean Dausset (prix Nobel 1980) a constitué un progrès considérable et a permis l'appariement du donneur et du receveur.