Les conséquences de cette situation nouvelle ont commencé d'apparaître dans de nombreux domaines :
– l'OPEP voit lui échapper la maîtrise du marché mondial du pétrole. En deux ans (1979-1981), en raison de la contraction de la demande et de la montée en puissance de nouveaux producteurs comme le Mexique et la Grande-Bretagne, qui n'en font pas partie, sa production a dû être réduite de près de 40 %. Mais à l'intérieur d'une organisation globalement en recul, l'Arabie Saoudite tient une place de plus en plus importante : à elle seule, elle fournit près de la moitié du pétrole syndiqué. Cela veut dire qu'en modulant à leur guise leur extraction, comme ils peuvent le faire sans souffrir, les dirigeants saoudiens, fidèles alliés des États-Unis, peuvent faire désormais la pluie et le beau temps sur le marché. Position politique dont on mesure toute l'importance en rappelant que deux autres grands producteurs de l'OPEP, l'Iran et l'Iraq, pratiquement disparus du marché, voudraient maintenant y revenir pour couvrir les dépenses de la guerre qu'ils se livrent depuis septembre 1980 ;
– la baisse de leurs rentrées financières risque de casser le développement de pays comme l'Indonésie, le Venezuela ou le Nigeria. Bien que producteurs de pétrole, ils connaissent à leur tour de lourds déficits extérieurs. Pris ensemble, les pays de l'OPEP ont cessé d'accumuler les dollars et risquent même de connaître en 1982, pour la première fois depuis dix ans, un déficit global. On verra ainsi disparaître un déséquilibre fondamental qui affectait les échanges internationaux depuis le début de la crise pétrolière ; au prix, évidemment, d'un risque croissant de déstabilisation politique dans un certain nombre de pays en développement ;
– la baisse des prix du pétrole aura en revanche des effets bénéfiques dans les pays consommateurs, où elle aidera à contenir l'inflation et à rééquilibrer les balances des paiements. Cette conséquence n'est malheureusement pas ressentie en France, en raison de la dégradation de la valeur du franc par rapport au dollar (le pétrole est payable en dollars) : pour compenser la montée de la monnaie américaine depuis deux ans, il aurait fallu que le prix du baril de brut eût baissé de 11 dollars !
– le retournement du marché remet aussi en question la nature des rapports entre pays producteurs et consommateurs. Avant 1973, ces rapports étaient solidement tenus en main par les grandes compagnies pétrolières. Depuis la crise, les négociations étaient passées par la force des choses entre les mains des gouvernements, et les échanges étaient de plus en plus réglés par des contrats d'État à État. Maintenant que la menace de pénurie est de nouveau écartée, ainsi que le souci de la sécurité d'approvisionnement, la négociation purement commerciale pourrait reprendre ses droits, nonobstant des engagements politiques désormais inutiles. En France, le président d'Elf-Aquitaine, Albin Chalandon, s'est fait le champion d'un tel retour aux traditions du business de naguère, qui, affirme-t-il, permettraient à notre pays de bénéficier plus vite et plus complètement des baisses de prix ;
– les compagnies ont d'autres problèmes aigus à régler. La baisse de consommation de produits pétroliers condamne à l'oisiveté le tiers au moins de leurs raffineries ; mais comme cette baisse affecte principalement les produits lourds (fuel) et non les produits légers (carburants), il faut simultanément investir dans de nouveaux équipements pour tirer autant d'essence d'un moindre tonnage de brut, et l'industrie du raffinage, en régression, ne peut fournir les énormes capitaux nécessaires à cette conversion. D'où une pression constante des compagnies en faveur d'un relèvement de leurs marges bénéficiaires — plus facile à faire accepter aux consommateurs maintenant que les prix du brut ont cessé de monter. En France, le gouvernement met en place, à dater du 1er mai 1982, un nouveau système de fixation des prix, plus souple.