Il est clair qu'un rapport existe entre la baisse des entrées réalisées par le film français et la baisse globale (cf. Revue du cinéma, no 442 d'octobre 1988 : « Le cinéma français des années 80 »). Une meilleure connaissance des raisons de la pointe de 1982 et de 1983, qui ne négligerait pas les budgets promotionnels, l'impact de certains films dans les couches populaires et chez les jeunes ainsi que le contexte social de l'époque, permettrait de mieux saisir les conditions de la baisse des années postérieures : conséquences du chômage des jeunes, appréciations portées sur le prix des places, évolution vers une diversification des comportements de loisirs, offres concurrentes faites aux catégories qui étaient les plus fidèles à la salle de cinéma, etc. Il est frappant de constater, en effet, que la baisse de la demande a également frappé d'autres activités de loisirs (départs en vacances, par exemple) à partir de 1984, et que, parmi les trois grands groupes dans lesquels se répartit classiquement le public de cinéma (« occasionnels », « réguliers », « assidus »), ce sont les assidus qui ont le plus freiné leur consommation (CNC – Informations, no 218, mai-juin 1988). D'autre part, ce sont les secteurs géographiques ayant subi les effets les plus directs de la crise économique qui ont enregistré les plus fortes baisses dans les entrées. C'est le cas dans le Nord et dans le Pas-de-Calais, ou dans la Lorraine industrielle.

Dans beaucoup de grandes villes bénéficiant d'un équipement abondant et varié – à Lyon, Marseille, Grenoble, Clermont-Ferrand, Mulhouse, Strasbourg, Metz, Nancy... et bien sûr à Paris, sur les Grands Boulevards, les Champs-Élysées et au Quartier latin en particulier –, des complexes de conception récente ont été fermés en 1987 et en 1988, du fait de la crise, de la concurrence et des charges propres aux établissements dans les grands centres urbains. D'autres fermetures sont dues à l'extinction de marchés marginaux (karaté ou pornographie), anéantis par le développement de la vidéocassette. Les conséquences de la crise sont plus graves lorsqu'en sont victimes les salles de qualité « art et essai », dont le rôle culturel dépasse l'objet de la simple sortie-loisirs (à Paris, en particulier, où le rétrécissement de ce réseau limite la découverte de nouveaux auteurs, de nouvelles cinématographies).

Enfin, le réseau urbain des villes de moins de 20 000 habitants qui, en 1986, détenait 30 % des salles mais seulement 11,7 % du marché, correspond à des marchés locaux fragmentés qui rendent de plus en plus difficile aux petits exploitants privés d'équilibrer leur entreprise. Il en résulte une municipalisation croissante de l'activité cinématographique (Massif central, Sud-Ouest, Val de Loire, banlieue parisienne), car les élus, soucieux de maintenir une animation locale, se préoccupent de plus en plus du sauvetage et d'une relance du cinéma, conçu comme un élément essentiel de la vie culturelle locale. Le ministère de la Culture s'apprête à encourager de telles initiatives en même temps qu'il adopte de nouvelles règles au profit de la production française et des mesures d'assistance aux entreprises en difficulté.

Au premier rang en Europe...

Les enjeux du cinéma se sont diversifiés dans le contexte très aléatoire des années 80. Activité originale dans son rapport entre commerce et culture, le cinéma est une activité encadrée, assistée – et cela, en France, depuis une quarantaine d'années. Son industrie ne peut plus s'autofinancer, tandis que le prestige attaché à sa fonction justifie l'interventionnisme d'État. La crise actuelle n'a en rien bouleversé les règles du jeu ; il s'agit seulement de compléter les dispositifs existants au profit d'une infrastructure de salles susceptible de mieux asseoir une production nationale qui reste au premier rang européen, et qui semble, vaille que vaille, pouvoir se maintenir autour de 130 à 140 films par an.

Daniel Sauvaget
Géographe-économiste dans des bureaux d'études en aménagement du territoire et urbanisme, puis chargé d'études à l'Agence pour le développement régional du cinéma, Daniel Sauvaget est également critique de cinéma, membre du Comité de rédaction du mensuel la Revue du cinéma depuis 1975. Il a collaboré au Dictionnaire du cinéma (Larousse) ainsi qu'à plusieurs ouvrages collectifs sur les cinémas français et allemand.