L'agriculture de l'ouest et du sud de la Loire apparaît beaucoup moins favorisée, même si les producteurs de ces régions ont adopté des méthodes ou des techniques de production progressives qui auraient dû les aider à survivre. En réalité, l'installation d'élevages industriels (en matière de porcs et de volailles) n'a permis à certains d'entre eux de subsister, parfois chichement, qu'au prix d'un fort endettement et d'un décalage croissant entre les charges et les recettes, les premières augmentant plus vite que les secondes. De ce fait est né un secteur de petites et moyennes exploitations agricoles en voie de marginalisation, qui contraste si fortement avec celui des grandes cultures céréalières que l'on a pu parler d'une agriculture « à deux vitesses ».

Actif et passif

Lorsque l'on dresse le bilan de cette évolution, sinon de cette mutation, il est difficile de savoir si l'actif l'emporte sur le passif. D'un côté, incontestablement, c'est l'agriculture qui a dégagé la plus forte productivité de l'économie française avec 5 % de hausse par an pendant 30 ans ; l'encouragement à la modernisation des exploitations a permis d'atteindre assez rapidement l'autosuffisance alimentaire ; enfin, la contribution la plus importante et la plus stable à l'équilibre du commerce extérieur provient de l'excédent agro-alimentaire (50 milliards de F aujourd'hui contre 0 F en 1970).

En revanche, au passif, on peut d'abord inscrire l'ampleur exceptionnellement élevée de l'exode rural par rapport à celui des pays voisins : en un peu moins de dix ans, en effet, près de 250 000 exploitations françaises ont disparu. Le chiffre de la population agricole est d'ores et déjà descendu au-dessous du million, ce qui représente une baisse annuelle des unités agricoles de l'ordre de 2,5 % par an entre 1970 et 1979 et de 2,4 % entre 1979 et 1988. Si ce rythme se maintient, le nombre des exploitations tombera à 750 000 en l'an 2000. Le nombre des actifs familiaux baisse également (il est de 1 868 000 aujourd'hui, c'est-à-dire de 1,8 par exploitation contre 2,2 en 1970), tout comme la surface agricole (− 3 %) ; d'un autre côté, le nombre d'exploitations de plus de 50 hectares a doublé en 18 ans.

En second lieu, cet exode s'est accompagné du vieillissement de la population rurale : l'âge moyen des agriculteurs est maintenant assez élevé, la moitié d'entre eux ayant en effet plus de 52 ans. Cette situation est d'autant plus préoccupante que les trois quarts des agriculteurs de plus de cinquante ans ne se connaissent pas encore de successeur. Avec ce vieillissement, des terres se libèrent et, dans le meilleur des cas, vont grossir les unités subsistantes ou, plus souvent, retournent à l'état de friches.

En troisième lieu, il faut tout de même noter que, malgré la colère paysanne, la sécheresse et la baisse du prix de la viande, les revenus agricoles ont augmenté de 5,1 % en moyenne en 1990, ce qui donne un accroissement de l'ordre de 16,2 % depuis 1988 (voir graphique ci-contre). Toutefois, il est également juste de reconnaître que ce chiffre cache de graves disparités au sein d'un milieu très hétéroclite. Les cultures spéciales, viticoles ou fruitières, ont été avantagées et les grandes cultures (céréales, maïs) orientées à la baisse (à travers celle des prix). C'est surtout le revenu tiré des élevages industriels ou hors sols qui faiblit, ce qui signifie que cette activité, considérée comme une solution de rechange pour les petits agriculteurs, cesse d'être rentable. Comme ces chiffres prennent en compte des subventions ou des aides accordées à la production, les agriculteurs se demandent quel avenir leur est réservé dans ces conditions ; et ils posent cette question au moment même où la politique agricole commune traverse une crise grave.

Marginalisation et déprise

Tout comme la politique agricole française, celle de la Communauté, élaborée au début des années 1960, a privilégié une optique résolument productiviste afin d'atteindre l'autosuffisance et la sécurité des approvisionnements. Dès 1974, ces objectifs avaient été remplis : les dix pays alors membres de la CEE commençaient à être excédentaires en blé tendre et en beurre, et les agriculteurs allaient bientôt profiter de cette expansion. Après une baisse due au choc pétrolier de 1973, leurs revenus ont en effet augmenté à partir de 1981.