Les résultats de cette première tentative de freinage ont été améliorés en un temps record. L'équipe du laboratoire de spectroscopie de l'École nationale supérieure vient en effet de publier les résultats d'une expérience où les atomes ne sont plus arrêtés par un simple faisceau laser, mais par une onde laser stationnaire. Le dispositif a la propriété de moduler les niveaux d'énergie des atomes, ce qui les force à dissiper leur énergie plus rapidement. L'efficacité du ralentissement est bien supérieure à celle obtenue au NBS : il suffit de 2 ou 3 cm pour arrêter le faisceau d'atomes.

Ces atomes immobiles (ou presque) sont déjà très précieux : la principale source d'imprécision en spectroscopie – la science qui permet d'étudier la structure interne des atomes à partir de leurs transitions électroniques – est en effet le mouvement des atomes, qui modifie leurs spectres d'émission. La précision des horloges atomiques, en particulier, qui sont basées sur des mesures spectroscopiques de l'atome de césium, va sans doute être améliorée d'un ordre de grandeur, si les atomes de césium veulent bien se tenir tranquilles. Mais deux autres expériences faites cette année ouvrent des horizons bien plus vastes, en montrant la possibilité d'enfermer dans une boîte les atomes immobilisés.

La première boîte est une petite sphère magnétique de 20 cm3 où les atomes, qui possèdent un moment magnétique, sont faiblement attirés. Une fois pris au piège, ils font quelques tours... et puis s'en vont : aucun d'eux n'est resté plus d'une seconde dans l'appareil. La deuxième boîte, réalisée aux laboratoires Bell dans le New Jersey, est un minuscule cylindre de 0,1 mm de long dans lequel un faisceau laser attire les atomes comme une lampe les papillons, mais beaucoup moins longtemps : quelques secondes au maximum.

Ces pièges sont encore très imparfaits et ne parviennent qu'à capter quelques atomes. Mais leur perfectionnement laisse envisager la possibilité d'y mettre en présence un grand nombre d'atomes identiques, pendant un temps assez long pour qu'ils puissent s'associer. L'observation de la matière ralentie pourrait dès lors réserver bien des surprises : la création de molécules nouvelles ? de cristaux inédits ? Tous les espoirs sont permis.

Nicolas Witkowski

Chimie

Des réactions sur mesure

Au cours d'une réaction chimique, les molécules réagissantes sont extrêmement nombreuses (100 milliards de milliards dans un cm3 de gaz) et la fugacité de certains composés intermédiaires instables en interdit l'observation directe.

L'étude statistique d'une réaction, qui se traduit par l'écriture d'une équation nécessairement schématique, s'est complétée, depuis une vingtaine d'années, par une étude plus fine. Le prix Nobel de chimie 1986 vient d'être attribué à l'un des pionniers de ce nouveau domaine de la chimie, C.R. Herschbach, et à deux de ses disciples. Y.T. Lee et J.C. Polanyi. Dès 1961, Herschbach eut l'idée de séparer les réactifs afin de mieux observer leur interaction. Le premier travail consista à fabriquer deux faisceaux homogènes se propageant dans le vide, contenant chacun l'un des réactifs. Il fallut ensuite concevoir des détecteurs capables d'observer l'interaction de deux molécules, d'enregistrer leurs variations de vitesse et de direction, et de caractériser les produits de la réaction. Les premières études, portant sur des molécules diatomiques simples, se sont révélées très fructueuses, mais avec de « grosses » molécules, tout se complique. Un grand nombre de phénomènes différents se produit en un temps très court, et l'analyse de la situation doit être faite sur une durée de l'ordre de 1011-12 seconde. Seuls les lasers à impulsions permettent des clins d'œil aussi rapides ; ils offrent en outre l'avantage d'induire la fluorescence des espèces chimiques réagissantes, ce qui rend possible leur étude par spectroscopie.

Les faisceaux moléculaires font aujourd'hui partie de la panoplie du chimiste. Car la connaissance précise du mécanisme d'une réaction permet d'en améliorer la vitesse, le rendement et d'influer sur son déroulement, ce qui mènera sans doute à de nouvelles synthèses chimiques.